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Après avoir lu une majorité de critiques dithyrambiques plus alléchantes les unes que les autres, du genre : "lire "Le Seigneur des porcheries" et mourir".... Après avoir bien compris qu'il y avait un "avant" et un "après" Tristan Egolf -selon certains-, et après avoir appréhendé pleinement le : "il y a ceux qui l'ont lu et les autres"(d'après les mêmes certains cités plus haut), je me décidai enfin à mettre mon nez dans ce présumé chef-d'oeuvre sans, je l'avoue, arriver à me défaire d'un soupçon de scepticisme face à cet enthousiasme général...

Et me voila donc ce soir, obligée, à mon corps défendant, de reconnaître que rien de ce que j'ai pu lire de si élogieux n'était usurpé...

Quel voyage mes amis ! Oui, vraiment... quelle lecture !
J'en suis encore toute retournée.

Certains parlaient du cap des cinquante premières pages, un peu trop denses, un peu rébarbatives. Pour ma part, dès les premières lignes j'ai été complètement envoûtée par le style hyper réaliste de Mr Egolf.
Ça veut dire quoi un style hyper réaliste ?... Juste que l'écrit a assez de rythme pour raconter "en temps réel" sans toutefois négliger le fonds du tableau. Juste que l'écriture suit le tempo de l'action, ralentit ou accélère selon l'intrigue.
Ainsi de certaines phrases pouvant faire 20 lignes, on passe à de courts échanges, vifs, rapides, on suit, ou pas.... On ne s'ennuie jamais en tout cas.

Donc Tristan Egolf nous parle du midwest américain.
Il nous livre une cruelle étude des moeurs et coutumes des habitants du coin. Certes on soupçonne quand même un brin de caricature mais peu importe, on est un lecteur avisé et donc on sait faire la part des choses...
Mais surtout, et c'est là le tour de force du livre, malgré la démesure, malgré les nombreux " nan! c'est pas possible!!!" on y croit dur comme fer et on adhère à cent pour cent au combat de notre héros.
Et quel héros !
Car c'est lui, ce John Kaltenbrunner...., qui tient le livre à bout de bras et nous amène à épouser sa cause. C'est lui qui nous apparaît à chaque page comme la pierre d'angle de l'édifice.
Et c'est encore lui qui nous donne l'émotion finale...

Que dire sans rien dévoiler ? Ici, c'est difficile... Alors, juste ça : " Allez-y, foncez, vous avez soif de destins atypiques, vous rêvez de révoltes, vous n'en pouvez plus des beaufs ni des blaireaux, vous fantasmez à longueur de journée sur le thème : "comment prendre l'avantage sur le boss ? ", alors allez-y, lisez "Le seigneur des porcheries" et jamais, jamais vous ne verrez plus la vie de la même façon.

Ce livre est un petit bijou. L'histoire en soi n'est pas si passionnante mais grâce à l'écriture acérée et si justement balancée entre drame et ironie, elle devient palpitante. L'humour proche du cynisme réjouit et nos sens et notre esprit. Car malgré la noirceur de l'histoire, on sourit beaucoup, on rit même....
Une pépite, une expérience, une réputation nullement usurpée.

Et l'émotion à chaque page qui nous étreint, qui nous agite... Et le bien. Et le mal. Et l'histoire de la frontière entre l'un et l'autre.
A jamais John Kaltenbrunner, tu resteras un héros, l'espoir des malmenés, des pauvres, des surexploités, et la mémoire vivante d'une Amérique rurale et ouvrière aux prises avec ses propres démons. le porte parole des "à part", des "anormaux", des différents.

Le libérateur, le pionnier de la révolte, le sacrifié... Sous la plume de Tristan Egolf, tu es devenu et resteras le prophète et le sacrifié...
Salut à toi et à bientôt....
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Une fois n'est pas coutume, j'ai lu le 4ème de couverture. Fameux exercice du 4ème de couverture qui est souvent critiqué et exacerbe (horripile !) certains : il en dit trop, il en dit pas assez, c'est du n'importe quoi, surtout ne le lisez pas (Spéciale Dédicace à un fan de Lehane). Comme le français est par définition râleur, grincheux et insatisfait il n'est jamais content de ce 4ème de couverture (Toute ressemblance avec un fan de Lehane serait fortuite et totalement imaginaire - je ne me permettrai pas de telle liberté). Donc, « le Seigneur des Porcheries » est résumé ainsi : Ce premier roman singulier commence avec la mort d'un mammouth à l'ère glaciaire et finit par une burlesque chasse au porc lors d'un enterrement dans le Midwest d'aujourd'hui. Entre-temps, on aura assisté à deux inondations, à quatorze bagarres, à trois incendies criminels, à une émeute dans une mairie, à une tornade dévastatrice et à l'invasion de méthodistes déchaînés ; on aura suivi la révolte d'une équipe d'éboueurs et vu comment un match de basket se transforme en cataclysme.

