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EAN : 9782358730372
608 pages
Le Bruit du Temps (25/02/2012)
4.62/5   8 notes
Résumé :
Paru en allemand en 2003, ce livre n'est pas l'oeuvre d'un érudit, mais d'un véritable écrivain, au style concis, alerte, souvent humoristique.
C'est peu de dire qu'on ne s'ennuie pas un instant : on est captivé, fasciné, emporté, ému par le récit de cette existence errante et de plus en plus persécutée, ponctuée de très beaux portraits des femmes qui ont compté pour Mandelstam. Et, dans le même temps, le lecteur a le sentiment d'accéder peu à peu et presque ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ossip Mandelstam fut un mythe en Russie et dans le monde malgré la censure attachée à son nom et à sa poésie, mais on ne peut le réduire à son mythe ou à sa fin tragique au Goulag.

Ralph Dutli connait l'oeuvre du poète sur le bout des doigts, des premiers poèmes à ceux écrits en exil à Vorojnev, des poèmes les plus connus à ceux en forme de farce sur les tramways ou les crèmes glacées.
Les éditions le Bruit du temps ont réalisé avec ce livre une ode magnifique au poète sous l'égide duquel elles se sont placées.
Si vous aimez la poésie, la Russie, et plus largement la liberté des mots je vous propose d'entrer avec moi dans cette oeuvre.
La biographie évoque la naissance dans une famille juive aisée et très assimilée, on retrouve ce temps dans son récit le Bruit du temps.
Toute sa vie la culture juive le marquera même si il est souvent en conflit avec elle et qu'il flirtera avec le christianisme.
Ses études sont chaotiques, le numérus clausus envers les juifs lui interdit les portes de l'université, il lui faudra choisir l'étranger pour terminer sa formation. Paris, Heidelberg, l'Italie.
Les oeuvres des auteurs antiques l'inspireront tout au long de sa vie, pied de nez aux examinateurs qui le firent échouer à l'épreuve de littérature latine !
Ses premiers poèmes paraissent en 1910, très vite il fait une rencontre importante : Anna Akhmatova, mariée au poète Nikolaï Goumiliov, elle « restera jusqu'à la fin une confidente et une interlocutrice privilégiée. »Mandelstam adhère au noyau de poètes qui fondent le mouvement acméisme prenant l'adhésion à « L'ici et maintenant »
S'ouvrent des années de création, de ferveur « Mandelstam supprime les frontières, fait surgir des époques et des espaces, multiplie les mondes. »

Mais la Révolution qu'il soutient dans ses débuts va petit à petit le plonger dans les difficultés, l'errance, le nomadisme, la pauvreté et la misère

Lorsque les modérés sont chassés par les Bolcheviques il écrit un poème pour dire sa colère de voir « Un joug de violence et de haine » s'abattre sur le pays.
Sa poésie est novatrice, visionnaire, il se veut citoyen du monde « Son seul credo est la poésie »
Il ne perd jamais courage malgré toutes les vicissitudes de l'existence « Exister - Voilà la plus haute ambition de l'artiste. Il ne veut pas d'autre paradis que celui de l'existence »
Bientôt le régime va le traquer, il faut dire qu'il a des mots qui frappent juste, la Révolution ? Une « victoire avec les mains coupées.»
Ses errances le porteront souvent en Crimée alors que la guerre y sévit encore dans les années 20 malgré cela « La Crimée restera pour lui, toute sa vie, une terre promise. »
Il est encore temps d'émigrer mais Mandelstam refusera cette solution « Sa foi en la Russie est d'ordre intime. » il n'envisage pas de la quitter, il le dit magnifiquement

Russie bâtie sur la pierre et le sang,

Fais-moi la grâce, fût-ce par la pesanteur,

De prendre part à ton ultime châtiment.

