Ce qui me charma dans le lycée Janson, c’est que l’existence y était rythmée de façon militaire. Toutes les heures, le concierge se plantait au milieu de la cour de récréation ou, s’il pleuvait, sous le préau, et faisait entendre un long roulement de tambour. Il se servait de cet instrument en virtuose tantôt avec force, tantôt avec subtilité, accumulant, comme pour le plaisir, les concetti et les roulades. Le son du tambour , répercuté et amplifié par les bâtiments entourant la cour, était puissant et exaltant comme l’orgue accompagnant « l’Ite missa est ». Et il avait une signification voisine puisqu’il nous apprenait que la messe pédagogique était finie.
J'ai tâché de peindre un enfant totalement enfantin , à la manière dont Jack London peignait les chiens de traineaux , en se mettant dans sa peau , qui n'est pas la mienne .
Ce qu’on appelle à présent „ les enseignants“ qui ont succédé aux professeurs, me semblent avoir, en matière d’éducation , les mêmes conceptions que moi lorsque j‘avais dix ans. Je pensais, en effet, alors, que la mémoire n‘était rien, qu‘il fallait s‘adresser directement à l’esprit, lequel était apte à tout comprendre. Mon expérience est que je n’ai rien retenu ou fort peu de ce qu’on voulait me faire absorber à l’aide du raisonnement et de la logique, mais au contraire je n’ai rien oublié de ce que l’on m’a fait rabâcher vingt fois( …). Peut-être le seul profit que j’ai tiré de mes études est-il cet entraînement de la mémoire, qui s’est fortifiée de telle manière que les gens d’aujourd’hui, qui n’ont pas eu cette chance, en sont tout ébahis.
C'est à treize ans révolus que je commençai à entrevoir mon véritable destin, que je pressentis de quel domaine j'allais hériter. Néanmoins, à huit ans j'avais quelques-uns des traits qu'une vocation peut façonner, quand ce n'eût été que mon goût du passé et mon attirance pour ce qui était beau ou me semblait tel. J'avais également un don marqué pour le dessin.