Vous doutez qu'il se passe autant d'évènements dans un seul bouquin, premier roman en l'occurrence de Tristan Egolf. Et bien ne croyez pas tout ça ! Car il s'en passe encore bien plus. Encore plus impressionnant et fabuleux que ces quelques lignes car l'histoire se déroule sur plus de 600 pages. Ce 4ème de couverture m'a donné envie mais me faisait peur également. La déception que je craignais n'eut pas lieu et le roman, devenu culte depuis, par quelques lecteurs sauvages, le mérite amplement.
Tout se passe dans la petite ville de Baker, sinistre bourgade du Midwest ravagée par l'inceste, l'alcoolisme, la violence et le racisme. Avec dans le rôle principal de ce cataclysme événementiel, un enfant du cru, John Kaltenbrunner, animé par une juste rancoeur et une farouche haine. Comment John se vengera-t-il de la communauté qui l'a exclu ? Jusqu'où des années de désespoir silencieux peuvent-elles conduire un être en apparence raisonnable ?

Vous aimerez bien le savoir ?

Et bien, il ne vous reste plus qu'à lire ce roman…

Ou continuer à me lire !

Mais avant tout, je vous propose de faire connaissance avec John Kaltenbrunner. John est né dans une cuvette de W.-C. à bord d'un train express filant à travers les bois au sud-ouest de Baker. Il a atterri à plat ventre sur la voie de chemin de fer de la Patokah avec une traverse de chemin de fer dans le cul, suivi par un kilo de placenta répandu sur le ballast sur deux kilomètre de long. Selon cette histoire, si John fut contusionné par une telle arrivée dans la vie, aucun de ses organes vitaux n'avait lâché. Vivant, il était, deux autres trains étaient passés au-dessus de lui, des vautours avaient gobé tout le placenta le long de la voie avant de s'attaquer à lui, juste avant qu'un dégénéré local l'ait recueilli. Voilà comment est né la légende « John Kaltenbrunner ».

Bien entendu, vous n'êtes pas obligé de me croire mais sinon comment expliquer que ce garçon ait engendré tant de haine en lui ?

Dans ce cas-là, il ne vous reste plus qu'à lire ce roman…

Ou continuer à me lire !

Certes, l'entrée en matière dans le roman fut difficile. Il a fallu que je me fasse violence pour pénétrer le petit monde de Baker, me sentir aussi minable et désespéré qu'un pestiféré pédophile. Ce roman n'est pas pour tout public. J'ai du avoir le courage d'accepter la pourriture qui sommeille en moi. J'ai du reconnaître qu'une part de moi est une bête puante et répugnante pour comprendre les motivations de John. Mais, plus j'avançais dans le roman, plus j'ai été happé dans le sillage de John Kaltenbrunner. Il y a des types que je croise dans la rue et auquel j'ai envie de leur cracher à la gueule. Et puis, il y a en certains, un tout petit nombre certes, qui mérite respect. John fait partie de ceux-là. Avec son caractère, son intransigeance, sa droiture et ses profondes motivations pour fomenter la révolution dans les rues de Baker. Oui, John m'a éveillé avec ses longues diatribes.

