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sur 4277 notes
J'ai un peu de colère ce matin, un peu d'indignation : je viens de lire La Place. Probablement pas de quoi se mettre en rogne, penseront certains. Peut-être, mais c'est assez spécial pour moi cette affaire.

Comme Annie Ernaux, je suis née dans le trou du cul de la Normandie, à quelques kilomètres d'elle seulement, dans l'une des villes citées dans l'ouvrage. Comme elle, je suis issue d'un milieu ouvrier mâtiné de paysan. Comme elle, je suis la seule de ma famille à avoir suivi des études supérieures. Comme elle, j'ai vu chaque jour se creuser un peu plus le fossé social qui me sépare encore aujourd'hui — et plus que jamais — de ma famille.

Je vais même vous faire une petite confidence supplémentaire, c'est qu'à la différence d'Annie Ernaux, même parmi les culs terreux, ma famille était considérée comme le top du top de la ringardise et de l'arriération sociale. Nous ne partions jamais en vacances, ne portions aucune marque, n'étions jamais au courant des nouveautés, mes parents avaient une 2 CV pourrie sur toute la durée des années 1980, époque où elle était ultra passée de mode à la campagne et pas du tout vintage… (Exemples pris parmi une multitude d'autres qu'il n'est pas nécessaire de déballer ici.)

Comme Annie Ernaux, je suis désormais enseignante loin des terres chéries où j'ai grandi. Voilà pourquoi je me permets d'être indignée par ce livre que je trouve, malgré toutes les précautions dont se barde l'auteure, très méprisant pour la condition sociale de ses parents.

Personnellement, j'y perçois du racisme. Certes, ce n'est pas du racisme ordinaire, mais c'est du racisme de classe. Pour moi, ce qui constitue l'essence même du racisme, ce n'est pas de dire qu'il existe des différences entre les groupes humains, car ça, il faudrait vraiment être atteint d'une forme de cécité assez invalidante pour ne pas les percevoir. le vrai racisme, c'est de classer les groupes humains sur la base même de ces différences ; de dire que ça c'est mieux ou ça c'est moins bien parce que je suis plus ceci ou moins cela.

Or, quand je lis Annie Ernaux, à aucun moment je ne ressens de bienveillance pour les classes populaires. Elle nous fait une liste longue comme le bras de leurs manquements ou de leurs insuffisances sans jamais la nuancer par les aspects puants de la bourgeoisie à laquelle elle accède et qui pourtant sont absents chez les classes populaires. Elle n'aime pas le milieu dont elle est issue et ça se voit, ça suinte de partout, ça transpire.

Moi non plus mon père n'a jamais lu de livre, moi aussi mon père est un rustre fini, pourtant, combien de fois me suis-je dit auprès de gens très bien sous tous aspects, très bien nés, qui ont une bonne PLACE, combien de fois me suis-je dit, que vous êtes cons mes braves et que mon père vous torcherait si vous aviez l'un et l'autre à résoudre un problème auquel vous n'avez jamais eu à faire face ni l'un ni l'autre.

J'ai vécu auprès d'Amérindiens analphabètes qui m'ont fascinée. J'ai vécu auprès de chercheurs imbuvables et imbus qui m'ont révulsée. J'ai vécu auprès de certains culs terreux normands absolument sans intérêt ; j'ai vécu auprès de certains culs terreux normands dont la puissance de raisonnement m'impressionne encore aujourd'hui et à laquelle je me réfère bien des années après avoir quitté mon milieu et ma Normandie natale.

Donc je ne peux pas lire ce livre sans m'indigner quelque peu. (À titre de comparaison, si je place un autre Normand dans la balance, lui aussi transfuge de classe, comme Annie Ernaux, en la personne de Michel Onfray, lorsque je lis son petit opuscule intitulé le Corps de mon père, je perçois un rapport au père et aux classes populaires tout autre et qui, personnellement, me sied beaucoup mieux.) Je n'y ressens aucun amour des classes populaires, juste un sentiment de culpabilité de leur avoir tourné le dos et d'essayer vaguement de se racheter en écrivant ce bouquin.

Mais cette écriture !!?? Cette écriture !! L'écriture plate, la bien nommée. Comme c'est méprisant. Je cite : « Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de " passionnant ", ou d' " émouvant ". Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. »

Voilà l'argument le plus petit, le plus mesquin qu'on puisse imaginer. Encore heureux qu'elle n'est pas devenue peintre d'art sans quoi, pour faire le portrait de ses parents, elle se serait sentie obligée d'utiliser un gros rouleau de peintre en bâtiment. Quelle connerie ! C'est d'autant plus une connerie que dans ses autres romans par la suite, elle ne s'est plus défaite de ce style (ou de ce non style, c'est selon), preuve qu'il n'a qu'un rapport assez éloigné et douteux avec le propos.

