Le 9 mars 1941, une jeune hollandaise de 27 ans, fille d'un proviseur et d'une mère juive ayant fui la Russie tsariste en 1907, entame le journal dans lequel elle décrit sa vie quotidienne sous l'occupation et son évolution spirituelle.
Esther Hillesum (1914-1943), Etty pour les intimes, mêne à la fin des années 30, la vie libre d'une « garçonne » (à l'instar de l'héroïne de
Victor Marguerite) en étudiant à Amsterdam le droit et les langues slaves, devenant la maîtresse de Han Wegerif, un veuf qui lui loue une chambre. Elle a pris ses distances avec sa famille et notamment sa mère au caractère instable.
Sa vie bascule le 3 février 1941 quand ses amis lui présentent Julius Spier, un gourou encensé par la gente féminine. Né allemand en 1887, Julius Spier émigre aux Pays-Bas en 1939, laissant à Berlin ses
deux enfants et leur mère Hedwig Rocco, dont il s'est séparé en 1935. Spier devient l'amant et le mentor d'Etty et lui suggère de rédiger son journal. En 18 mois ce psychologue, adepte de morphologie et lecteur des lignes de mains, a une profonde influence psychologique et spirituelle sur la jeune femme. Il meurt de maladie le 15 septembre 1942.
« Tu m'as appris à prononcer sans honte le nom de Dieu. Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi… Et je servirai moi-même de médiatrice à tous ceux que je pourrai atteindre. » confesse alors Etty qui rejoint volontairement en juillet 1942 le Conseil Juif et devient assistante sociale auprès des détenus du camp de Westerbock. Elle observe les conditions de détention et de transit vers les camps d'extermination et rédige des courriers qui sont diffusés clandestinement par les réseaux de résistants et alertent la population sur la « solution finale ».
En juin 1943, Etty est emprisonnée à Westerbock et sa famille la rejoint après la rafle des 21 et 22 juin. C'est « le grand saut » vers une destinée qu'elle perçoit lucidement. Son journal est interrompu le 12 octobre 1942 ; elle est déportée à Auschwitz avec sa famille et disparait le 30 novembre 1943.
Son journal, puis sa correspondance, sont publiés et traduits progressivement dans les années 80 et en France l'association « Les Amis d'
Etty Hillesum », présidée par
Cécilia Dutter, s'emploie à diffuser ses écrits et les outils de développement personnel et spirituel qu'ils renferment en suivant les trois étapes majeures du parcours que cette dernière a emprunté : se connaître soi-même, rencontrer l'autre, s'ouvrir à l'Absolu.
L'essayiste, présente en quelques chapitres, la substantifique moelle des enseignements de Julius Spier et des réflexions d'
Etty Hillesum :
- « En chemin vers soi » (ch.V) : « ne pas parler, ne pas écouter le monde extérieur, mais observer un silence total et laisser raisonner en soi ce que l'on a de plus personnel et privé, et cela, l'écouter. » résume cette approche.
- « De l'amour d'un seul à l'amour de tous » (ch. X) part des enseignements de
Saint Augustin, le libertin d'Hippone que Monique, sa mère, arracha aux séductions féminines pour en faire, avec l'aide de Dieu, un saint et un docteur de l'église.
- « Dieu, ultime refuge » (ch. XVI) montre comment la jeune femme, d'éducation laïque, découvre avec le concours de Julius un Dieu fusion des méditations de
Confucius,
Lao Tseu,
Saint Augustin, « Je vis constamment en intimité avec Dieu »
Le
Pape Benoît XVI, lors d'une audience en 2013, a déclaré : « Je pense aussi à la figure d'
Etty Hillesum, une jeune Hollandaise d'origine juive qui mourra à Auschwitz. Initialement éloignée de Dieu, elle le découvre en regardant en profondeur à l'intérieur d'elle-même et elle écrit : « Un puits très profond est en moi. Et Dieu est dans ce puits. Parfois, j'arrive à le rejoindre, le plus souvent la pierre et le sable le recouvrent : alors Dieu est enterré. Il faut à nouveau le déterrer ».
Le témoignage d'Esther Hillesum (1914-1943) s'insère parmi celui d'autres martyrs :
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Edith Stein (1891-1942), juive devenue religieuse (Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, co-patronne de l'Europe)
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Irène Némirovski (1903-1942)
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Hélène Berr (1921-1945)
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Anne Frank (1929-1945)
La vocation d'Etty tranche par son originalité, son amour, son espoir et sa terrible lucidité « Bien sûr, c'est l'extermination complète, mais subissons-la au moins avec grâce. » Une grâce qui éclaire aujourd'hui ses lecteurs, dans un contexte où l'antisémitisme menace insolemment.