Il a de plus en plus de mal à publier ses poèmes, contraint à changer de lieu de résidence sans arrêt, hébergé par des amis, nourris par ses proches, Moscou, Saint Pétersbourg, la Crimée. Refusant tous les compromis, tous les abaissements, capable d'un courage sans nom. Ralph Dutli le décrit comme un combattant mais aussi comme un amoureux magnifique.
C'est un autre versant du poète, Mandelstam et les femmes, Nadejda fut sa compagne tout au long de sa vie mais elle dut composer avec des météores qui passèrent dans la vie du poète.
La plus célèbre fut Marina Tsvetaïeva qui lui offrira neuf de ses poèmes dont certains vers sonnent comme un avertissement au destin du poète

L'air résonnera toute la nuit de tes cris !

Ils déchireront tes ailes aux quatre vents !

En 1921 la mort du mari d'Anna Akhmatova le touche particulière, la condamnation de Nikolaï Goumiliov sonne le glas des espoirs de Mandelstam et de sa volonté de réconciliation avec le régime.

L'arrivée au pouvoir de Staline va renforcer sa mise à l'écart, il vivote de traductions, parvient très difficilement à faire imprimer ses poèmes.
On lui fait de mauvais procès, tout est bon pour le marginaliser.
Nadejda et lui vivent grâce à quelques emplois bien éphémères, ils sont contraints d'accepter l'aide de leurs amis pour simplement survivre.

Il fait un voyage en Arménie dans les années 30 qui donne lieu à un superbe récit qu'il ne parvient pas à faire imprimer.

Ils ont vécu d'aides amicales, de mendicité ou d'emplois éphémères souvent humiliants.
Les poètes même proches du régime le respecte sans le dire trop haut, Essénine, Maïakovski. Pasternak qui l'admire reste prudent mais lui avoue « J'envie votre liberté » il aurait pu ajouter votre courage !
Déportations, assassinats deviennent le mode de gouvernement, la souffrance et la famine imposée par la Dékoulakisation vont pousser le poète à s'exprimer, d'abord sous le manteau et puis de plus en plus ouvertement jusqu'à la catastrophe.
En 1934 un poème particulièrement virulent envers Staline va sans doute précipiter les choses, il faut dire que Mandelstam n'a pas fait dans la demi-mesure parlant de Staline comme du « Montagnard du Kremlin » mais aussi de « l'équarisseur des paysans »
Arrestation, condamnation, c'est l'exil à Vorojnev. Il a toujours aimé le poète Ovide exilé à Tomes au bord de la mer noire, il se sent proche de lui plus que jamais.

Contre toute attente il va profité de l'exil pour offrir ses plus beaux poèmes. Il dicte sans relâche à Nadejda qui écrit inlassablement et apprend par coeur tous les poèmes.