Une chose est sûre. On ne se remet jamais tout à fait d'un tel roman - ou d'une de mes chroniques !
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Je reprendrai bien une portion d'Amérique profonde…
J - 3 mois, John Kaltenbrunner bien calé dans le ventre de sa mère ne sait pas encore que son père, Ford Kaltenbrunner, vient de mourir dans l'explosion d'un tunnel de la mine où il travaille. Sa mère, Mme veuve Kaltenbrunner, assiste l'esprit ailleurs à son enterrement. Il ne sait pas encore que lorsque la vie devient capricieuse, elle est capable de foutre en l'air une existence rien qu'avec une simple tornade. Il se doute encore moins de ce que la mauvaise fortune lui a réservé. Mais comble du paradoxe, il réalisera sans le vouloir le projet initié par son père, le chaos total, ainsi que sa vengeance personnelle auprès d'une église de « cul bénis » malveillants et envers la petite ville qui le voit naître, Baker « plouc ville », cité des « Trolls », «citrons » et autres « rats de rivière ».
Le roman de Tristan Egolf est la biographie d'un homme que la chance ne harcèle pas, bien au contraire. L'histoire a un arrière-goût de « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole. On retrouve le même style d'anecdotes rocambolesques, la même fatalité et la confrontation incompréhensible entre le personnage principal et le milieu dans lequel il évolue.
Le style de l'auteur est parfois « faulknérien », de grands paragraphes d'une phrase avec moults énumérations.
La lecture est dense et croustillante bien qu'elle frôle parfois la confusion par l'effervescence d'éléments communs, de faits sans importance de la vie quotidienne, par le soucis de l'auteur de ne passer à côté d'aucun détail même insignifiant. Heureusement, le plus souvent la verve sarcastique de Tristan Egolf, son humour au vitriol sauve son texte de l'écueil de l'ennui. Pour exemple l'auteur écrit, parlant de John Kaltenbrunner qui s'adresse à Hortense, l'une des grenouilles de bénitier de l'église méthodiste : « Il se retourna vers le feu et annonça que, très bien, peut-être accèderait-il à sa demande absurde d'une discussion ouverte, en commençant par le fait qu'elle était la plus hypocrite péripatéticienne coprophile mâtinée de chienne en chaleur qu'il ait eu le malheur de croiser. Jamais, depuis le temps des cabarets clandestins à gin frelaté, aussi cupide maquerelle n'avait foulé les rues de Baker sous le masque d'une citoyenne respectueuse des lois. Elle était une imposture et une imbécile… »
Néanmoins, il y a quelques lourdeurs liées à des répétitions lors du passage du chaos apocalyptique qui s'abat sur la petite bourgade de bouseux primaires. le moteur de la narration toussote, devient poussif, mais pour vite repartir dans les tours vers une explosion surréaliste.
John Kaltenbrunner est la bombe « H » que Tristan Egolf lâche sur la petite communauté de Baker.
« le seigneur des porcherie » fait partie de ces oeuvres qui ont leur place à l'Elysée de la grande littérature américaine.
Après avoir présenté ce premier roman auprès de plus de soixante-dix maisons d'éditions américaines et essuyé autant de refus, Tristan Egolf part à Paris où il fait la connaissance de Marie Modiano qui le parrainera auprès des éditions Gallimart. « le seigneur des porcheries » est publié en 1998.
Traduction de Remy Lambrechts.
Editions Gallimard, folio, 607 pages.
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Ces "porcheries et son Seigneur" me faisaient de l'oeil depuis de longues années, en partie pour ce titre insolite, mais surtout pour cette jaquette photographique de Dorothea Lange, dont j'adore les clichés des populations de migrants pendant la Grande Dépression.

Avorton limite autiste, intelligent mais totalement asocial, orphelin de père et "pas gâté" par une caricature de mère, John Kalterbrunner a tiré un bien mauvais numéro à la loterie de la vie, doublé d'une déveine phénoménale.
Et de catastrophes naturelles en cruautés sectaires de la société, il devient l'adulte vindicatif le plus honni, pour le pire cataclysme que sa région ait connu.

Rien de plus à ajouter... histoire de laisser les lecteurs qui s'y risquent découvrir une prose foisonnante et l'audace de la trame narrative.

Ecrit en 1998, ce livre est un ovni littéraire jubilatoire, à la verve fleurie.
Certains n'ont pas hésité à crier au chef d'oeuvre. de par son statut de premier roman, par son délire verbal, par la richesse de l'écriture et par la plume provocatrice et excessive de son jeune auteur, il est d'autant plus remarquable que la vie de Tristan Egolf est une aventure en soi, jusqu'à ce qu'il décide lui-même de tirer sa révérence en 2005.

Le livre sidère, éreinte, énerve, amuse. Il dénonce une Amérique étriquée, sectaire et pudibonde, un milieu rural d'une bêtise finie, où les culs terreux sont des trolls, les enfants des lombrics et les dames puritaines des harpies.
Une société laminant les individus, réduits à la misère économique et à la solitude.

C'est absurde, grinçant, irrévérencieux.
Une lecture joyeusement féroce et un livre qui va rejoindre ma caisse pour une ile déserte.



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Avertissement : je parlerai beaucoup ici de la Conjuration des Imbéciles, de John Kennedy Toole, car je sais que ce roman jouit d'une grande notoriété - si vous l'avez aimé alors vous devez impérativement lire le Seigneur des Porcheries, qui mérite autant d'éloges, voilà ce que je voulais dire.

