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Critique de Presence


Ce tome comprend une histoire complète initialement parue en 8 épisodes (de 0 à 7) en 2007/2008. Elle s'inscrit dans une trilogie thématique sur les superhéros par Warren Ellis : (1) Black Summer, (2) No Hero et (3) Supergod.

Tom Noir, un homme unijambiste (il a un moignon au niveau du genou gauche), se regarde dans la glace. Puis il se dirige vers son fauteuil dans une pièce dont le ménage n'a pas été fait depuis des semaines, pour se coller devant la télé. CNN diffuse une émission en direct dans laquelle apparaît John Horus (un superhéros revêtu d'un costume blanc maculé de sang avec des sphères technologiques lévitant autour de lui) annonce qu'il vient d'assassiner le président des États-Unis, plusieurs de ses conseillers et quelques membres de la sécurité qui ont essayé de s'interposer. Il explique que le président avait abusé de la confiance des électeurs en cautionnant une guerre en Irak, l'emploi de généraux par des entreprises privées de sécurité, etc. Après le choc de cette émission, Tom Noir répond à un coup de sonnette. Il se trouve face à face avec Frank Blacksmith qui vient lui annoncer qu'il a amené un garde du corps avec lui pour exécuter Tom.

Dès la couverture et les premières pages, le lecteur découvre des illustrations regorgeant d'informations, exigeant une attention de lecture soutenue. Juan Jose Ryp est un obsédé du détail et il accorde la même attention aux éléments de premier plan, qu'à ceux de second ou d'arrière plan. Il ne hiérarchise par l'information visuelle, il reste le plus fidèle possible à tous les détails, comme s'il prenait des clichés au fur et à mesure de chaque séquence. C'est ainsi que dans la salle de bain le lecteur peut contempler les 2 tuyaux d'arrivée d'eau sous le lavabo, le siphon avec sa partie démontable, l'eau qui fuit, le seau placé en dessous pour récupérer l'eau, etc. Ces éléments sont au même niveau de valeur visuelle que Tom Noir se contemplant dans la glace en premier plan. Ryp respecte bien sûr les règles fondamentales de la perspective, mais il ne guide pas l'oeil du lecteur, il le laisse trier la masse d'informations visuelles. Ce procédé atteint son apogée lors des scènes de carnage, avec moult destructions et débris. Il ne manque pas un morceau de maçonnerie, pas une canalisation éventrée, pas un fer à béton, pas un bout de bidoche. À partir des fragments de maçonnerie disséminés dans la page, le lecteur peut même reconstituer la forme du mur, il ne manque ni un morceau, ni la logique de répartition des débris après le souffle de l'explosion. Pour augmenter le niveau de violence, Ryp n'hésite pas à parsemer les cases de giclées d'hémoglobine.

Ce mode de narration graphique présente un gros avantage : le lecteur peut s'immerger dans chaque endroit, au coeur de chaque action, dans chaque explosion de superpouvoir. La contrepartie réside dans le temps de lecture, la concentration nécessaire au déchiffrage, par rapport à des dessins classique où l'artiste guide le lecteur dans la lecture. C'est un style qui évoque celui de Geoff Darrow dans Hard Boiled et Big Guy. Ryp dessine des visages moins peaufinés que ne le fait Darrow. Il a une tendance à abuser des individus qui sont en train de serrer les dents, elles mêmes découvertes dans un rictus qui fait s'entrouvrir les lèvres.

Dans ce récit, Warren Ellis part du postulat que très récemment une bande d'étudiants, aidés par une agence gouvernementale, a réussi à augmenter les capacités de 7 individus rassemblés dans une équipe baptisée Seven Guns : Kathryn Artemis, John Horus, Tom Noir, Zoe Jump, Angel One, Dominic Atlas Hyde, Laura Torch. John Horus a fini par estimer que les élus américains, à commencer par le président, avaient trahi le peuple et qu'il est temps de redonner sa chance à ce dernier. Il s'en suit des destructions gigantesques au fur et à mesure que John Horus canalise les actions militaires menées contre lui, qu'il se retrouve face aux anciens membres des Seven Guns et que ces derniers sont soupçonnés de collusion avec lui. À partir de cette illustration de la maxime de Lord Emerich Acton (le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument), Ellis s'intéresse à la fois au niveau de destruction des affrontements, et à l'idéologie sommaire de ces superhéros. de ce fait, l'histoire reste avant tout un récit d'action, avec quelques points de vue politiques primaires justifiant les affrontements. Ellis mêle un peu de rébellion, avec un soupçon de paranoïa (rien d'exagéré) et la question de la représentation du peuple. Mais ces considérations restent au second plan. Au fur et à mesure, Ellis s'attache surtout à montrer que chaque individu agit pour ses motivations propres et que le concept d'intérêt commun n'est finalement qu'un prétexte pour les uns et les autres.

Sous réserve d'apprécier le style graphique très dense, cette histoire propose un gros défouloir avec un niveau de violence élevé et quelques amorces de réflexion. Avec ces dernières, Warren Ellis met l'eau à la bouche de ses lecteurs, en faisant miroiter ce qu'aurait pu être une vraie réflexion sur le sujet. Mais ici, son intention d'auteur est de montrer que ces superpouvoirs ne peuvent pas coexister avec une humanité traditionnelle et que leur utilisation sans éducation politique de leurs détenteurs ne peut conduire qu'au désastre. En tant que défouloir cathartique, cette histoire mérite 5 étoiles ; en tant que récit de réflexion elle n'en mérite que 4.
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