Pour en finir avec ce non style, j'aimerais convoquer une citation de Herman Broch dans Les Somnambules et qui m'est revenue à l'esprit à la lecture de ce livre : « Au fond de tout cela il y a une logique complètement dépouillée d'ornements et il semble qu'on ne fait pas une conclusion trop risquée en disant qu'une pareille logique requiert en tous lieux un style dépouillé d'ornements. Certes, ce style apparaît même aussi bon et aussi juste que l'est tout ce qui est nécessaire. Et cependant, c'est le néant, c'est la mort qui sont liés à ce dépouillement d'ornements, derrière lui se cache la figure monstrueuse d'un trépas, où le temps s'est effondré en ruines. »

Pourtant, j'aurais aimé aimer ; j'aurais aimé me sentir en résonance avec cette auteure qui a vécu des choses si proches de celles que j'ai vécues et que je vis encore. Il est vrai qu'elle restitue bien la sensation de se sentir étrangère chez soi, de ne plus avoir grand-chose à partager quand on se voit. Mais elle occulte un autre aspect : elle nous parle d'un " héritage ", sous-entendant qu'il est lourd à porter dans le milieu bourgeois où elle évolue désormais, sans jamais nous en dire quoi que ce soit si ce n'est que du négatif. J'ai peine à croire que son père ne lui ait absolument rien légué de positif et qui lui serve encore aujourd'hui. Pourtant, pas une ligne ne l'évoque.

En somme, ce que je lis dans cette platitude, c'est un portrait sans aménité, sans chaleur. Elle écrit dans l'extrait que j'évoque plus haut " les faits marquants " de la vie de son père. Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? Sa naissance à elle n'est-elle pas un fait marquant de l'existence de son père ? Elle évoque rapidement, très rapidement le fait qu'elle ait eu une soeur qui est décédée en bas âge. D'où sa naissance à elle, d'où le fait que ses parents soient " âgés ", d'où le fait qu'ils lui " passent " beaucoup de ses lubies, notamment les longues études. Elle n'en dit pas un mot.

J'ai bien connu des gens comme le père d'Annie Ernaux, des Normands simples et pudiques, pas expansifs mais avec beaucoup de coeur, des gens sincères et droits, et j'ai plus de respect et d'amour pour eux qu'elle ne semble en éprouver pour son propre père.

Bref, un drôle d'hommage qui, sous des airs de vouloir saluer sa mémoire, sonne à mes oreilles comme une ultime marque de mépris et d'incompréhension. Désolée de ne pas vous suivre Annie Ernaux, désolée de ne pas goûter votre snobisme (au sens premier " sine nobilitate ") des couches populaires qui se sont saignées pour que vous soyez ce que vous êtes. J'en viens, j'en suis et c'est peut-être pour ça que je réagis si fort aujourd'hui. D'autant plus fort que le non style de cet ouvrage a donné des idées à de bas suiveurs comme Delphine de Vigan, pour ne citer qu'elle, dont la prose et l'éthique me dégoûtent.

Aussi, plus que jamais, souvenez-vous que ce que j'exprime ici n'est que mon avis, un avis pas forcément à sa place, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. (suite aux commentaires) : J'ai omis de parler, puisque la barque était déjà bien pleine, de certains petits côtés racoleurs dans l'écriture d'Annie Ernaux qui me déplaisent au plus haut point, loin du respect que j'aurais attendu vis-à-vis d'un père, quand bien même on ne partage rien avec lui et l'on ne le comprend pas.

Par exemple, parmi plusieurs autres, l'évocation totalement gratuite du fait que pendant la toilette mortuaire de son père, elle ait vu son sexe. Qu'est-ce qu'on en a à foutre, et surtout, qu'est-ce que ça apporte au portrait ou pseudo-portrait ? Ce voyeurisme ordinaire me débecte au plus haut point, et c'est précisément cet aspect, ainsi que l'écriture plate et l'autojustification de ses choix d'écriture qu'a repris Delphine de Vigan, en bon âne suiveur, dans sa mixture imbuvable.

P. S. 2 (après l'attribution du Prix Nobel à cette auteure de « machins » vaguement écrits) : Il fut un temps où recevoir le Prix Nobel, ça signifiait « avoir du talent », littérairement parlant, mais comme cette notion est subjective, on peut toujours vous rétorquer que c'est une question de goût, que vous n'avez rien compris à ceci ou à cela, etc.

