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EAN : 9782296993365
206 pages
Editions L'Harmattan (13/07/2012)
4/5   2 notes
Résumé :
Du sang sur le miroir, par Cosmos Akoete Eglo
Editions L'Harmattan
ISBN : 978-2-296-99336-5

Le meurtre de deux étudiants provoque des soulèvements populaires qui secouent le Togo, pays dirigé d'une main de fer par le général Télou, un protégé de la France.
Alors l'Élysée, s'inspirant de ces soulèvements matés dans le sang, s'empresse de fabriquer ''quelque chose plus beau que le fusil'', ce quelque chose dont le chef d'État fran... >Voir plus
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Fiche de lecture


DU SANG SUR LE MIROIR, Cosmos Eglo
La première fois que cet ouvrage attira mon attention, ce fut à travers un communiqué de presse diffusé par France Actualité, sous le titre de :
« UN LIVRE FORMIDABLE VIENT DE PARAITRE ! » (Réf: 1208876 – 12/08).
Je m'empressai donc de commander cet ouvrage, et je me fais le plaisir de vous livrer ici la fiche de lecture que j'en ai élaborée.


Titre de l'ouvrage : du sang sur le miroir

Auteur : Cosmos Eglo

Situation de l'oeuvre dans la vie de l'auteur : du sang sur le miroir est le premier roman de Cosmos Eglo, journaliste de son état, né le 6 mars 1963 à Lomé.

Contexte historique et culturel : Cosmos Eglo fit publier cet ouvrage chez Édilivre en janvier 2009, puis chez l'Harmattan en septembre 2012, après qu'Édilivre, évoquant des menaces reçues, eut supprimé l'édition de l'ouvrage. Inspiré de l'histoire du Togo, du coup d'État militaire de janvier 1963 (comme l'indique l'incipit « Lomé, une nuit de janvier 1963 ») jusqu'à l'époque tourmentée des années 1990s, cet ouvrage est un regard rétrospectif, à l'heure du bilan (sous fiction romanesque ou non) sur le processus de démocratisation en Afrique.

Genre : roman

Thèmes : Coup d'État militaire, dictature, détournement de deniers publics, obsession de l'exercice du pouvoir politique, culte de la personnalité, mainmise des anciennes métropoles sur les anciennes colonies...

Découpage de l'oeuvre : ici, la progression de l'action suit un schéma quinaire.

Après des années d'exil volontaire en France, Kodjo Médiros (le héros) revient à Lomé. Il fonde un parti politique, se porte candidat aux élections présidentielles et, déjà, se voit dans la peau de président de la République…

Kodjo perd les élections. Qui plus est, un coup de force de l'armée togolaise interrompt le processus électoral.

Sous les auspices de l'Élysée, Kodjo mène mille intrigues pour s'emparer de la magistrature suprême, en passant par les fonctions de Premier ministre. Devenu chef du gouvernement, il a recours à l'assassinat politique pour éliminer ses concurrents. Puis il fait volte face et tente de conquérir définitivement le pouvoir en se mettant dans les bonnes grâces de la Maison-Blanche.

Kodjo se retrouve dans un engrenage. Tous ses manèges vont à la vau-l'eau. Il n'a d'autres alternatives que le chantage.

Kodjo est assassiné sur ordre de l'Élysée.








Personnages principaux et leurs relations :

Tino, opposant politique, candidat présidentiel.

Dopé, opposante politique, candidate présidentielle.

Kodjo (le héros), opposant politique, candidat présidentiel, acolyte, puis antagoniste et obstacle à Tino et Dopé.

General Télou, chef de l'État, antagoniste et obstacle à Kodjo, Tino et Dopé.

Jacques Rocard, ambassadeur de France au Togo, mentor, puis antagoniste et obstacle à Kodjo.

Bill Gordon, représentant de la Maison-Blanche, mentor à Kodjo

Analyse des personnages

Bill Gordon : Autoritaire, plein de morgue, richissime, corrupteur et manipulateur. Il incarne la puissance des États-Unis d'Amérique, exerçant une grande influence sur Kodjo dont la plupart des actions sont dictées par lui.