Bonjour, allons droit au but : ce roman est une oeuvre à lui seul. Il est génial, mystique, c'est un chef d'oeuvre, un monument de la littérature américaine ou contemporaine, ou encore, un monument de la littérature tout court.

Attention, nous parlons de littérature américaine haut de gamme - et non de quelques ivrognes égocentriques amoureux de Céline (oui je fais référence à la beat génération), et nous parlons encore moins des auteurs américains actuels, qui semblent tous sortis du même "stage professionnel & payant pour devenir écrivain".
Non, le Seigneur des porcheries fait partie de la glorieuse filiation de Steinbeck plutôt qu'à la molle et avinée progéniture de Bukowski ! Steinbeck pour le style, et pour le milieu social exposé, mais un Steinbeck en colère, qui l'aurait vraiment mauvaise et que rien, hormis un chaos massif, ne saurait calmer !
Jamais roman ne s'attaqua si ouvertement à ce que l'auteur considère comme l'esprit américain, et que l'on pourrait résumer en ce mot : l'hypocrisie. Bigoterie criminelle, racisme systématique, alcoolisme de masse, volonté de maltraitance d'hommes que la communauté désigne comme socialement inférieur à la plèbe, voici les thèmes abordés. Un spectacle qui pourrait se constater partout où vivent des hommes, dans n'importe quelle communauté sur la planète, dans chaque ville ou province administrée par des élus complices et incompétents et où s'étale une population d'exploités en perte de valeurs morales ayant besoin de souffres-douleur juste pour tenir le coup.

Le genre humain n'en sort pas grandi, certes, et les mauvaises langues pourraient voir dans ce roman l'expression d'un discours misanthrope - mais que c'est drôle, malgré tout ce drame ! Seuls deux livres m'ont fait rire aux éclats : celui-ci, et La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Lire et exploser de rire dans un métro aux heures de pointe est une expérience rare qui mérite d'être tentée. Car voici l'un des nombreux talents de l'auteur, transformer le plus sombre de l'humanité en matière à comédie. Il existe plusieurs parallèles entre ce roman et La conjuration des Imbéciles. le rire bien sûr, j'en ai parlé, puis l'action qui semble dans les deux cas se dérouler autour des années 60 - alors que contrairement à Toole, Tristan Egolf est un auteur de notre époque né dans les 70. Un parallèle serait aussi à faire quant aux difficultés qui virent leurs deux romans respectifs à être édités - on peut voir là une preuve de l'incompétence des maisons d'éditions américaine équivalente à celle de leurs consoeurs françaises, ou au contraire, on peut considérer que les maisons d'édition américaines furent extrêmement lucides sur la charge violente du livre contre le peuple américain. Un autre point commun, le destin malheureux des deux auteurs. Et aussi cette chose magnifique, alors que Tristan Egolf n'était pas encore venu au monde, John Kennedy Toole résuma en une phrase son livre le Seigneur des Porcheries :
« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui. »

Car il s'agit là de l'histoire du Seigneur des Porcheries. Celle d'un enfant surdoué, qui sous prétexte de sa différence , se verra maltraité par la communauté. Résultat, l'enfant une fois grandi utilisera ses (grandes) capacités intellectuelles pour se venger.
L'enfant est présenté comme "si surdoué" que j'ai considéré le début de ce livre comme un conte moderne, plus que comme une histoire réaliste - alors que la dernière partie apocalyptique m'a paru au contraire extrêmement réaliste …
Mais il y existe une différence fondamentale entre la Conjuration des Imbéciles et le Seigneur des Porcheries. Dans le premier roman cité, J.K.Toole nous offre le luxe de considérer que le tableau peu glorieux qu'il fait de ses contemporains est peut être la perception d'un type devenu fou. J.F.Toole devait être un garçon gentil. Dans le Seigneur des Porcheries, Tristan Egolf n'offre pas cette politesse au lecteur, parce que ses quelques héros sont si courageux, si entiers et intelligents qu'on ne peut que rire de dégoût avec eux lorsqu'ils nous présentent les habitants de Baker, la lie de l'humanité, les "trolls", comme ils les appellent.

