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Stéphane Mallarmé (Autre)Charles Baudelaire (Autre)Jean-Louis Curtis (Autre)
EAN : 9782070322237
192 pages
Gallimard (26/05/1982)
4.14/5   91 notes
Résumé :
Edgar Poe, généralement bien connu du grand public francophone pour ses récits fantastiques, les "Histoires extraordinaires", l'est un peu moins pour ses poèmes qui ont pourtant été traduits à de nombreuses reprises, parfois par les plus grands poètes français. Jean Hautepierre a pris le risque de leur succéder en se livrant à cet exercice toujours délicat que constitue la traduction poétique. Il a fait appel à toute sa fibre poétique afin de transcrire, pour notre ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
J'ai beaucoup aimé la première partie de ce recueil : les poèmes traduits par Mallarmé. On y retrouve beaucoup de traits baudelairiens. Ses thèmes de prédilection : la folie, la mort, la souffrance, l'amour... En revanche la suite du recueil m'a un peu décontenancé. Je le trouve un peu" fourre-tout". Et le lien entre Poe, Mallarmé et Baudelaire est très intéressant mais aurait pu faire l'objet d'un autre ouvrage. Et pourquoi cette police aussi petite ?
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Edgar Allan Poe est devenu partie de notre mobilier culturel d'une manière que peu d'auteurs ont jamais connu. Dans l'imaginaire populaire, il est l'ultime romantique condamné : un proto-goth fou et imbibé de drogue avec un corbeau maléfique perché sur son épaule, dont les fidèles incluent des personnalités aussi variées qu'Abraham Lincoln, Charles Baudelaire, Josef Staline, Rachmaninov, Michael Jackson, Tracy Emin et Bart Simpson. Mais compte-t-il vraiment aujourd'hui ? Doit-on encore prendre la peine de le lire ?

Poe est né à Boston, Massachusetts, enfant d'acteurs en difficulté, le 19 janvier 1809. Avant qu'il n'atteigne l'âge de trois ans, sa mère anglaise était décédée et son père américain avait tout simplement disparu - un schéma d'abandon qui s'est répété tout au long d'une vie qui a été marquée par une tragédie (souvent auto-infligée), mais aussi marquée par une productivité littéraire extraordinaire. Il mourut délirant, brisé de corps et d'esprit, dans un hôpital de Baltimore le 6 octobre 1849. Malheureusement pour ses biographes, Poe avait tendance à se donner l'histoire de la vie qu'il estimait mériter plutôt que celle qu'il avait réellement - un trait qui il a aggravé en choisissant comme exécuteur testamentaire un ecclésiastique qui le haïssait et qui vilipendait systématiquement sa mémoire.

Aussi étrange et malheureuse que la vie de Poe semble avoir été, il n'en reste pas moins qu'elle a produit l'homme qui fut sans doute le premier écrivain de stature internationale à émerger des États-Unis. Depuis sa mort, son travail a eu une influence profonde et continue sur la littérature, la musique, le cinéma et l'art. L'une des raisons pour lesquelles il est toujours aussi important, c'est que ses histoires, en particulier, ont montré une capacité extraordinaire à être adaptées par d'autres médias. Il y a eu plus d'une douzaine de films de la chute de la maison Usher, par exemple, à commencer par la version d'Epstein de 1928. de plus, son travail a directement inspiré un flux de compositeurs allant de Debussy à Lou Reed.

le poème le plus célèbre de Poe, "The Raven" ( le Corbeau), avec son refrain en écho de "Nevermore", est un hymne obsédant à l'amour perdu et à la finalité de la mort, teinté (comme tant d'écritures de Poe) du sentiment que la folie attend, et nous ne pouvons rien faire pour l'éviter. En ce sens, c'est un écrivain très moderne. Il sait que l'enfer se trouve en nous ; que nous sommes tous coupables, et que la mort nous prend tous. Des histoires telles que le puits et le pendule, William Wilson ou le chat noir résonnent avec nos propres vies. Poe sait que nous avons raison d'avoir peur du noir.

Il prévoyait ses effets avec toutes les ressources de son intelligence souple et redoutable. Vous pouvez le voir dans l'intrigue méticuleusement structurée de son seul roman, le récit de Gordon Arthur Pym, l'histoire d'un voyage fantasmagorique qui a clairement influencé Moby Dick. Sa construction soignée, quant à elle, se manifeste également dans les trois nouvelles d'Auguste Dupin, dans lesquelles il invente le format du détective excentrique avec le narrateur acolyte qu'Arthur Conan Doyle exploite avec tant de succès avec Holmes et Watson. Avec une fécondité remarquable, il a également créé des variantes et des raffinements de ce format de base, du mystère verrouillé à la preuve médico-légale cruciale. Il est incontestablement le père fondateur de la fiction policière, peut-être le genre narratif le plus réussi du monde moderne.

