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Critique de JacobBenayoune


Ce roman est, à lui seul, une véritable bibliothèque, d'où son grand succès universel. Il a su réjouir un public varié. A vrai dire, rares sont les best-sellers qui soient en même temps des livres de grand mérite littéraire. Umberto Eco est de ces romanciers avec qui on sympathise dès les premières pages par la finesse de son comique (je parle ici de l'introduction). Cette bonne humeur qui nous informe qu'on est devant un romancier original qui nous présente un roman original même en choisissant des genres déjà exploités. "Le Nom de la Rose" est un plaisir pour le lecteur qu'il soit un amateur du roman policier, des récits borgésiens, des romans historiques, ou des querelles religieuses.

Spécialiste du Moyen Age, Eco a choisi cette époque curieuse, mystérieuse et tumultueuse comme cadre temporel à son roman, son premier après plusieurs oeuvres d'essayiste et de critique. J'aimerai noter ici que très peu d'écrivains ont réussi ce passage de l'essai vers le roman (même Manguel n'a pas fait parler de lui en tant que romancier). Ainsi, en connaisseur, il a placé tous les ingrédients apanages du Moyen Age. D'abord, les querelles théologiques (la question de la propriété et la pauvreté chez le Christ), les hérésies (histoire de Fra Dolcino) et l'Inquisition, auxquelles Eco a redonné une allure accessible et intéressante pour le lecteur d'aujourd'hui, et plus d'une fois, on constate l'aspect actuel de ces problèmes (le fanatisme surtout et la vanité de ces querelles qui s'attachent à des vétilles). Ensuite, les descriptions réalistes des objets, des habits et de l'architecture de l'époque, mais aussi de l'esprit médiéval qui est encore encré dans l'obscurantisme et l'ignorance (à l'exception de quelques esprits lumineux). Enfin, l'incendie, événement assez fréquent à l'époque (comme pour la cathédrale de Notre-Dame de Paris) et qui est un élément indispensable. de cette manière Eco avait réussi le côté historique de son roman.

Loin de ce choix du Moyen Age, qui était un terrain connu pour l'auteur et partant, un plaisir de reproduire ses connaissances sous forme romanesque, il faudrait signaler l'influence assumé par Umberto Eco de son auteur préféré (avec Joyce) Jorge Luis Borges. Cette influence ne se limite pas seulement à ce choix d'une bibliothèque labyrinthique (La bibliothèque de Babel), une bibliothèque qui cache les livres et d'où seuls les initiés peuvent sortir et dont le maître incontestable est Jorge de Burgos qui devient le méchant de l'histoire au fur et à mesure. Borges est là aussi dans la formation du personnage de Guillaume qui ressemble à Lönnrot (La Mort et la Boussole), version borgésienne de l'Auguste Dupin de Poe. Or, la plus grande part borgésienne dans ce roman est cette idée à la Pierre Ménard de reproduire des faits du Moyen Age comme les raconterait un moine de l'époque pour un public du XXe siècle (et la postérité) ; ce dernier qui aura tout le loisir d'interpréter comme il veut les événements et les symboles.

Par ailleurs, "Le Nom de la rose" qui se lit comme un roman policier a pu se démarquer d'entre les oeuvres de ce genre par un grand mérite littéraire et historique, par sa trame savamment mené jusqu'au point même où le lecteur se croit dupe d'un stratagème de l'auteur qui l'introduit lui aussi dans un labyrinthe de références, d'histoires véritables, de citations (surtout les fameuses citations latines auxquelles je reviendrai) vraies ou fausses, de théologie et de métaphysique, mais aussi de connaissances scientifiques d'actualité au Moyen Age. le grand mérite de ce roman est l'introduction de ces éléments dans un roman policier. le lecteur (qui ne s'intéresserai pas à tous ces éléments) sera lui aussi dédommagé par d'autres éléments qui eux satisferont un grand public amateur du roman policier classique, à savoir, l'action, le suspense, les mystères, les fausses pistes, les déductions, les crimes, le criminel supérieurement intelligent et une présence féminine. A tout cela, s'ajoute la bonne humeur, du fin Guillaume et la bouffonnerie de ce personnage unique en littérature, Salvatore qui parle une langue bizarre, mélange de toutes les langues du monde comme sorti de la tour de Babel.

Beaucoup de lecteurs se sont plaints de ces citations latines parfois trop longues restées sans traduction dans l'édition française que j'avais lue (j'ai constaté, plus tard, que la version arabe contient des traductions en bas de pages). Ces citations sont dans le roman comme le choeur dans la neuvième symphonie de Beethoven ; sans comprendre ce qui est dit au dernier mouvement, on écoutera avec plaisir cette oeuvre.

Quel titre choisir pour cette oeuvre plurielle ? L'abbaye du crime ? ou Adso de Melk tout court ? il fallait bien un titre plus ouvert, plus mystérieux comme "Le Nom de la rose" ; "ROSE of all Roses, Rose of all the World!" comme le dit le poète Yeats. Un titre pluriel et vague, aussi vague que l'érudition qu'on trouve dans le roman.

Pour écrire son roman, Eco a fait de longues recherches, même s'il pénétrait dans son propre terrain. Dans sa bibliothèque personnelle figuraient des livres comme "The Medieval Library" de J. Thomson, le catalogue de tout ce que l'on trouvait dans les bibliothèques du Moyen Age ou encore "Encyclopédie de l'architecture", sans oublier le "Manuel de l'inquisiteur", de Bernard Gui. Il a même contacté un herboriste pour l'informer sur un poison à la même faculté que celui du livre (il raconte ailleurs que cette lettre, trouvé par la police, aurait été d'un fâcheux effet). Et que dire des dialogues savants entre Guillaume et Ubertin, ceux de l'inquisiteur avec Michele et le dernier entre Guillaume et Jorge des dialogues à la Settembrini-Naphta. Ainsi ce duel de séduction entre Guillaume et le tueur mystérieux devait se reproduire entre le lecteur et le romancier, un lecteur qui doit être plus intelligent que lui et qui doit le surprendre par la force et l'ingéniosité de ses interprétations.

Et Adso dans tout cela ? le jeune homme s'éclipse volontiers derrière son maître Guillaume auquel il voue une admiration respectueuse. Il incarne la curiosité du novice assoiffé du savoir et qui combat vainement la tentation de la chair. Il suit son maître dans la bibliothèque pour chercher un livre (magiquement réaliste) mais surtout pour chercher l'aventure (d'ailleurs c'est le plaisir qu'à tout lecteur en entrant dans une bibliothèque ou librairie, c'est cette aventure qui compte, ces retrouvailles et ces découvertes qui nous surprennent). Il aide son maître, il découvre à travers les dialogues des autres et les explications de Guillaume de nouvelles notions comme la fameuse luxure du savoir.

P.S. dans ma critique sur "Mon nom est rouge", j'avais signalé une ressemblance avec "Le Nom de la rose" à plusieurs niveaux.
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