Après avoir fini ce roman, et comme pour J.K.Toole, j'ai regretté la fin prématuré de Tristan Egolf. Quels autres livres aurait-il pu écrire ? Qu'aurait-il pu nous apprendre ? Et il est bien dommage que l'édition de ce grand auteur ait plus tenue de la dysfonction qu'au travail sérieux d'un éditeur - Tristan Egolf a eu la chance de croiser une bourgeoise à Paris qui avait ses entrées chez Gallimard.
Mais pour ne pas finir sur ces considérations tristes et terminer sur du rire, j'ouvre une page au hasard du Seigneur des Porcheries, page "305", et je recherche quelque chose de marrant à vou écrire au hasard :

" A cinquante-six ans, Kunstler était la quintessence de la racaille blanche à haute énergie, avec l'un des caractères les plus rances qui se puisse trouver sur aucun continent. "

Bonne lecture !


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Je viens de terminer un OVNI, ou plutôt un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié ).
Le seigneur des porcheries (le titre original est un tantinet plus long... Lord of the Barnyard killing the fatted calf and arming the aware in the Corn Belt... traduit par : le seigneur des porcheries, le temps venu de tuer le veau gras et d'armer les justes...) de Tristan Egolf, jeune auteur trop tôt disparu (à 34 ans en 2005).
Premier roman et destin incroyable. Refusé par toutes les maisons d'édition aux États-Unis,  c'est notre Gallimard qui le repère et lui donne vie. Pour le plus grand bonheur de lecteurs tous plus enthousiastes les uns que les autres.
Roman dense, riche, loufoque, noir. Mélange des genres.
Quand je l'ai ouvert, je me suis demandé combien de temps je mettrai à lire ses 600 pages. Et puis, ça c'est fait tout seul, naturellement, à peine le posai-je que j'avais déjà envie de le reprendre. Pourtant ce n'est pas une lecture aérée. Les chapitres sont longs, les dialogues ne sont pas ressortis du texte, pas de page blanche...
Le seigneur des porcheries c'est le destin de John Kaltenbrunner, lié à une petite ville du midwest, Baker. C'est là qu'il va faire les 400 coups.
Digne héritier d'un père qu'il ne connaitra jamais et sur les pas duquel il compte tracer sa vie.
À l'école il préfère la ferme.
A ses condisciples il préfère les animaux.
Il pourrait être heureux et oisif. Il n'en sera rien.
La faute à Hortense, cette religieuse méthodiste qui va briser sa vie, lui enlevant tout, jusqu'à l'amour de sa mère.
Sa vie ensuite n'est faite que de dérapages et d'erreurs.
Et puis un jour...
Le voilà qui débarque chez les boueux (éboueurs) , et c'est toute la vie de Baker qui va s'en trouver bouleversée.
Trouvera-t-il enfin la paix et la reconnaissance ?
Ce roman est incroyable,  parce que indéfinissable, inclassable.
Malgré quelques longueurs on a envie d'aller plus loin, de suivre ce personnage atypique.
On se demande bien pourquoi les éditeurs américains n'ont pas voulu de ce récit. 
Ah si, moi, j'ai bien une idée. L'Amérique qu'Egolf nous décrit n'est pas très reluisante...
Baker, c'est tous les travers de l'humanité réunis.  Les rats de rivière, les citrons, la plèbe,  c'est la consanguinité, l'alcoolisme,  la violence , le racisme et l'emprise de certaines communautés religieuses.
Elle est peut-être pas belle cette Amérique-là mais ça donne un p***** de bon roman.
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Sous-titre : le temps venu de tuer le veau gras et d'armer les justes.
John Kaltenbrunner est né à Baker, minable bourgade du Midwest qui compte nombre d'alcooliques, de consanguins, de racistes violents, de bigots dégénérés et d'émigrés agressifs. « Les bars étaient le creuset de l'idiosyncrasie de Baker. » (p. 265) Unique rejeton de Ford Kaltenbrunner, gloire locale décédée dans des circonstances floues, John est un enfant asocial, généralement considéré comme attardé et pourtant doué d'une formidable intelligence. À dix ans, il est déjà à la tête de sa propre exploitation agricole et se désintéresse complètement de l'école. Volontaire, ambitieux et dur à la tâche, John est malheureusement victime d'un nombre extraordinaire de revers de fortune, chaque jour apportant son lot de galères et d'emmerdements. « Sa vie entière resta par définition un incroyable enchaînement de coups de poisse. » (p. 20)

En prison à quinze ans pour avoir ravagé la propriété familiale, John enchaîne ensuite les boulots les plus minables de Baker, tant à l'usine d'abattage de volaille qu'à la décharge publique. Continuellement rejeté de la communauté à laquelle il désespère d'appartenir, sans cesse en proie à des vexations et à des injustices, John nourrit en lui un ressentiment si profond que celui-ci ne pourra s'exprimer que dans une manifestation extraordinairement putride. Dans le sillage de John, les laissés pour compte et les minables de Baker se rassemblent et se préparent à se venger de la ville dans une révolte boueuse et sanglante.

