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Pierre Marquès (Illustrateur)
EAN : 9782070437757
128 pages
Gallimard (26/08/2010)
3.28/5   25 notes
Résumé :

Manuel de terrorisme à l'usage des débutants, ce livre, agrémenté d'une cinquantaine d'illustrations, renseignera utilement l'amateur de savoir-vivre, et si nécessaire, de savoir-mourir.

Pour éclairer sa lanterne - comme Virgilio, un apprenti artificier des îles Caraïbes -, il profitera des dix leçons de sagesse d'un maître en ces matières explosives.

Les auteurs tiennent à décliner toute responsabilité quant aux conséquen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
N°990– Novembre 2015

BRÉVIAIRE DES ARTIFICIERS – Mathias Enard – Gallimard.
Illustration de Pierre Marques.

Quand, dans ma volonté de découvrir l’œuvre de Mathias Enard, j'ai ouvert de roman, je dois dire que les événements que nous vivons depuis plusieurs mois, qui menacent durablement notre démocratie et notre art de vivre à la française, étaient bien présents à mon esprit. C'est, certes « un manuel de terrorisme à l'usage des débutants » comme l'indique la 4° de couverture, mais c'est surtout une histoire un peu surréaliste, qui se passe de nos jours, celle de Virgilio, un esclave caribéen un peu naïf qui reçoit de son maître un enseignement en dix leçons pour devenir un parfait artificier. Ce maître, solitaire et âgé, va lui enseigner par l'exemple comment venger des siècles d'oppression des maîtres sur les esclaves, des blancs sur les noirs, des colonisateurs sur les colonisés, bref comment déstabiliser une société trop bien établie sur cette injustice. Il va lui détailler non seulement l'aspect technique d'une telle action subversive mais aussi développer des arguments religieux, philosophiques, sociologiques, moraux, médiatiques qui, à ses yeux, font du terrorisme un art. Il l'incite à apprécier ce qu'est « un bel attentat », l'invite à entrer dans sa confrérie de tueurs.

Je n'ai pas pu lire ce livre qui est une fable, sans en alterner la lecture avec le suivi de l'actualité. C'est certes une fiction qui fait appel à la philosophie et la culture, toute choses qui sont absentes du cerveau des assassins du « Bataclan » et de « Charlie » et il convoque sans doute Camus sans le citer [« Mal nommer les choses, c'est rajouter du malheur au monde »]. Dans le domaine « descriptif et métaphorique» de son propos qui s'inscrit dans cette grande foire d'empoigne qu'est notre monde, ce maître révolutionnaire n'oublie personne et dresse pour un Virgilio de plus en plus dubitatif un portrait peu reluisant de la société qui nous entoure. Ce livre est présenté sous le couvert de l'humour mais, à la lumière des événements récents, et de ce qui sans doute se prépare, je ne suis pas sûr d'avoir vraiment ri ou même souri, tant ce qui est écrit évoque des épisodes meurtriers qui ont endeuillé notre démocratie. Il nous rappelle qu'il ne faut pas se laisser abuser par les apparences et endormir par la torpeur d'une actualité où rien ne se passe mais où toujours quelque chose se prépare. Certes, dans un excès d'humour, le maître confesse que la seule chose qu'il peut revendiquer c'est un « attentat à la pudeur » ou plus simplement la destruction d'un palmier, symbole du tourisme dans cette île du soleil ; ce serait pour lui se libérer d'une logique économique asservissante, une sorte de mouvement de résistance que n'auraient désapprouvé ni Eluard ni Aragon ni Char. C'est sans doute un peu trop cérébral, trop intellectualisé, pas si comique que cela, mais quand même efficace. L'air de rien, l'auteur procède par images simples voire anodines mais qui, à bien y réfléchir, nous rappelleront quelque chose et forcément pas les plus agréables. Il met en scène les jésuites, ce qui n'est pas neutre, et par là instille une dimension religieuse à son propos. Chacun y donnera la signification qu'il souhaite. Alors, texte volontairement politiquement incorrect, désir de rire de tout ou envie de faire dans le dérisoire. Pourquoi pas ? Les dessins de Pierre Marquès participent de cette démarche ironique qui, sous la plume d'Enard, donne une coloration culturelle au terrorisme. Il illustre même son propos d'exemples d'une déconcertante mais pertinente logique qui témoignent d'une réflexion sérieuse de la part de son auteur, d'une grande connaissance de l'espèce humaine capable du meilleur comme du pire et pour qui plus un mensonge est gros plus il est crédible. Cela n'exclut évidemment pas ni la subtilité ni la discrétion, qualités dont sont dépourvus ceux qui ont semé la mort dans le monde démocratique. Je les imagine incultes, dogmatiques et seulement animés d'une volonté aveugle de tuer, mais c'est sans doute un autre débat. Je me souviens que dans ma jeunesse on a beaucoup parlé du « péril jaune » ; c'est bien un péril qui nous menace, mais on s'était seulement trompé de qualificatif tout en se campant dans la béate certitude que rien ne pouvait nous arriver.

