Est-ce là LE chef d'oeuvre "erckmann-chatrianien" ? Pour nous, sans nul doute après lecture éblouie...
Ou : comment un sous-maître doit d'abord apprendre à savoir se soumettre...
La Restauration de 1815 en toutes ses horreurs (psychologiques et sociales). Pour survivre, devoir se plier. Ce qui n'exclue pas le sentiment dissimulé de révolte (plus que légitime mais guère "légitimiste"...).
Bref, après le triste règne de l'Usurpateur (son empire de pacotille puis la cohorte tardive des napoléonâtres nostalgiques), voici celui des revanchards de tous poils cernés de leurs tristes nuées de corbeaux (fort instruits, pour ce qui est du "bon" Curé Bernard, ce "saint homme"...), grands prescripteurs de nouvelles consignes pédagogiques...
En 1816, "sur le terrain" du Terroir vosgien fort accidenté et glacial, curés et nobliaux préfèrent - ici comme ailleurs - maintenir le peuple dans l'ignorance.
Voici donc l'histoire (vécue comme en immersion au plus près du personnage) de Jean-Baptiste Renaud, pauvre d'entre les pauvres, acharné à monter les barreaux - vermoulus ou pourris - de l'échelle sociale dans ce monde grisâtre de la Restauration de l'ancien Ordre (divin). On sait depuis "Le Rouge et le Noir" [1830] de l'ami STENDHAL combien ces barreaux sont intrinsèquement glissants et vous amènent à la chute - tout du moins (comme ici) à "l'accident" qui se répète... L'arriviste Julien Sorel amené incidemment (par simple sens de la survie en milieu hostile ou indifférent) à l'imprudence, à une tentative de féminicide et, au final, à l'échafaud. L'ordre règne : pauvre Julien Sorel, pauvre Jean Baptiste Renaud, qui tous les deux, se "trouvent" et ne regretteront diablement rien... Les pauvres ont cette espèce de fierté, n'est-ce pas...
Comme ses créateurs, Jean-Baptiste est, semble-t-il, un "bon chrétien" mais aussi un Républicain qui se cherche et se trouve (au chapitre X final) : il n'a que dix-huit ans et redevient dans les paragraphes conclusifs le vieil herboriste plein de clairvoyance qui nous conte "son histoire" édifiante...
"Histoire d'un sous-maître" est donc un court, dense et exceptionnel roman produit en 1871 par le "couple" (ils se sépareront tardivement sur motif financier) que formèrent si longuement Messieurs Emile ERCKMANN et Alexandre CHATRIAN, visiblement ici au sommet de leur art, tant la langue y est agile, inventive et merveilleuse : romanciers trop souvent sous-estimés (classés comme "régionalistes") dont la simple science a été de forger des "contes populaires" exigeants à la durabilité sans pareille, et qui parlent au coeur de chacun...
On se souvient encore de leur "Histoire d'un conscrit de 1814" puis leur "Waterloo" (ces deux envers de la triste médaille bonapartiste) ou de leur toujours charmant et tendre opus "L'Ami Fritz", mais leur oeuvre est immense (réédité en une quinzaine de volumes à couvertures jaunes par le courageux et si exigeant "Jean-Jacques Pauvert Editeur").
Ce roman se hisse - par son évidente perfection romanesque - à la hauteur du "tout premier" (jeune) C.F. RAMUZ : nous songeons là immédiatement à "Aimé Pache, peintre vaudois" [1911] comme à "Vie de Samuel Belet" [1913] ou même à "La guerre dans le Haut-Pays" [1915] pour leur pureté et leur dimension existentialiste, qui vinrent immédiatement après ces quatre premiers pas chatoyants que furent "Aline" [1905], "Les Circonstances de la Vie" [1907], "Jean-Luc persécuté" [1908] et "Le Village dans la montagne" [1908]...
La vie des pauvres et des humiliés est une Gnose ignorée.
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