Le seigneur des porcheries est le récit de l'existence tourmentée de John Kaltenbrunner, homme capable de se tailler une légende de son vivant, dont l'histoire suscite l'effroi dans une ville où il a laissé tant de décombres. « Son nom était devenu une marque familière généralement associée à tout ce qu'il y avait de pourri dans la Création. » (p. 16) Mais pour rendre justice à cet homme responsable de plusieurs incendies, d'un nombre incalculable de bagarres, d'inondations, d'émeutes et d'un déferlement d'ordures sur Baker, il faut un travail patient et objectif autant qu'il est humainement possible. « D'où ce récit : une tentative de mêler archives publiques, folklore local et épopées de basse-cour en un récapitulatif chronologique, basée sur des faits et d'une lecture agréable, compilée par le contingent des nègres verts/torche-collines de Pullman Valley. » (p. 576) Plus victime que coupable, John Kaltenbrunner est un antihéros magistral, un poissard mythique dont il est impossible de ne pas prendre le parti. L'homme est infâme, odieux, rongé jusqu'à l'os par l'alcool et la colère, mais il suscite la sympathie que méritent les magnifiques perdants oubliés par la fortune.

Ce roman m'a souvent rappelé le roi des Aulnes de Michel Tournier. À l'instar d'Abel Tiffauges, John Kaltenbrunner est un être dérangeant et brillant qui s'épanouit dans le chaos. Baker est un monde âpre et dur, violent comme dans un roman de John Steinbeck qui serait frappé d'éthylisme morbide et trempé dans un bain d'immondices. Attention âmes sensibles ! le récit en lui-même est déjà à la limite du supportable, mais le ton qui le délivre va vous vriller les nerfs. Les situations n'ont rien de drôle, mais il en résulte un humour ravageur et vachard, tant l'absurde côtoie l'irrévérencieux et l'improbable. Rien n'est épargné dans ce texte, et surtout pas les bigots. « Chacun savait que les pour les catholiques Jésus était le fils de Maris, pour les baptistes il était le sauveur, pour les juifs il n'était rien et pour les méthodistes il était une déduction fiscale. » (p. 170)

Vous cherchez un roman qui vous fera rougir et suffoquer à chaque page ? Lisez le seigneur des porcheries. Vous voulez choquer Belle-Maman lors du prochain repas de famille ? Parlez-lui du Seigneur des porcheries. Vous avez besoin d'un texte qui vous sorte de votre torpeur et vous rassure sur votre santé mentale ? Ouvrez le seigneur des porcheries. Je vous promets des nuits sans sommeil : ce livre colle aux doigts et aux yeux comme une poix, et on en redemande.
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Pas facile cette lecture !
Oh non, ce ne sont ni le thème, ni l'écriture qui m'ont freinée dans la lecture, mais la désespérance qui suinte de partout. J'ai dû faire pas mal de pauses pour reprendre ma respiration et ne pas me laisser envahir par toute la compassion que je témoignais à ce héros (mais est-ce bien le mot ?), tombé du nid, se relevant et retombant sans cesse devant l'indifférence générale.

Les braves gens n'aiment pas que... Comme disait l'ami Brassens et dans ce roman, c'est un axiome que l'on trouve à toutes les pages ou presque.
Dès son plus jeune âge, John est différent des autres. Il s'ennuie sur les bancs de l'école et n'est passionné que par l'exploitation de la ferme familiale qu'il mène de mains de maître. Il dort à l'école, ne s'y présente que contraint et forcé et personne, non personne, même pas sa mère, ne se pose des questions quant à son comportement. Ni les instituteurs qu'il croise, ni les policiers qui l'emmènent en classe, ni les grenouilles de bénitier qui veulent soigner son âme.
Il devient pour les autres une tête de turc, jusqu'au moment où il se rebelle et jusqu'au moment où une pluie d'événements malchanceux lui tombent dessus...

Mais qui pourrait le comprendre, quand tout le monde est là pour tirer profit des plus humbles que soi, quand tout ce qu'il côtoie n'est que crasse, alcool, bagarre. Il est quasi mutique mais il observe l'humanité autour de lui et ce qu'il voit ne l'encourage pas à aimer son prochain, et surtout pas les bigotes de service, vraies harpies aux doigts crochus. La perversion touche tous les niveaux : éducation, police, justice, etc. A croire que la région de Baker (au fin fond des Etats-Unis), n'est peuplé que d'un ramassis de l'humanité, de brutes alcoolisées...
John va souffrir, endurer, supporter toute la méchanceté, le racisme, l'hypocrisie, la bêtise, mais doté d'une intelligence fulgurante, sa vengeance sera à la hauteur des traumatismes subis.