Oubliez le mythe de la vie de Poe : la signification et la richesse de son oeuvre sont telles qu'il faudrait le célébrer en la redécouvrant.
Il nous tend un miroir et chaque fois que nous le lisons, nous découvrons quelque chose de nouveau.

En outre, nous bénéficions en français d'exceptionnels traducteurs...
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Je connaissais Poe, le maître du fantastique et de l'horreur. Je connaissais son goût pour la poésie avec The Raven. Aussi, n'ai-je pas pu résister à l'invitation de Stellamaris qui s'est lancé dans une aventure ô combien utile et périlleuse, qui est de traduire, adapter en vers la poésie du grand artiste. Traduire, c'est trahir. Choisir, c'est renoncer. Plus qu'un travail technique, il s'agit ici un geste artistique à part entière. Il faut aimer les mots, la langue, l'univers d'un auteur, pour se lancer dans une traduction-adaptation.

Dès le début, je redécouvre avec plaisir "Le corbeau", texte qui me titillait le bout de la scène, mais je n'avais jamais osé sauter le pas. Les images lourdes du buste de Pallas notamment et quelques préciosité langagières me bloquaient. Dès le début, la patte du traducteur est scellée dans un astucieux mélange de précision, de justesse "je havais", d'audace et de franc parler "Je me dis “ Sûrement, c'est les / Fenêtres, ou bien les volets !" L'épure de la situation dans ce dialogue absurde gagne en impact. Je me l'imagine mieux, moins daté, plus présent, ce raven.

Découverte des autres textes. La diversité amoureuse, aventureuse, imaginaire est ici servie dans des plats d'argent. le travail sur le rythme, les images et l'accessibilité du texte sont vraiment intéressants. Je ne me suis pas risqué à relire les textes en anglais pour tenter de "hacker" le code de la traduction, j'ai préféré savourer la suite des poèmes épiques et profonds, ponctuée d'images sobres et parfaitement adaptées au ton global de l'oeuvre.

Dans "l'énigme", l'auteur nous dévoile le secret des lettres et des portraits qu'il contient. On hume des "cinnames" ici ou là. On tente de défricher un massif épais de "pensers" avant de se faire sonner (sonnet ?) les cloches. La structure de ce texte fonctionne comme un piège qui se referme sur le lecteur, qui se croyait - je l'avoue - témoin d'une simple errance dominicale du grand poète. le glas ne sonne jamais pour rien chez Poe. le portrait de la mère est très touchant. le val sans repos fait écho au val sans retour de Brocéliande, si on s'amuse à tirer sur le fil légendaire, désolé ma nature de conteur me rattrape toujours. La ville en mer m'a submergé par son imaginaire foisonnant. Quant au silence, il est détaillé avec force et perspicacité.

Jamais plus ? Oh que non, je relirais du Poe à foison et du Stellamaris avec joie.
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Je connais Edgar Poe surtout à travers sa prose que j'apprécie beaucoup, malgré l'écriture un peu ampoulée de cet auteur. De sa poésie, je ne connaissais jusqu'ici que "Le corbeau" (traduit par Baudelaire). le présent recueil contient bien d'autres poèmes en prose, traduits par Mallarmé. Selon la théorie de Poe, le poète doit écrire comme un mécanicien du langage, utilisant des outils bien définis – très loin d'une supposée inspiration quasi-divine. Il est difficile de prouver que Poe a appliqué rigoureusement ses propres règles; mais j'ai l'impression qu'il l'a fait. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas beaucoup aimé la plupart des textes présentés. J'y décèle une facture artificielle, exagérée, rigide, précisément en raison des méthodes d'écriture de l'auteur. Et même quand il veut être simple, E. Poe a un style que je trouve lourd. La relecture du poème "Le corbeau", notamment, a été éclairante pour moi. "Annabel Lee" m'a semblé être le texte le mieux venu: je l'ai mis en citation sur Babelio.
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Même en traduction - il s'agit ici de Mallarmé bien sûr - le rythme et la mélodie restent intensément présents. Poe n'est pas seulement mélancolique ou obscur, il atteint bien souvent des sommets de ce sublime qu'ont tant chéri les écrivains de cette fin du XIXème.
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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
ELDORADO
Gaiement accoutré, un galant chevalier, au soleil et par les ténèbres, avait longtemps voyagé, chantant une chanson, à la recherche de l’Eldorado.