Jacques Rocard : fourbe, filou, « une tête de renard, de petits yeux sournois éclairant une mine lutine », manipulateur, hypocrite, instigateur de crimes, tire les ficelles dans l'ombre et fait agir Kodjo.

Dopé : Corpulence de titan, l'air hargneux, toujours nerveuse, voix tonitruante, l'allure martiale. Elle est rude, « elle ne crache que des crudités », et ne plaisante jamais. Personnage émotif, incontrôlé et sensible, son caractère détermine ses loisirs (les arts martiaux) et ses options politiques : changement radical, lutte armée.

Tino : Des yeux rieurs, toujours souriant, agréable à vivre, douceur d'enfant, parle d'une voix posée, sans contractions du visage ni gestes superflus. Il est circonspect, « mesure et pèse chacun de ses mots ». Logique, calme, serein, maître de lui-même en toutes circonstances, il est pacifique à l' extrême, éprouvant une terrible répugnance pour la moindre brutalité, et de là ses loisirs (tennis et l'orgue), aussi bien que ses options politiques : non-violence, sens du compromis.

Général Télou : Personnage aux allures bestiales. « Des dents carnassières », « des nerfs taillés au burin ». Il est rude, brute et inculte : « le président de la République s'habillait de travers, se mouchait du revers de sa veste, crachait sur la moquette, urinait du haut de son balcon, ostensiblement tripotait les seins de ses invitées. Un jour, dans un noble souci de galanterie, le président de la République exhiba crûment les garnitures de ses entrecuisses, frappant ainsi les yeux d'une éminente personnalité. Enchantée, la dame s'évanouit sur le coup ! » C'est un tueur psychopathe dont le nom est passé sous silence (le sergent X) dans le prologue, mais que le lecteur retrouve et identifie facilement tout au long du récit.


Kodjo Médiros : Héros du récit, connaît une enfance difficile. Orphelin de mère dès le berceau, il n'hérite de son père (concierge à la SGGG) que misère. Cette enfance pénible le motivera à trimer dur pour gagner sa vie. Il se sent « prédestiné à combattre pour vivre ». Aussi ne se tolère t-il pas la moindre défaillance dans ses visées : « Aux ânes bien nés, le malheur n'attend pas le nombre des ratés ». Telle est sa philosophie. Cette quête pour une vie meilleure évolue rapidement, devient la soif d'une vie de débauche et, plus tard, un appétit morbide pour l'exercice du pouvoir politique. « Sur les bancs de l'école, se confiant à son instituteur, il dit qu'il rêvait d'exercer le métier de chef d'État ».

Son physique, d'ailleurs, reflète à merveille son état d'âme. Haut sur pieds, mise cossue, mine fière, yeux pétillant d'ardeur, front fuyant et plein d'intelligence. Il en sort malin, ingénieux et opportuniste, se prêtant à tous les coups bas, dans sa quête effrénée du pouvoir. Devenu Premier ministre, « il retrouve sa vie », se montre friand des délices gustatifs et des plaisirs charnels. Ainsi, amoureux de sa langue, passionné de la table, il engouffre lapins, moutons et vaches au cours de déjeuners monstres. Tout au long du jour, il se perd en bombances et, au bureau, accueille ses maîtresses deux à deux jusqu'à midi. Son ambition devient folie des grandeurs. « Il préférait commander », « il rêvait de briller du haut de son empire ».

Personnage dynamique, Kodjo, obsédé par la prise du pouvoir, subit un changement dramatique. du filou qui se contente de recourir aux coups bas pour éliminer ses adversaires politiques, il devient un tueur. Bien sûr, cette métamorphose naît d'un drame intérieur que le narrateur a si bien dévoilé. « …aussitôt le refroidit un frisson de gêne, et quel silence alourdit son âme. Il n'avait jamais attenté d'une façon quelconque à la vie d'autrui, et il n'avait jamais pensé qu'un jour il en arriverait là. Encore silence. Long silence. Et sursaut : il n'allait tout de même pas s'embarrasser de scrupules ! (…) Écraser ! Tel est le secret pour sortir victorieux de cette mêlée dans laquelle il s'est engagé, mieux, tel est le secret pour en sortir vivant. Dévorer pour ne pas se faire dévorer, écraser pour ne pas se faire écraser. Désormais il s'intégrait, désormais il adhérait pleinement à l'esprit de cette lutte où coup bas, violence et crime sont autant de recettes inaccessibles au néophyte qu'il était jusqu'alors. Caprices, les murmures de son coeur ; caprices, les tremblements de sa conscience. Maintenant il va se boucher les narines pour extraire l'or des fèces, maintenant il va fermer les yeux pour extraire l'or du sang. »
Face au péril, Kodjo, aveuglé, engourdi par son appétit du pouvoir, choisit la fuite en avant, et s'ébranle vers la menace, ce qui le perdra.