Une lecture difficile mais un beau roman qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus. Et quand même une lueur d'espoir dans toute cette noirceur, l'amitié qui lie John à Wilbur, et d'une certaine façon à ses autres compagnons de galère, les boueux, ceux qu'on estime autant que les ordures qu'ils évacuent de la ville.
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John Kaltenbrunner n'a pas dix ans qu'il réclame à sa mère des moutons. Berger tenace puis agneau de dieu, bouc émissaire tout autant que cavalier de l'apocalypse, John est une figure clairement christique - au point que son auteur, Tristan Egolf, s'est flingué à 33 ans.
Les références bibliques sont constantes. John récupéré, tel Moïse, au milieu des roseaux, « John [...] canonisé en une figure éculée d'antéchrist et nous, en ses apôtres, les proverbiaux torche-colline », « John l'Immaculée Conception. John le charpentier », John érigeant « une flagrante caricature de la croix sur sa propriété. », John « chassant à travers un plateau une harde terrifiée d'habitants de Baker nus et réduits en esclavage. Il était nimbé d'une lueur éthérée et [...] les menait comme s'il était leur berger, et Bucéphale grondait, et la winchester tonnait, et leurs corps tombaient à travers le ciel ouvert comme des sacs d'aliment pour bétail avant d'être empalés, défoncés et déchiquetés par les escarpements dentelés des colonnes de calcaire. Et John parcourait lentement le rebord loin au-dessus, l'étalage panoramique de la mer ouverte étendu et dévalant devant lui, la foule morte éparpillée sur la plage ayant enfin reçu le signal de se taire. », John qui « était descendu de la croix, dans une certaine mesure. », John « sachant qu'il ne mourrait jamais : le Jourdain n'était pas assez grand. », John au « regard baissé sur chaque sol d'usine d'ici à Jérusalem », etc.
Mais ce J.K.-là tend moins l'autre joue qu'il n'apporte l'épée. D'autant plus qu'il connaît par coeur « l'Internationale » et qu'il relève les damnés de la terre plutôt que les paralytiques. John est torturé, arrêté et il meurt conspué par la foule mais ses disciples seront augmentés et découvriront l'autogestion.
Ce livre se permet d'être à la fois poignant et hilarant, écrit par un évangéliste qui s'appellerait plutôt San-Antonio que Saint-Jean. « L'état de madame veuve Kaltenbrunner avait incontestablement empiré en l'espace de quelques petites heures. Elle semblait s'être tranquillement métamorphosée en rutabaga au cours de la nuit. C'était écoeurant. Elle était mûre pour les urgences » Quelqu'un capable de nous narrer l'atroce finitude de la condition humaine en comparant sa mère malade à un rutabaga est à canoniser d'urgence.














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Petit biquet deviendra grand…pourtant, personne ne l'aurait parié. Et c'est peut-être justement parce que personne ne l'aurait parié que John Kaltenbrunner est devenu l'ogre qui dévora Baker, sa bourgade natale.


Baker : encore un coin reclus des Etats-Unis, dégénéré en quelques siècles et décennies de consanguinité et d'immigration –comme si tous les pires relents de l'humanité s'étaient concertés pour se retirer dans une zone encore inhabitée du Nouveau Continent. Les pires ne sont pas ceux qu'on aurait pu imaginer –clochards, alcooliques, apatrides- mais surtout ceux qui, se distinguant à peine de ces catégories par le port d'un costume propre et d'une voiture fonctionnelle, se croient disposés à faire valoir leur loi éculée à la manière de petits rois furibonds. La crainte d'être minable semble d'autant plus grande que les probabilités de l'être sont avérées. Heureusement, Baker est une petite ville, et ses habitants semblent avoir trouvé un moyen de décharger leur angoisse de dépréciation sociale en lui permettant de s'incarner en l'un d'entre eux. La décharge cathartique ne s'effectue jamais consciemment : ainsi, John Kaltenbrunner ne sera pas élu du jour au lendemain comme représentant sur pattes de la cruauté de ses congénères, mais la pertinence de son élection se renforcera au fil des mois et des années, au gré de ses bizarreries comportementales, de ses passions obsessives, et d'une certaine forme de génie inquiétante.