Comme d'habitude, ce texte regorge de références érudites et même des remarques gastronomiques (mais pas seulement), le style est agréable et le tout m'a procuré, malgré la dramatique actualité, un bon moment de lecture. Lire et aussi écrire seront toujours pour moi un antidote aux événements délétères qui nous entourent. Je le redis ici, bien avant qu'il n'obtienne le prix Goncourt, je me suis intéressé à l’œuvre de Mathias Enard parce que je l'ai jugée originale et digne d'attention.
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Depuis le temps que je dis que la seule chose que je reproche à Mathias Enard, c'est qu'il n'a pas trop d'humour, je vais pouvoir réviser ma position…

Cela commence aux Caraïbes, un nègre-esclave qui raconte dans une prose très XVIIIe siècle sa détestation pour son maître. Celui-ci utilise sa révolte pour lui faire partager peu à peu la cause du terrorisme, auquel il l'initie progressivement sous tous ses aspects : moraux, politiques, médiatiques, pragmatiques voire curieusement gastronomiques…. Par quelques allusions ici ou là, on se rend compte finalement qu'on est au XXIe siècle, que les Twin Towers sont tombées…

C'est donc, par le biais d'un roman plutôt ludique, une promenade-dissertation sur le thème du terrorisme. Les dessins au crayon de Pierre Marquès sont d'une précision souvent loufoque, maison ne leur trouve pa sla charge émotionnelel qu'ils pouvaient avoir ailleurs. Extrêmement bien écrit, très agréable à lire, plein de considérations mi-érudites mi plaisantes, ce livre fait passer un bon moment mais n'en est pas moins oubliable.
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Le terrorisme historique en sérieuse farce culinaire et manipulatoire.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2016/10/24/note-de-lecture-breviaire-des-artificiers-mathias-enard/
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Livre un peu particulier, j'écris cette critique avec du recul.
Ensuite des personnages intrigants et un peu attachants avec un plan farfelu et une philosophie particulière.
Le tout est décalé, ce lien rapidement.
Il est vraiment très joliment illustré
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J'adore!Un pur délice!Une satire brillante et croustillante de notre monde.A lire et relire sans modération.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Je dis les œuvres, Virgilio, car, comme le soutenait un artificier espagnol de mes amis, le terroriste est avant tout un artiste. Il y a certes ce désir de l’art chez ton idole le Saoudien pileux, l’ami des images. Il se cache sans se cacher. Il met en scène sa grotte, son cheval, sa toge et ses caligae. Il se maquille les yeux pour les rendre plus profonds. C’est le prince du spectaculaire. Ses performances sont toujours inattendues, elles explorent des terrains neufs ; il est cantonnier au Soudan, paysagiste à New York, horticulteur dans les déserts afghans. C’est le land performer des artificiers. Notre urbaniste mondain. En tant que tel, et si, comme je te l’ai déjà expliqué, sa démarche ne reposait pas sur du vent, si son artist statement n’était pas aussi indigent, cet homme serait le phénix de notre congrégation. Mais au lieu d’être le Marcel Duchamp de notre art, comme il aurait pu l’être, c’est Avida Dollars, notre Dali : une machine à succès, un miroir aux alouettes, un flatteur commercial. Prends garde, Virgilio, de ne pas tomber dans le panneau.