Personnage invisible et anonyme : le chef d'État français, fourbe, cynique, incarnation de la duplicité. Quand le général Télou se plaint de ce que Kodjo soit encore en vie, le chef d'État français lui répond : « petit Kodjo deviendra grand, pourvu que la France lui prêtre vie ». Et devant l'impatience de Kodjo de voir la France assassiner le général Télou, le chef de l'État français lui répond : « Tout meurt à point à qui sait attendre ». En outre, le chef d'État français est manipulateur, instigateur de crimes dans l'ombre : « Cette nuit-même, il nous faut pleurer Kodjo Médiros ».


Cet état d'âme est caractéristique de la politique étrangère de la France :
« Certes, écoeurés de voir du sang sur les mains de l'Élysée, des centaines de Français avaient descendu dans les rues en grognant. Mais aussitôt l'Élysée les avait endormis, en leur jetant aux yeux la poudre fulminante de la raison d'État. le chef d'État français, alors définissant la politique étrangère de la France, en substance avait déclaré qu' « à la façon d'un obus qui jaillit en balayant tout sur son passage, la France, par bataillons, par régiments, n'hésitera jamais à surgir n'importe où l'appelle son destin, quitte à labourer tout devant elle, à grands sillons que seul abreuvera l'impur sang des importuns ».



Le style de l'auteur

Style vif, désinvolte, parfois délibérément amphigourique, pour illustrer le creux, le vide et l'absurde qui caractérisent le langage politique. La clarté, la précision et la force de la narration font que le lecteur croit voir la vie réelle s'animer sur les pages. le récit, de la première page à la dernière, est plein de suspense et de rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine. Qui plus est, le langage et les traits physiques des personnages sont parfaitement représentatifs de leurs caractères, et leurs caractères déterminent leurs destins.



Portée philosophique et morale de l'ouvrage

« Un roman sur la dictature togolaise…coup d'État, violence, corruption, népotisme, répression militaire y sont abordés. C'est en fait une caricature presque parfaite du Togo hier comme aujourd'hui.»
- Journal L'Alternative, No. 89 du 26 juillet 2011.




Fiche de lecture conçue et présentée par :