Mais il se fit vieux, ce chevalier si hardi, et sur son cœur tomba une ombre, comme il ne trouvait aucun endroit de la terre qui ressemblât à l’Eldorado.

Et, quand sa force défaillit à la longue, il rencontra une ombre pèlerine. — « Ombre, dit-il, où peut être cette terre d’Eldorado ? »

— « Par-delà les montagnes de la lune, et au fond de la vallée de l’ombre, chevauche hardiment, répondit l’ombre, — si tu cherches l’Eldorado. »

(Traduction de Stéphane Mallarmé)

ELDORADO
Gaily bedight,
A gallant knight,
In sunshine and in shadow,
Had journeyed long,
Singing a song,
In search of Eldorado.

But he grew old-
This knight so bold-
And o'er his heart a shadow
Fell as he found
No spot of ground
That looked like Eldorado.

And, as his strength
Failed him at length,
He met a pilgrim shadow-
"Shadow," said he,
"Where can it be-
This land of Eldorado?"

"Over the Mountains
Of the Moon,
Down the Valley of the Shadow,
Ride, boldly ride,"
The shade replied-
"If you seek for Eldorado!"
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LE CORBEAU

Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, — cela seul et rien de plus.

Ah ! distinctement je me souviens que c’était en le glacial Décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour ; — vainement j’avais cherché d’emprunter à mes livres un sursis au chagrin — au chagrin de la Lénore perdue — de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore, — de nom ! pour elle ici, non, jamais plus !

Et de la soie l’incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait — m’emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore : si bien que, pour calmer le battement de mon cœur, je demeurais maintenant à répéter : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre — quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre ; c’est cela et rien de plus. »

Mon âme se fit subitement plus forte et, n’hésitant davantage : « Monsieur, dis-je, ou madame, j’implore véritablement votre pardon ; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j’étais à peine sûr de vous avoir entendu. » — Ici j’ouvris grande la porte : les ténèbres et rien de plus.

Loin dans l’ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m’étonner et craindre, à rêver des rêves qu’aucun mortel n’avait osé rêver encore ; mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe : et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté
Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1889.djvu
« Lénore ! » Je le chuchotai — et un écho murmura de retour le mot « Lénore ! » purement cela et rien de plus.
Rentrant dans la chambre, toute mon âme en feu, j’entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu’auparavant. « Sûrement, dis-je, sûrement c’est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu’il y a et explorons ce mystère ; — que mon cœur se calme un moment et explore ce mystère : c’est le vent et rien de plus. »

Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre, — se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre — se percha, siégea et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chenue et rase, non ! dis-je, tu n’es pas pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. »

Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos ; car on ne peut s’empêcher de convenir que nul homme vivant n’eut encore l’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, — un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté, au-dessus de la porte de sa chambre, — avec un nom tel que : « Jamais plus. »

Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si son âme, en ce seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de plus ; il n’agita donc pas de plume, — jusqu’à ce que je fis à peine davantage que marmotter : « D’autres amis déjà ont pris leur vol, — demain il me laissera
Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1889.djvu
comme mes espérances déjà ont pris leur vol. » Alors l’oiseau dit : « Jamais plus. »
Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée : « Sans doute, dis-je, ce qu’il profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que l’impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu’à ce que ses chansons comportassent un unique refrain ; jusqu’à ce que les chants funèbres de son Espérance comportassent le mélancolique refrain de : « Jamais — jamais plus. »

Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à coussins en face de l’oiseau, et du buste, et de la porte ; et m’enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner songerie à songerie, pensant à ce que cet augural oiseau de jadis, — à ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis signifiait en croassant : « Jamais plus. »

Cela, je m’assis occupé à le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe à l’oiseau dont les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein ; cela et plus encore, je m’assis pour le deviner, ma tête reposant à l’aise sur la housse de velours des coussins que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu’Elle ne pressera plus, ah ! jamais plus.

L’air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins dont le pied, dans sa chute, tintait sur l’étoffe du parquet. « Misérable ! m’écriai-je, ton Dieu t’a prêté — il t’a envoyé, par ces anges le répit — le répit et le népenthès dans ta mémoire de Lénore ! Bois ! oh ! bois ce bon népenthès et oublie cette Lénore perdue ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Prophète, dis-je, être de malheur ! prophète, oui, oiseau ou démon ! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, —
Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1889.djvu
vers ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore ! y a-t-il du baume en Judée ? — Dis-moi, je t’implore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »
« Prophète, dis-je, être de malheur, prophète, oui, oiseau ou démon ! Par les cieux sur nous épars, — et le Dieu que nous adorons tous deux, — dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore, — embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit », hurlai-je en me dressant. « Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit ! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon ! quitte le buste au-dessus de ma porte ! ôte ton bec de mon cœur et jette ta forme loin de ma porte ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, — siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre : et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera — jamais plus.
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LE CORBEAU

Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, — cela seul et rien de plus.