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Ainsi était mon maître, que Dieu l’ait en sa sainte garde, facétieux et pourtant sage, sachant toujours mettre à profit les circonstances pour illustrer ses enseignements. Il restait encore mystérieux, et je savais seulement l’essentiel de ses plans. Même si j’avais bien retenu les deux premiers principes du terrorisme, la cause et la religion, je n’étais pas encore suffisamment instruit, ainsi parlait mon maître, pour en pénétrer les arcanes. Il poursuivait ses dessins et croquis, et s’était même toqué de peinture. Il me faisait poser, le plus souvent nu comme un ver, dans des attitudes pas toujours obscènes. Je dirai maintenant dans quelles circonstances il exécuta ce beau portrait de moi en sauvageonne, qui donna lieu à une grande leçon :
Il y avait quelques mois que mon maître s’était installé dans notre île des Caraïbes, où il était venu, disait-il, pour le profond, l’immense sentiment d’inutilité que lui inspirait ce lieu, d’après lui idéal pour la création ; il puisait l’inspiration dans notre rhum et la beauté lascive des autochtones comme moi. Il faut ici dire quelques mots sur son passé, du moins ce que j’en sais, ce qu’il a bien voulu m’en raconter et que je garde jalousement comme un de ses plus beaux enseignements. Formé au terrorisme par un grand maître maoïste du siècle dernier, il parcourut la planète en pratiquant son art, toujours pour de nobles causes, en Orient, en Afrique, en Asie insulaire, professant les Artifices avec dévotion et humilité à ceux qui en étaient dans le besoin. Ensuite, il avait passé quelques années de retraite dans une cellule où il avait approfondi, ainsi parlait-il, le côté théorique de notre art, en glosant les œuvres de ses prédécesseurs, et notamment celles de Saint-Just et de Robespierre.
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Ici commence ce mien discours, bréviaire et manuel, pour l’édification des débutants artificiers et apprentis terroristes.
Je rencontrai mon maître peu après son arrivée dans notre belle île des Caraïbes. De fait, moi, Virgilio, lui fus loué en même temps que la magnifique villa où il s’installa ; ma fonction était d’entretenir le jardin et m’occuper du ménage. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que, au lieu des familles de colons qui occupaient habituellement cette résidence, arrivait un homme seul, d’un âge incertain, de provenance inconnue, avec pour tout équipage une malle de livres, une paire de sandales et un bâton de pèlerin. Je le pris immédiatement en grippe. Il était prétentieux, hautain, renfrogné ; il me reprenait sans cesse sur mes méthodes de jardinage, insultait ma cuisine, qu’il trouvait insipide, et mes manières, qu’il jugeait grossières. Il cherchait toujours à me provoquer, interrompait ma sieste pour me demander de le masser ou de l’éventer. Il était tellement odieux que, si je n’avais pas été d’un caractère bon enfant, je l’aurais volontiers trucidé dans son sommeil. Pour me venger, j’urinais souvent dans son café, qu’il buvait très fort, et prenais un malin plaisir à encombrer son lit de divers insectes, point nécessairement mortels, mais toujours repoussants.
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Plus d’une fois, je l’avoue, j’ai été tenté de profiter de la situation, et d’administrer à mon cher maître une volée dont il se serait souvenu, mais le seul fait qu’il me l’ait ordonné lui-même faisait perdre son sel à l’affaire. J’étais donc une femmelette et redoutais le moment où il me faudrait prendre l’engin de bois pour accomplir cette basse besogne.

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Tu as compris la grande vérité de la religion, le sens, la sève de la mystique, qui est primordiale dans notre mission : ce qui importe, c'est d'avoir le bâton.
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Vidéo de Mathias Enard
Grand entretien de clôture avec Mathias Enard - Modération par Zoé Sfez - dimanche 2 octobre 2022, 17h30-18h30 - Château du Val Fleury, Gif-sur-Yvette (Paris-Saclay) Festival Vo-Vf, traduire le monde (les traducteurs à l'honneur)
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