Assiba K. Jeannette
Journaliste
Nantes
jeannetteassiba@gmail.com

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Moi je rends hommages à Cosmos Akoete Eglo. Je faisais partie d'une délégation qui rencontra cet écrivain dans une ville européenne dont je préfère taire le nom, pour des raisons de sécurité.
La force de cet auteur réside dans sa capacité à résister tant à la censure qu'à l'autocensure.
En effet, dans l'espace et dans le temps, les régimes totalitaires ont toujours cherché à étouffer la création littéraire, souvent taxée de subversion. Alors, pour se préserver de la répression, les gens de lettres (écrivains et journalistes) ont souvent choisi d'avaler leurs plumes ou, tout au moins, de les émousser, en évitant, le plus possible, de s'aventurer dans la jungle des « thèmes périlleux ». Ainsi naquit l'autocensure !
En Afrique, ils sont légion, les écrivains qui, par crainte de représailles, s'enferment dans les thèmes traditionnels qu'on retrouve souvent dans le « roman du village »: époque coloniale, conflit de générations, contes africains, etc.
Les auteurs africains « hardis » se comptent donc au bout des doigts. Parmi eux, Cosmos Akoete Eglo.
Du Sang sur le Miroir est un roman politico-historique qui jette la lumière sur les dessous du processus de démocratisation en Afrique francophone, sous la bannière de la France, avec pour point de départ, la conférence de la Baule. Sous la fougue d'une plume vivace, fertile et désinvolte, l'écrivain ne tarie pas de mots pour fustiger non seulement la duplicité de la France (Pyrrhus et Sapeur pompier !), mais aussi la soif de pouvoir qui conduit les dictateurs africains à recourir à l'artillerie nationale pour broyer leurs populations.
Comme il fallait s'y attendre, cet ouvrage attira toutes les foudres sur la tête de son auteur. Au Ghana où il s'était réfugié, les autorités ghanéennes firent pression sur Cosmos de supprimer la publication de son ouvrage, déjà en cours de publication en France (nous avons eu accès aux preuves matérielles de cette pression). le refus de Cosmos lui coûta toute une série de représailles. Ces représailles prirent des allures de persécution, après que les autorités ghanéennes s'aperçurent que l'écrivain avait réussi à enregistrer secrètement leurs propos sur un téléphone cellulaire, avant de les transférer sur un disque compact qu'il envoya à l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, en Suisse.
En janvier 2009, du sang sur le Miroir parut en France, aux éditions Edilivre. Un an plus tard, en février 2011, Edilivre, évoquant des menaces reçues, interrompit la publication de l'ouvrage !
Tous ces événements dramatiques, auraient conduit beaucoup d'écrivains à briser leurs plumes et dire adieu à la création. Cependant, à notre grande admiration, l'homme que nous avons rencontré, après une brève période de stress, avait rallumé ce qu'il se plaisait d'appeler « la flamme » de sa vie : la passion d'écrire !
Oui, Cosmos, à ses dires, a deux ouvrages en chantier actuellement : le Monstre jaune (roman) et l'Affaire du Chat (recueil de nouvelles). Quelle ténacité ! Hommages à Cosmos Akoete Eglo !
Monique Combey
Genève
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"Le sang sur le miroir " de Cosmos Eglo Akoete (206p)
Ed. L'Harmattan
Bonjour les fous de lectures....
Livre dans le cadre du challenge " je noircis mon planisphère".
Découverte d'un auteur togolais.
Cette fiction politique a été publiée pour la première fois en 2009
L'auteur, tombé en désaccord avec le gouvernement de son pays, est contraint à vivre dans la clandestinité et sa première maison d'édition a supprimé la publication de ce livre.
Cosmos a fait rééditer et republier cet ouvrage chez L'Harmattan en septembre 2012.
Le meurtre de deux étudiants provoque des soulèvements populaires qui secouent le Togo, pays dirigé d'une main de fer par le général Télou, un protégé de la France.
Alors l'Élysée, s'inspirant de ces soulèvements matés dans le sang, s'empresse de fabriquer ''quelque chose plus beau que le fusil''.
Ainsi, écoutant la France, le général Télou décrète précipitamment le multipartisme politique et, dans la foulée, fait organiser des élections présidentielles dont il sort perdant.
Mais avec l'appui de l'Élysée, l'armée togolaise interrompt le processus électoral.
Et, pendant qu'une crise politique sans précédent paralyse le Togo, Kodjo, le Premier ministre se rendre compte qu'il est témoin désabusé d'un projet ténébreux mené par l'Élysée pour asseoir la dictature non seulement au Togo mais ailleurs en Afrique : truquage d'élection, coups bas, violence, assassinats politiques, manipulation de Constitution, démocratie sur fond de dynastie ...
Entretemps, devenu le pivot d'une guerre secrète entre la France et les États-Unis d'Amérique, et enfin démasqué dans son double jeu entre les deux puissances ennemies, Kodjo se retrouve déchu de ses prérogatives. Pis, la France ordonne son assassinat. Alors, pour survivre, Kodjo choisit de faire chanter l'Élysée...