mandelstam
Arrêté à nouveau en 1938, condamné aux travaux forcés, Mandelstam meurt au Goulag. « Ossip Mandelstam n'était qu'une victime de plus parmi les centaines de milliers de morts du goulag stalinien, et son corps fut jeté nu, avec un numéro matricule attaché au pied, dans une fosse »
Les derniers chapitres du livre sont consacrés au combat de Nadejda gardienne et mémoire de son oeuvre qu'elle avait appris par coeur pour la protéger et la faire connaitre. Un chapitre est consacré à la réception de l'oeuvre en France, enfin un chapitre est fait des éloges d'autres poètes, Philippe Jaccottet, Paul Celan ou le Prix Nobel Joseph Brodski, ce que Ralph Dutli appelle joliment le « triomphe de la poésie »
La biographie est complétée par des photos dont certaines très émouvantes.
Tous les titres des chapitres sont emprunté à l'oeuvre du poète, comme le titre lui-même.
Russe jusqu'au bout des ongles, Mandelstam était à la fois un européen, un passionné de culture grecque, un admirateur et amoureux de Dante au point d'apprendre l'italien. Un chantre lyrique et généreux qui a refusé de plier.
Un grand amoureux de la vie, des femmes dont il a chanté la beauté, « un gardien des mots »
C'est une biographie que j'ai lu deux fois, une première il y a déjà plusieurs mois et dernièrement pour écrire ce billet. L'émotion était présente même à la seconde lecture. On voudrait que la fin soit différente mais l'on est étreint par le bonheur de lire ces vers que Ralf Dutli nous livre généreusement.
Une biographie que je vais avoir du mal à ranger, doit elle trouver sa place aux côtés d'autres poètes ou plutôt à côté des Récit de la Kolyma de Chalamov, du livre de Julius Margolin, d'un Monde à part d'Herling ou de l'oeuvre de Soljenitsyne ?
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Livre passionnant qui retrace de façon très claire la vie de Mandelstam depuis le biotope familial d'origine jusqu'au calvaire final dans les prisons soviétiques. de nombreux extraits de poèmes permettent de donner un avant-goût de l'oeuvre de cet éternel étranger en son propre pays.
Cette biographie permet de se plonger dans l'incroyable bouillonnement créatif de la Russie dans les 20 ou 30 premières années du XXème siècle, avant que le régime soviétique n'y mette un terme. Ce livre permet ainsi de croiser la route des intellectuels, écrivains, poètes, artistes, glorieux contemporains de Mandelstam : Akhmatova, son mari Goumiliov, Khlebnikov, Tsvetaieva, Maïakovski, Chklovski...
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critiques presse (1)
Lexpress
13 avril 2012
Le "plus grand poète russe du XXe siècle", selon Brodsky, paya de sa vie son génie visionnaire. Sa biographie est enfin traduite. Un événement.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Printemps 1920 Mandelstam est alors en Crimée
Le poète Emili Mindline se souvient que Mandelstam, un soir qu'il rentrait en nage de la vigne, lui récita les sept magnifiques strophes du poème vénitien. C'étaient sa vision de la mort de l'homme, de la mort à Venise qui était également un masque pour Pétersbourg, la Venise du Nord agonisante :

"Air délicat de la peau. Veines bleues.
Neige blanche. Vert brocart.
Tous sur des civières de cyprès
On les tire de leurs manteaux, tièdes et somnolents.

Et brûlent, brûlent les bougies dans les corbeilles
Comme la colombe vola dans l'arche.
Au théâtre, aux vaines assemblées,
L'homme se meurt.

"L'homme se meurt" : la mort est partout sur cette péninsule déchirée par la guerre civile. (...) La côte de Crimée était son Italie. Sienne et Venise, qu'il n'avait jamais vues, hantaient son imagination. (p199)
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"Dans la poésie, l'invention et la mémoire vont de pair : se rappeler c'est aussi inventer, qui se souvient réinvente. Le problème fondamental du goût littéraire moscovite est l'oubli de cette double vérité. (...) La poésie respire par la bouche et par le nez, par la mémoire et par l'invention. Il faudrait être un fakir pour se passer de l'une de ces deux respirations" ( "Moscou littéraire" essai de Mandelstam)
Les révolutionnaires de la culture grisés par l'avenir négligent la mémoire : c'est là le principal reproche que leur adresse Mandelstam.
Dans "Un éclat", il se dresse aussi contre toute appropriation ou toute mise sous tutelle de la poésie par le pouvoir : "La pauvre poésie recule craintivement devant les nombreux canons de revolvers braqués sur elle, chargés de sévères exigences. Que doit être la poésie ? Peut-être ne doit-elle être rien du tout, peut-être ne doit-elle rien à personne et tous ses créanciers sont-ils des imposteurs !"
(p 252)
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Mon temps, mon fauve, qui pourra
Plonger au fond de tes prunelles ?
Qui de son sang recollera,
Les vertèbres de deux siècles ?
(...)
Et les bourgeons vont encore gonfler,
Le rejeton de verdure jaillira,
Mais ton échine est brisée,
Mon pauvre siècle, si beau !
Et avec un sourire insensé
Tu regardes en arrière, faible et cruel,
Comme une bête jadis souple,
Se retourne sur ses propres traces...

Ce poème de Mandelstam voit le jour les 8-9 octobre 1922.
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Mandelstam supprime les frontières, fait surgir des époques et des espaces, multiplie les mondes.
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Exister - Voilà la plus haute ambition de l'artiste. Il ne veut pas d'autre paradis que celui de l'existence
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