Orage d’hiver
Quand l’air devient blanc,
que la vision perd la vue,
que le ciel tonne et fulmine,
que dans les bureaux s’éteint la lumière,
et que seule la sirène des pompiers
traverse le voile de neige
qui s’amoncelle en congères lumineuses,
les soucis, les affaires, les urgences
disparaissent pour un quart d’heure,
et sans penser à rien, enfin,
tu laisses ton regard se perdre
dans ce monde d’une aveuglante obscurité.
/ Traduction de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Métro, station Wittenbergplatz
Ceux qui, sous tes yeux, descendent vers toi
dans l’Hadès quotidien
par l’escalator, ce vieil homme renfrogné
au cœur morose,
et la femme fripée
qui marmonne à part soi son amertume…
Eux aussi pourtant ont été épris,
autrefois, un jour, oublieux d’eux-mêmes,
absents, rayonnants peut-être
d’exaltation, ou pas ?
Comment est-ce arrivé ? Depuis quand ? Et pourquoi ?
Dehors, la neige elle aussi s’est déjà transformée
en gadoue
/ Traduction de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Division du travail
Tout ce que tu ne sais pas faire :
faire atterrir le gros-porteur plein à craquer,
démontrer le théorème de Mordell,
tricoter – les autres le font pour toi,
peu doué comme tu l’es, dépendant
du bienheureux Saint Florian,
du directeur de prison, de l’homme
aux pinces isolantes, de la voyante,
de l’éboueur, du chamane,
et sans oublier la maman.
Tous savent faire quelque chose, ensemble
subviennent à tes besoins, te distraient,
et, que tu le veuilles ou non,
te tiennent compagnie – mais toi ?
Dans la pénombre
Quand elle est étendue ainsi, si entièrement
de ce monde, telle une vache ou une chatte,
sans intentions ni remords,
un dans la pénombre nimbe
sa peau diaphane.
Tu peux le sentir, le ressens,
quand tu es suffisamment proche,
ce doux rayonnement
d'infrarouge lointain.
Une série de Fourier
que personne ne déchiffre.
Ce n'est qu'un souffle
qui te caresse plus
qu'il ne te touche,
et ne pas savoir pourquoi,
c'est peut-être cela le bonheur.
p. 43.
Blancs * et solitaires, majestueux,
ils apparaissent soudain sur la soie de l’azur,
ou se serrent les uns contre les autres
tels des animaux transis, masse hébétée (…)
Leurs pérégrinations en altitude
sont calmes et incessantes.
Rien ne les rend soucieux.
Ils croient probablement
en la résurrection, béatement
heureux, comme moi qui,
allongé sur le dos,
les regarde un moment.
* les mêmes nuages, les merveilleux nuages ... de Baudelaire !
Hammerstein ou l'intransigeance
Marque-page 26-02-2010