Avec un style vif et teinté d'humour, l'auteur, sous prétexte d'écrire un roman, nous raconte les atrocités et les magouilles qui sont monnaies courantes dans son pays: le Togo.
Histoire à rebondissement qui navigue ente hypocrisie, vagues promesses, coups bas et violence à gogo.
Tous le monde en prend pour son grade, non seulement les dirigeants togolais mais aussi la France et les Etats-Unis.
Même si c'est avec un certain effroi que j'ai lu ce livre, j'a eu du mal à m'accrocher à l'histoire...
Trop de violence? d'intrigues qui partent dans tous les sens ?
Quoiqu'il en soit, chapeau à cet auteur qui a osé publier un tel ouvrage au risque d'y laisser sa peau comme tant de ses compatriotes
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Quand ce livre fut publié pour la première fois en 2009, l'éditeur (Edilivre) l'avait classé comme « roman historique ». Par la suite, ils furent légion, les lecteurs qui l'avaient classé tel. Cependant, cet ouvrage, à mon humble avis, ne répond nullement aux critères d'un roman historique. Certes, l'histoire est ici le support des actions, d'autant plus que tout le récit s'inspire d'événements réels survenus au Togo et en France (même si l'auteur crut bon d'utiliser la formule classique pour réfuter cela d'avance : « Cet ouvrage n'est que fiction, toute ressemblance… »).
Un roman historique, rappelez-vous, est un roman dont l'aventure se déroule à une époque antérieure à celle de la vie de l'auteur. Pour qu'un roman soit qualifié d'historique, l'auteur ne doit pas avoir vécu à l'époque où il se déroule, même enfant. Cosmos Eglo est né en 1963. Or, le temps historique de l'ouvrage, c'est-à-dire l'époque à laquelle se situe la fiction, remonte à 1990, époque où « le vent de l'Est » soufflait sur le continent africain. Donc du sang sur le miroir ne peut prétendre être un roman historique.
Ces constations établies, je salue tout de même ce livre qui se révèle un amalgame de tous les genres romanesques. le récit est plein d'actions et rebondissements, avec une construction psychologique très percutante qui révèle si bien les motivations profondes des personnages. Qui plus est, des comportements sociaux sont décrits sur plusieurs pages, alors que de temps en temps l'auteur fait des clins d'oeil au lecteur en faisant passer ses idées personnelles. du sang sur le miroir est donc à la fois un roman d'intrigue, un roman de moeurs, un roman d'analyse et un roman d'idées. Chapeau !
Géneviève Lacroix
Martinique
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Ce que moi je reproche à ce livre, c'est l'usage trop abondant (pour ne pas dire ennuyeux) du mot « fameux » tout au long du texte. À part ce tic nerveux de l'auteur, c'est un livre propre à capter l'intérêt de tout lecteur averti, de par la vivacité et l'éloquence du style, le contenu de l'histoire ainsi narrée, une intrigue à vous couper le souffle, avec des rebondissements les plus inattendus.
On a souvent reproché à cet auteur de ne pas entretenir assez de contact avec le public. Je crois que ce reproche ne tient pas en compte les préoccupations sécuritaires de cet écrivain dont la vie serait menacée par le fait même de la publication de son livre. N'oublions pas que la publication de ce livre fut suspendue en 2011 en France, après que l'éditeur (Edilivre) eut reçu des menaces (l'Harmattan republiera le livre plus tard).
D'ailleurs, l'auteur lui-même exprime si bien ses angoisses au début et à la fin du chapitre 10 de son livre.
As-tu jamais été l'être à tuer ? As-tu jamais été pourchassé par la haine d'un Caligula ? Si seulement tu peux imaginer ce que c'est ! C'est le déferlement du tout-puissant sur le fragile, d'un côté le cruel, de l'autre l'innocent. C'est une poursuite infernale, cette rage, cet acharnement contre la vie humaine.
Ainsi traqué, harcelé, menacé, te voici torturé par l'inquiétude, la peur, l'angoisse, la hantise de la mort. Alors, à quel prix survis-tu ! le monde entier se promène sous le ciel ensoleillé. Pas toi. le monde entier s'égaye en plein air. Pas toi. Te voici cloîtré, barricadé, emmuré, terré. Te voici donc, à perpétuité, séquestré dans un cercle vicieux : s'enterrer pour vivre, vivre pour s'enterrer. Et si seulement tu peux te conserver vivant. Tant s'en faut. Une ombre sur le mur, un pas dans le couloir, un murmure derrière toi, un cliquetis, et te voici mort, déjà mort, en tout cas plus mort que vif.
………
L'ambassadeur de France, d'un air amusé, déplia le journal. Il parcourut des yeux la première page. Un gros titre s'étalait en caractères gras : du sang sur le miroir. le reste, presque tout le reste était trempé de sang. Seuls demeuraient clairs et lisibles les derniers mots du dernier paragraphe :