Désormais, la valeur cardinale n'est plus le talent littéraire, c'est-à-dire l'aptitude à générer de l'émotion chez le lecteur, à l'élever, à le faire réfléchir, non, maintenant, c'est la politique des quotas vis-à-vis des « minorités » : une femme / un homme ; une blanche / un noir ; un juif / une homo, etc. Et le talent dans tout ça ??? le mot « talent » signifiait à l'origine « celui ou celle qui est possesseur d'un don particulier ».

Virginia Woolf, par exemple, elle qui ne reçut jamais le Prix Nobel, possédait pourtant un talent, quelque chose de rare et d'unique, dont elle fit don à l'humanité. Excusez-moi, mais j'ai beau chercher, je ne vois pas qu'Annie Ernaux, et quelques autres parmi les derniers Prix Nobel, soient affublés d'un quelconque don particulier. D'où ma surprise, pour ne pas dire ma stupeur, face à de telles mises sur piédestal de statues fort ordinaires. Cela fait suite, peut-être, au " président normal ", c'est dans l'air du temps, il faut croire...
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Un texte que j'ai trouvé froid. le regard est distancié. On ne ressent pas d'émotion. L'auteure évoque là son enfance et parle plus précisément de son père, bâtissant même son roman autour de la mort de celui-ci. En fait Annie Ernaux semble gênée par la condition modeste de sa famille, elle fera tout pour s'élever, pour se sortir de ce milieu et accéder à la petite bourgeoisie. Je trouve qu'il y a un peu de mépris, et beaucoup de honte vis à vis d'une famille trop humble, pas assez cultivée. J'ai été choquée par le regard de l'auteure sur sa famille et ce monde qu'elle ne juge pas digne d'elle. Elle ne semble pas avoir de véritable affection pour sa famille, elle regarde tout de haut comme le ferait un simple spectateur. Ce livre dont j'attendais beaucoup, première rencontre avec Annie Ernaux, me laisse sur ma faim, et je ne suis pas certaine de vouloir découvrir d'autres oeuvres de cette auteure.
Lien : http://araucaria.20six.fr
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Il y a quelques jours j'ai découvert Annie Ernaux et son récit "Une femme" ; j'ai souhaité poursuivre cette prise de contact particulièrement émouvante avec "La place", oeuvre réputée indissociable de la susnommée.

Indissociables, elles le sont fondamentalement, comme le sont deux géniteurs. Dans "Une femme", l'auteur retrace l'existence de sa mère ; dans "La place", elle nous livre leurs heures écourtées de son père, parti le premier. Ce récit autobiographique a été écrit quelques années avant "Une femme" et pourtant je suis heureuse d'avoir lu les deux textes "dans le désordre". J'ai ainsi mieux visualisé la mère de l'auteur, fatalement moins mise en avant ici et pourtant essentielle à la pleine appréciation de l'éclairage donné au père. Je pense que sans cette connaissance profonde de "la femme", j'aurais moins bien compris "l'homme" et partant de là, "le couple", "la famille" et enfin, "la fille".

"La place" m'a beaucoup touchée mais moins émue qu'"Une femme". Au-delà de l'indissociation, ces deux récits sont intimement imbriqués et, telles les pièces d'un puzzle, ils se complètent avec harmonie, recelant la même trame forte, le même ton convaincant, le même style efficace, la même pudeur délectable et le même reflet réaliste. Si j'ai été moins émue, je ne peux incriminer ni le fond ni la forme du récit mais mon rapport personnel à mon propre père et à ma propre mère. Car, en effet, la puissance d'évocation d'Annie Ernaux crée réellement ce prodige : chaque lecteur peut être confronté à sa propre histoire, éparpillée parmi ses mots. Selon son passif et ses affinités avec ses parents, il y trouvera l'émotion là où il l'attend ou, au contraire, là où il ne l'attend pas.
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« La place », où Annie Ernaux se fait la biographe de son père. Quel bel hommage, et quelle belle illustration du défunt ascenseur social !
Annie Ernaux, biographe de son père, et partiellement d'elle-même par la même occasion.

« La place » est un petit ouvrage (à peine plus de cent pages) qu'on peut qualifier de minimaliste : c'est parfois froid, sans vraiment de pathos… et pourtant Dieu sait si le sujet s'y prête, au pathos. S'il s'agit là d'un exercice de style, c'est parfaitement réussi ; et même si, habituellement, j'ai toujours du mal avec ce genre de prose, je dois avouer que là, elle m'a emmené…
Grace à ce style épuré, je suppose ; car autrement, comment emmener le lecteur au terme d'une histoire comme il y en a tant : le père qui s'extrait de sa condition ouvrière pour tenir un café-épicerie, et la fille qui bénéficie de « l'ascenseur social de la République » ; brillantes études, enseignement, agrégation… Et au fur et à mesure que les échelons sont franchis, un écart qui se creuse avec son milieu social d'origine, inexorablement.

