Le titre de ce recueil est celui de la dernière des dix nouvelles rassemblées de l'auteur de
Silence, nouvelles qui s'étalent de 1959 à 1985. Petit passage en revue de quelques-uns de ces récits…
Les derniers martyrs
A travers le sort de trois jeunes hommes, et plus particulièrement de Kisuke, un grand et gros gaillard pleutre et geignard, l'auteur nous conte l'histoire de ces japonais d'un village de Kyushu qui ont été évangélisés…Les autorités exigent qu'ils se couchent et abjurent leur foi. Mais pour la plupart, récalcitrants, ils seront torturés et suppliciés. Kisuke qui a vite apostasié, reviendra pourtant quelques années plus tard, hanté par sa conscience et porté par une voix céleste, auprès de ses camarades toujours enfermés. Un texte qui sonne comme une esquisse de son futur grand roman
Silence.
Un homme de cinquante ans
Un enfant, Chiba, trouve dans la compagnie de son chien Noiraud la complicité et le réconfort dans sa détresse de voir ses parents se déchirer. Après leur divorce, il faut quitter la maison, dans un dernier regard pour ce chien fidèle tel un frère. Autour de la cinquantaine, Chiba, marié à une femme qui ne comprend pas son amour pour son vieux chien Blanchot, fait un peu de danse de salon pour revivre un peu, dans le contact de sa jeune partenaire de piste. Mais surtout, il va connaître simultanément deux drames personnels : son frère et son chien sont au seuil de la mort…
Adieu
L'auteur, lorsqu'il était étudiant à Lyon, a été le témoin du drame vécu par ses logeurs, un couple de personnes âgées. Ils ont vécu en Algérie française, et y ont perdu leur fille prématurément. Ils ne s'en sont jamais vraiment remis. L'homme est oisif et boit, sa santé est très précaire. Sa femme pleure toujours sa fille disparue. L'étudiant découvre que la femme ne donne pas son traitement médicamenteux à son époux…et ne cesse de répéter que si elle disparaît la première, elle ne sait pas ce qu'il va devenir…
Le retour
L'auteur fait exhumer sa mère décédée pour la rapatrier dans son village natal. Les souvenirs émergent, la nostalgie le gagne…
La vie
Le narrateur se souvient de son enfance dans la Mandchourie (nord-est de la Chine) occupée par le Japon. Enfant perturbé par la mésentente chronique entre ses parents, il va rencontrer un jeune soldat puis un Mandchou succédant à la bonne de ses parents, deux figures bienveillantes passées furtivement dans sa vie…En se remémorant ces visages, il éprouve émotion et compassion, et peut-être au fond de lui une forme de culpabilité pour l'attitude méprisante, voire xénophobe des japonais à l'égard des chinois.
Un homme de soixante ans
Un homme de soixante ans, Endô lui-même, nous raconte le temps qu'il voit défiler, le mort qu'il sent déjà rôder dans ses rêves…Les souvenirs d'enfance, mais aussi récents, se pressent, bientôt bousculés par le présent et son lot d'évènements dramatiques…La compagnie fidèle d'un chien, le sort qui frappe son frère, et le parfum discret de sa jeune partenaire de danse, pour exister encore malgré les difficultés du couple et ce corps qui s'ankylose. Une variation/évolution d'un homme de cinquante ans, écrite précisément dix ans plus tard, et un caractère une fois de plus autobiographique...
Une femme nommée Shizu
L'auteur assiste dans un théâtre japonais à la pièce « La chanson, c'est ma vie ». La scène se passe en 1930, le héros est un chanteur célèbre, et sa femme est Shizu Watanabe. Très vite, les souvenirs d'enfance du narrateur reviennent, lorsqu'il vivait avec sa mère à Dalian, en Mandchourie. Il y voyait souvent une « tantine », une femme célibataire qui semblait attendre un homme vivant au Japon. Cette femme n'était autre que Shizu…L'occasion d'une superbe balade au parfum d'enfance, au temps de l'école et du chien fidèle compagnon, dans ces contrées enneigées et glacées l'hiver, où des kyrielles de fleurs différentes s'épanouissent aux beaux jours.
La quasi-totalité de ces nouvelles ont un caractère fortement autobiographique, on y retrouve des constantes qui marquèrent ce grand écrivain. Son enfance dans le froid du nord-est de la Chine, la Mandchourie, conquise par le Japon, le traumatisme causé par la mésentente de ses parents, l'amour pour les chiens ses amis de solitude intérieure, les problèmes de santé et la mort qui ne sont jamais loin, et discrètement en toile de fond sa foi catholique…Ces récits couvrent la majeure partie de la carrière de l'écrivain, déroulant ainsi le fil de sa vie. C'est sa force, même si du coup une certaine redondance m'a fait parfois rester sur ma faim. Ces pages sont des images qui reviennent à l'auteur, il nous fait ainsi partager ses joies, ses souffrances, ses doutes sur la vie, mais l'action est ténue, comme d'ailleurs chez nombre d'écrivains japonais.
Endô est un écrivain particulièrement attachant, au style qui allie rigueur et simplicité, traduisant souvent une nostalgie pudique et un grand humanisme. Je le rapprocherais d'un
Yasushi Inoue, c'est dire qu'il est au top de mes préférences nippones !