‘‘Ne feignez point de sentir du roman dans cet ouvrage. Car c'est en vain que vous refoulerez ainsi l'horreur de tous ces faits que je vous ai révélés…au risque de me faire égorger''.

Yvgout8
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Midi. Plus personne dans les rues. Silence total. Du sang partout répandu, odeur de mort partout répandue : hommes tués, femmes tuées, adolescents tués, tous hachés par l'artillerie, l’artillerie nationale s’entend. L'armée, notre armée, elle, auréolée de gloire, avait déjà regagné sa caserne.
Ce jour-là même, en Afrique et partout ailleurs ces événements éclaboussèrent les écrans de télévision, soulevant le monde entier. Alors les grandes puissances, y compris la France, se courroucèrent contre le général Télou. Néanmoins la France, elle, mit de l'eau dans son courroux. Le Quai d’Orsay, sérénissime, avait déclaré : « Les tiraillements dont Lomé vient d'être le théâtre, à proprement parler, ne sont que les errances d'un jeune État qui se cherche et qui, dans son désarroi, se plaît à dévorer ses propres enfants. Mais nous craignons le pire et, avouons-le, notre passivité serait aussi bien intolérable que hautement coupable, si le pire venait d’en être la conséquence. C'est pourquoi, dans la perspective d'un règlement consensuel de cette crise, sans toutefois nous ingérer dans les affaires intérieures d'un État souverain, ce soir même nous allons faire des propositions concrètes au général Télou. » Cela fut fait.

‘‘Paris, le 30 novembre 19 ...
Très cher ami, nos hommages. Tiens bon ! Néanmoins, tu te dois de rompre le silence en criant ta volonté de dialoguer « sincèrement » avec l’opposition. Et si jamais s'amènent ces crétins, eh bien, dialoguez. Mais attention ! Le dernier mot, c’est le nôtre. Une fois encore, nos hommages...’’
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Et pour grand événement, c'en était vraiment un : le Sommet Franco-africain. Cette année-là, le sommet, à proprement parler, n’était rien que l’épilogue des « travaux » de Baule.
Oui, officiellement, c’était pour débattre des « problèmes brûlants de l’heure ». Mais en réalité, il était question du miroir aux alouettes. À huis clos, le chef d’État français devait évaluer les performances de ses poulains. Cela fut fait. C’est ainsi que le chef d’État français félicita vivement les présidents Burkinabè, Camerounais, Congolais, Gabonais, Sénégalais et Togolais pour avoir manié le miroir à merveille, accomplissant ainsi, dit-il, « l’exploit de réconcilier, d’une part, dynastie et république, et, d’autre part, autocratie et démocratie, faisant de cette double fusion les deux mamelles d’une Afrique française, et docile, et serviable, et éternelle ».
Kodjo n'avait d'yeux que pour l'écran. Le sommet tirait à sa fin. Avant lecture du communiqué final, c'était la pause. Sur le podium, au premier rang, le chef d'État français, dans un excès de bonne volonté, souriait au vide. Assis à côté de lui, le général Télou, comme chaque fois qu'il se trouvait en face des caméras de télévision, dodelinait lentement de la tête, faisant un air paisible et bienveillant. Occupaient la seconde rangée, d'autres chefs d'État, répartis en deux groupes. D'une part des hommes sereins, élégants, des gentlemen, ceux-là, démocratiquement élus au suffrage universel dans leurs pays respectifs. D'autre part des individus débraillés et nerveux, un ramassis de soldats aux profils de brigands : des Hommes forts !
Tantôt, occupa tout l'écran, le ministre malien des Affaires étrangères. Faisant office de rapporteur, il se mit à lire le communiqué final qui sanctionnait ainsi la fin des travaux. D'abord, concernant les « questions de pure forme », le communiqué fit entendre que les chefs d'État présents au sommet congratulaient les autorités togolaises « pour avoir fait du sommet, des retrouvailles familiales ». Ensuite, abordant « les questions de fond », l'orateur fit entendre ceci :