Ah ! distinctement je me souviens que c’était en le glacial Décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour ; — vainement j’avais cherché d’emprunter à mes livres un sursis au chagrin — au chagrin de la Lénore perdue — de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore, — de nom ! pour elle ici, non, jamais plus !

Et de la soie l’incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait — m’emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore : si bien que, pour calmer le battement de mon cœur, je demeurais maintenant à répéter : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre — quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre ; c’est cela et rien de plus. »

Mon âme se fit subitement plus forte et, n’hésitant davantage : « Monsieur, dis-je, ou madame, j’implore véritablement votre pardon ; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j’étais à peine sûr de vous avoir entendu. » — Ici j’ouvris grande la porte : les ténèbres et rien de plus.

Loin dans l’ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m’étonner et craindre, à rêver des rêves qu’aucun mortel n’avait osé rêver encore ; mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe : et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté

« Lénore ! » Je le chuchotai — et un écho murmura de retour le mot « Lénore ! » purement cela et rien de plus.
Rentrant dans la chambre, toute mon âme en feu, j’entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu’auparavant. « Sûrement, dis-je, sûrement c’est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu’il y a et explorons ce mystère ; — que mon cœur se calme un moment et explore ce mystère : c’est le vent et rien de plus. »

Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre, — se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre — se percha, siégea et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chenue et rase, non ! dis-je, tu n’es pas pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. »

Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos ; car on ne peut s’empêcher de convenir que nul homme vivant n’eut encore l’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, — un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté, au-dessus de la porte de sa chambre, — avec un nom tel que : « Jamais plus. »

Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si son âme, en ce seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de plus ; il n’agita donc pas de plume, — jusqu’à ce que je fis à peine davantage que marmotter : « D’autres amis déjà ont pris leur vol, — demain il me laissera

comme mes espérances déjà ont pris leur vol. » Alors l’oiseau dit : « Jamais plus. »
Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée : « Sans doute, dis-je, ce qu’il profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que l’impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu’à ce que ses chansons comportassent un unique refrain ; jusqu’à ce que les chants funèbres de son Espérance comportassent le mélancolique refrain de : « Jamais — jamais plus. »

Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à coussins en face de l’oiseau, et du buste, et de la porte ; et m’enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner songerie à songerie, pensant à ce que cet augural oiseau de jadis, — à ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis signifiait en croassant : « Jamais plus. »

Cela, je m’assis occupé à le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe à l’oiseau dont les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein ; cela et plus encore, je m’assis pour le deviner, ma tête reposant à l’aise sur la housse de velours des coussins que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu’Elle ne pressera plus, ah ! jamais plus.

L’air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins dont le pied, dans sa chute, tintait sur l’étoffe du parquet. « Misérable ! m’écriai-je, ton Dieu t’a prêté — il t’a envoyé, par ces anges le répit — le répit et le népenthès dans ta mémoire de Lénore ! Bois ! oh ! bois ce bon népenthès et oublie cette Lénore perdue ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Prophète, dis-je, être de malheur ! prophète, oui, oiseau ou démon ! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, —

vers ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore ! y a-t-il du baume en Judée ? — Dis-moi, je t’implore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »
« Prophète, dis-je, être de malheur, prophète, oui, oiseau ou démon ! Par les cieux sur nous épars, — et le Dieu que nous adorons tous deux, — dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore, — embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit », hurlai-je en me dressant. « Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit ! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon ! quitte le buste au-dessus de ma porte ! ôte ton bec de mon cœur et jette ta forme loin de ma porte ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, — siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre : et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera — jamais plus.
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A Hélène