Dans un climat de conte médiéval chargé de symbolique et d'inventions retorses, la légende autour de John Kaltenbrunner se forge peu à peu. Orphelin de père, mère sans joie, les sources de sa naissance ameutent les fantasmes les plus glauques. John s'élève d'un terrain stérile qu'il essaie de cultiver avec rage et acharnement ; alors qu'il a seulement neuf ans, il réussit à transformer la ferme familiale, la rendant non seulement productive et rentable, mais ne cessant outre de lui donner les moyens de s'agrandir et de se diversifier. John est un maniaque au génie agricole, acharné au travail, mais aussi profondément asocial. On comprend la fascination et l'effroi des habitants de Baker, et la transformation progressive de leurs sentiments en une traque acharnée contre ce pauvre hère qui s'est distingué de ses semblables sans jamais avoir semblé le vouloir.


Les atteintes portées au génie de John –aux seules émanations de la grâce qui parviennent à s'extirper de Baker- sont d'autant plus cruelles qu'elles révèlent la bassesse des intentions et qu'elles ne parviennent jamais totalement à miner leur victime. Au contraire, John Kaltenbrunner se gonfle et s'enorgueillit de sa vigueur, et résiste à tout va aux destructions, aux brimades, aux violences et à la diffamation. Pas un incendie, pas un saccage, pas un accident ne le feront dévier d'un aboutissement que lui seul semble connaître. En tentant de l'annihiler, les habitants de Baker finissent en réalité de parfaire sa constitution extrême. Son acharnement monomaniaque ne sera plus dirigé dans la construction d'un empire agricole mais dans la destruction de cette communauté flagellatrice.


Tristan Egolf possède un peu des caractéristiques de son personnage : avec une frénésie qui semble entièrement dirigée dans la volonté de décrire un microcosme poisse –sorte de terrain d'expérimentation pour humains dégénérés-, les descriptions s'enchaînent dans des envolées vers les recoins les plus obscurs de l'âme humaine, à un rythme soutenu ne laissant aucun répit. En tant que lecteur, il nous faut souffrir autant que John, et il nous faut ressentir la cadence effrénée de son destin. La première partie du Seigneur des porcheries est une ode à la destruction majestueuse. Mais une fois le climax atteint, la deuxième partie du livre se déroule avec un intérêt diminué, peut-être parce que John Kaltenbrunner, personnage désormais achevé et gonflé de haine à ras-bord, s'efface derrière la narration des employés de la décharge de Baker. C'est à travers eux que John décide en effet de prendre sa revanche, parce qu'ils représentent les déshérités de Baker –comme lui-, alors que sans eux, Baker croulerait sous les détritus. Même si le déchaînement revanchard et machiavélique des opérations menées par John ne fait pas perdre de sa frénésie au roman, celui-ci perd toutefois sa capacité à nous émerveiller. On comprend dès lors où veut nous conduire Tristan Egolf, et si l'acharnement de la plèbe contre John n'était pas vraiment compréhensible et pouvait susciter notre horreur dans la première partie du livre, le désir de revanche de John qui fait l'objet de la deuxième partie du livre semble légitime au point que ses pires machinations susciteront à peine l'étonnement.


Malgré tout, cet émerveillement sordide en partie occultée, il reste que le Seigneur des porcheries n'a pas fini de nous tourner dans la tête… Destin baroque, mystérieux… John Kaltenbrunner ne s'est pas exprimé une seule fois au cours des quelques quatre cent pages qui constituent le tracé de son itinéraire, et comme les habitants de Baker, nous devrons accepter l'idée de ne pas tout savoir.


« de toute notre existence, nous n'avions jamais vu quelqu'un qui soit animé d'une énergie aussi farouche. Plusieurs d'entre nous avaient approché Wilbur pour lui demander quel était le problème. Avait-il perdu tout son arbre généalogique dans une collision en chaîne de douze voitures ou quoi ? Des problèmes avec sa bonne femme ? Etait-ce la drogue ? Etait-il en conditionnelle ? Il devait y avoir une explication. Vu dans les rétroviseurs du camion, il semblait assouvir la soif de sang d'une vie entière sur quelques sacs d'ordures. Il en avait manifestement contre quelqu'un ou quelque chose, et nous n'étions pas entièrement sûrs que ce n'était pas nous. »


En cherchant à le détruire avec véhémence, la plèbe de Baker cherchait peut-être simplement à révéler quelque chose qui puisse être compréhensible dans le comportement de John. Ne reste qu'une légende, mais si parfaitement retranscrite que nous aurons l'impression de l'avoir vécue nous aussi…

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