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Critique de cprevost


Pourquoi les histoires de Jean Echenoz racontées avec tant de détachement, d'ironie et de modestie comptent-elles tant dans le paysage littéraire français contemporain ? Il faut aller voir de près ces faux romans d'espionnage, faux romans policiers, faux romans d'aventure et pseudos biographies.
Tous les personnages ou presque sont dans les premières pages de « L'équipée malaise ». La première génération tout d'abord nous est présentée. Charles Pontiac et Jean-François Paris sont tous deux épris de Nicole Fischer. Elle leur préfère un troisième larron et devient veuve avant même de mettre au monde une petite Justine blonde et rose. Les deux amoureux évincés et éplorés partent donc dans d'autres mondes. L'un ira en Malaisie, l'autre sous les ponts de Paris. Quelques pages tournées et la seconde génération, si ressemblante à la précédente, entre en scène. Justine semble en effet reproduire l'histoire amoureuse de sa mère. Elle est aimée par deux trafiquants d'armes qui ne sont rien d'autre que Paul le neveu de Jean-François et Bob son meilleur ami. La boucle est bouclée. Au coeur du livre, la vie réunira les deux générations pour des aventures absurdes et dérisoires. Jean-François, devenu “ Duc ” d'une plantation d'hévéas dont il se voit ravir la responsabilité par les héritiers légitimes, fomente une improbable rébellion. le Boustrophédon (Écriture primitive dont les lignes vont sans interruption de gauche à droite et de droite à gauche), c'est le nom d'un poussif cargo, trace imperturbablement, dans des allers et retours littéraires, un chemin entre une Asie du Sud-est caoutchouteuse et anticoloniale et une Europe mafieuse et marginale. Jean Echenoz s'amuse et nous amuse.
Jean Echenoz choisi dans ce livre de subvertir le roman d'aventure usé jusqu'à la corde. Ce que l'on attend en effet de la littérature ce sont des inventions, des intuitions qui renouvellent notre regard en l'invitant à se débarrasser des habitudes et de la paresse intellectuelle. Ainsi ici l'humour induit un effet de distance. Il décharge le lecteur de l'obligation de coller aux péripéties, il lui interdit toute identification pour mieux lui permettre d'apercevoir le sens véritable du récit. Jean Echenoz a une certaine manière de s'emparer de certaines choses de ce monde et de caractériser notre époque. Dans ses romans aucune thèse, aucun message, pas d'avantage de psychologie mais des images fortes nées du vécu. L'apparente futilité de cette aventure malaise, la quête de tonalités nouvelles dans les rencontres inopinées entre les hommes, entres les lieux font alors sonner le monde autrement. La démarche par sauts met à jour une réalité en éclats. le récit est haché, il se ralentit, s'accélère, les histoires se chevauchent. Les séquences se succèdent sur un rythme proche de celui du cinéma. Nous passons du pavillon cossu de Nicole à la cloche de Charles, de la plantation malaise de Jeff à l'appartement de Paul, du canal St Martin à l'océan, du château d'eau beauceron au Havre, etc.
Le style de Jean Echenoz est remarquable. Tout est prétexte à déployer une écriture inventive et poétique, loufoque et délirante, toujours exigente. « Produire du sens c'est produire du son » ... « Quand je travaille à une phrase et qu'un jeu de mot surgit, je ne puis le conserver s'il ne ressorti pas véritablement à l'histoire» nous dit-il. Il lave la langue de l'usage routinier et fait toujours sortir l'insolite, le vrai du plus familier.
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