Je te vis une fois — une seule fois — il y a des années : combien, je ne le dois pas dire, mais peu. C'était un minuit de Juillet ; et hors du plein orbe d'une lune qui, comme ton âme même s'élevant, se frayait un chemin précipité au haut du ciel, tombait de soie et argenté un voile de lumière, avec quiétude et chaud accablement et sommeil, sur les figures levées de mille rosés qui croissaient dans un jardin enchanté, où nul vent n'osait bouger, si ce n'est sur la pointe des pieds ; — il tombait sur les .figures levées de ces rosés qui rendaient, en retour de la lumière d'amour, leurs odorantes âmes en une mort extatique ; — il tombait sur les figures levées de ces rosés qui souriaient et mouraient en ce parterre, enchanté — par toi et par la poésie de ta présence. Tout de blanc habillée, sur un banc de violettes, je te vis à demi gisante, tandis que la lune tombait sur les figures levées de ces rosés, et sur la tienne même, levée, hélas ! dans le chagrin.
N'était-ce pas la destinée qui, par ce minuit de Juillet, — n'était-ce pas la destinée, dont le nom est aussi chagrin, — qui me commanda cette pause devant la grille du jardin pour respirer l'encens de ces sommeillantes rosés ? Aucun pas ne s'agitait : le monde détesté tout entier dormait, excepté seulement toi et moi (oh ! cieux ! — oh ! Dieu ! comme mon cœur bat d'accoupler ces deux noms !), excepté seulement toi et moi. — Je m'arrêtai, — je regardai, — et en un instant toutes choses disparurent. (Ah ! aie en l'esprit ceci que le
jardin était enchanté !) Le lustre perlé de la lune s'en alla : les bancs de mousse et le méandre des sentiers, les fleurs heureuses et les gémissants arbres ne se firent plus voir : des rosés mêmes l'odeur mourut dans les bras des airs adorateurs. Tout, — tout expira, sauf toi, sauf moins que toi, sauf seulement la divine lumière en tes yeux, sauf rien que l'âme en tes yeux levés. Je ne vis qu'eux ; — ils étaient le monde pour moi. Je ne vis qu'eux, — les vis seulement pendant des heures, — les vis seulement jusqu'alors que la lune s'en alla. Quelles terribles histoires du cœur semblèrent inscrites sur ces cristallines, célestes sphères ! Quelle mer silencieusement sereine d'orgueil ! Quelle ambition osée ! pourtant quelle profonde, quelle insondable puissance pour l'amour !
Mais voici qu'à la fin la chère Diane plongea hors de la vue dans la couche occidentale d'un nuage de foudre : et toi, fantôme, parmi le sépulcre des arbres, te glissas au loin. Tes yeux seulement demeurèrent. Ils ne voulurent pas partir ; ils ne sont jamais partis encore !
Éclairant ma route solitaire à la maison cette nuit-là, ils ne m'ont pas quitté (comme firent mes espoirs) depuis. Ils me suivent, ils me conduisent à travers les années. Ils sont mes ministres ; — pourtant je suis leur esclave. Leur office est d'illuminer et d'embraser ; mon devoir d'être sauvé par leur brillante lumière, et purifié dans leur feu électrique, et sanctifié dans leur feu élyséen. Ils remplissent mon âme de beauté (qui est espoir), et sont loin, au haut des cieux, — les étoiles devant qui je m'agenouille dans les tristes, taciturnes veilles de ma nuit ; tandis que, dans le rayonnement méridien du jour, je les vois encore, — deux suaves, scintillantes Vénus, inextinguibles au soleil.
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ANNABEL LEE

Il y a mainte et mainte année, dans un royaume près de la mer, vivait une jeune fille, qui vous pouvez connaître par son nom d'ANNABEL LEE, et cette jeune fille ne vivait avec aucune autre pensée que d'aimer et d'être aimée de moi.

J'étais un enfant, et elle était un enfant, dans ce royaume près de la mer ; mais nous nous aimions d'un amour qui était plus que de l'amour - moi et mon ANNABEL LEE ; d'un amour que les séraphins ailés des Cieux convoitaient à elle et à moi.

Et ce fut la raison qu'il y a longtemps - un vent souffla d'un nuage, glaçant ma belle ANNABEL LEE ; de sorte que ses proches de haute lignée vinrent et me l'enlevèrent, pour l'enfermer dans un sépulcre, en ce royaume près de la mer.

Les anges, pas à moitié si heureux aux cieux, vinrent, nous enviant, elle et moi. Oui ! ce fut la raison (comme tous les hommes le savent dans ce royaume près de la mer) pourquoi le vent sortit du nuage la nuit, glaçant et tuant mon ANNABEL LEE.

Car la lune jamais ne rayonne sans m'apporter des songes de la belle ANNABEL LEE ; et les étoiles jamais ne se lèvent que je ne sente les yeux brillants de la belle ANNABEL LEE ; et ainsi, toute l'heure de nuit, je repose à côté de ma chérie, - de ma chérie, - ma vie et mon épouse, dans ce sépulcre près de la mer, dans sa tombre près de la bruyante mer.

Mais pour notre amour, il était plus fort de tout un monde que l'amour de ceux plus âgés que nous ; - de plusieurs de tout un monde plus sages que nous, - et ni les anges là-haut dans les cieux ni les démons sous la mer, ne peuvent jamais disjoindre mon âme de l'âme de la très belle ANNABEL LEE.
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