« Avec le recul nécessaire, le chef d'État français et ses pairs africains, en parfaite communion, et en parfaite symbiose, ont fait le tour d'horizon des problèmes brûlants de l'heure.
Bien sûr, point besoin de le souligner, soucieux du bien-être de leurs populations respectives, ils se sont penchés sur ces problèmes et, sans esprit de fête, se sont attelés à trouver sur-le-champ les remèdes appropriés ; entendez par-là des remèdes à court terme qui, lentement mais sûrement, tiendront lieu de remèdes à long terme, et tous azimuts.
Les débats, empreints non seulement de vérité mais aussi de franchise et surtout de sincérité, ont suscité l'émergence de divers points de vue ; diversité dans l'unité, c'est-à-dire une diversité non seulement arrosée par un esprit commun, mais aussi charriée par un seul et unique courant de pensée. Ces points de vue ont, comme il fallait s'y attendre, généré mille et une suggestions, des suggestions fort intéressantes aussi bien dans leur conception que dans leur formulation.
Et dans cet élan de positivisme, enrichi d’un réalisme greffé sur le naturel, nos chefs d'État se réjouissent que ces suggestions aient permis de dégager des solutions révolutionnaires. C’est pourquoi, à l’émerveillement de tous, au fur et à mesure que les solutions ainsi préconisées rendaient les inquiétudes de plus en plus solubles, de moins en moins problématiques devenaient les problèmes. Alors, dans cette atmosphère combien féconde, rien d’étonnant que ces assises aient accouché de la plate-forme d'un plan d'action rapide. Ce plan, homogène tant au point de vue de la forme que du fond, la plupart, pour ne pas dire tous, oui, tous se sont accordés à le considérer comme la meilleure approche de solution finale, autrement dit, l’intense lumière à l’ombre de laquelle les pays francophones d’Afrique aborderont, non seulement avec plus de sérénité, mais surtout dans une vision globale de leur complexité, les problèmes. »

Et les murs faillirent s'écrouler sous les applaudissements nourris qui saluèrent ainsi « le succès des travaux ».
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J’ai lu ce livre à Bordeaux. C’est un récit qui nous plonge dans les eaux troubles de la politique : discours hypocrites, promesses creuses, culte du faux, recours aux coups bas, exaltation de la violence et du crime comme méthodes de conservation de l’exercice du pouvoir. C’est aussi une diatribe contre le Quai d’Orsay et l’Élysée, les deux mamelles de la dictature en Afrique francophone. Du sang sur le miroir est vraiment un chef-d’œuvre ! Mais je suis aussi de l’avis qu’il serait beaucoup plus intéressant que l’auteur sorte de l’ombre et se fasse connaître, lui et ses œuvres.
Florence A. Togla
Liège
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Et le général Télou se mit au travail. Il s’y tuait. Sa guerre, disait-il, était la paix. Sa bonne foi ne trompa personne. Des hommes, comme le président de la République en tuait ! Des femmes, comme le président de la République en tuait ! Chaque jour du sang jaillissait au Togo. Les exécutions avaient lieu sans aucune forme de procès, mais le général prenait soin de déclarer que c’était dans l’intérêt supérieur de la nation. Le pacifisme du régime Télou s’illustra davantage par les « opérations salvatrices » de l’armée. Ainsi, un homme se promenait-il au clair de lune ? Sitôt pris sitôt fusillé ! Une petite foule dans la rue ? Petite foule éclatée : au canon ! En somme, acharné qu’il fut à « vivifier la nation », le général allait le droit chemin, fidèle à son programme politique fort simple : le fusil !
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Un soir, le général et Dopé se trouvèrent seuls. Il était question d'un document confidentiel, si confidentiel que seul le lit du Guide parut l'endroit approprié pour « la chose ». Et le général Télou de se mettre à nu, et le général Télou de se jeter sur la jeune femme. Dans de pareilles circonstances, le comportement que prescrit le Livre vert de notre Révolution, c’est d’écarter les cuisses et sourire au Guide, ainsi s’offrir en « militante convaincue ». Dopé ! Elle se défendit ! Elle se défendit des poings, se défendit des pieds, se défendit tant et si bien que le président de la République fut soigneusement rossé...
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