Et puis… d'origine normande, comme l'auteur, j'ai connu dans mon enfance ce genre de café-épicerie, il y en avait deux près de chez moi ; c'était avant le Super-égé et la Coop, bien sûr. Rien que d'en parler ici, leur odeur particulière, un mélange de fumée de tabac, de produits d'entretien et de cidre « dur », servi « à la tireuse » me monte aux narines…et le souvenir de ma mère me disant : « va me chercher un paquet de chicorée chez P. ». Chez P. … C'était plus loin que chez H., mais c'était moins cher…

Bref, un petit ouvrage au style particulier, mais qui m'a ouvert la porte des souvenirs d'enfance…avec parfois des expressions locales en usage chez mes grands parents comme « quart moins d'onze heures » pour onze heures moins le quart, probablement héritées de l'anglais.
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Comme maître Corbeau perché sur son arbre, après avoir lu "je ne suis pas sortie de ma nuit", j'avais ouvert un large bec et juré que l'on ne m'y reprendrait plus.
Un peu tard, me direz-vous !
A cela je vous répondrai, sans hésitation aucune, que pierre qui roule n'amasse pas mousse et qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras ...
"La place" est un livre écrit, en 1983, par Annie Ernaux et qui a obtenu le prix Renaudot en 1984.
Le même prix qui entre autres avait autrefois récompensé Marcel Aymé et sa superbe "Table aux crevés", "voyage au bout de la nuit" de Céline et "les beaux quartiers" d'Aragon.
Que voulez-vous ?
Comme disait un vieux paysan de ma connaissance : "il y a des années à pommes et d'autres non" !
"La place", à l'aveu même de son autrice, est un livre de fracture, de trahison et de non-style.
Tout, ou presque, lui aura manqué pour être un bon livre, ce même bon livre qui a été récompensé et encensé.
C'est qu'une certaine confusion y règne.
Certains y ont vu un hommage au père, d'autres une offense impardonnable aux origines modestes.
Habileté d'autrice ou maladresse d'écrivaine, la description est contradictoire à souhait.
Comme chacun de nous, à l'intérieur de lui-même me direz-vous.
Certes !
Mais le sujet de "la place" n'est pas vraiment ce père aux manières trop frustres, non, le personnage principal en est le "malaise" d'Annie Ernaux.
Alors, c'est acté, ce livre, pierre angulaire de l'oeuvre, reposera sur une prétendue "auto-sociologie" qui va faire des émules et des dégâts dans les rentrées littéraires à venir.
Ce livre, "la place", est glacial.
Je n'y ai pas pas trouvé deux sous de sensibilité, ni d'empathie : l'oncle y devient "le frère de mon père" et le fils de l'autrice y est même nommé "l'enfant".
Que Dieu me savonne et que tonton me pardonne !
Mais qui fait ça ?
Par contre, j'ai cru discerner une réelle volonté de choquer par l'impudeur, une impudeur à la fois physique et morale.
Il y a quelque chose de gênant dans cette littérature qui veut s'imposer par sa désespérance indécente.
Impudeur inconvenante ou fine analyse psychologique et littéraire, l'ouvrage est écrit dans un style qui n'en est pas un, il est rédigé.
C'était la volonté même de l'autrice.
Le malheur, c'est qu'aux rares passages où cette dernière décide de se lancer dans de petites prouesses de style, elle y devient aussitôt inintelligible et inaudible.
De plus, dans le récit à proprement parler, quelques petites choses m'ont paru artificielles et comme invraisemblables à moi qui suis normand, et dont le grand-père était né en 1898 : une fille et son mari qui dorment dans le lit du père mort, un officier de marine pas fier, l'oeil petit bourgeois qui choisit plus soigneusement l'arrière-plan d'une photo, un sacristain qui fait faire à l'église un deuxième tour de condoléances, la recette du mercredi précédent restée dans la salopette du père alité ...
En Normandie, allons-donc !
1901 : Sully Prudhomme
1915 : Romain Rolland
1921 : Anatole France
1937 : Roger Martin du Gard
1947 : André Gide
1952 : François Mauriac et 1957 : Albert Camus
1960 : Saint-John Perse et 1964 : Jean-Paul Sartre
1985 : Claude Simon
2000 : Gao Xingjian
2014 : Patrick Modiano
2022 : Annie Ernaux
Que Dieu me savonne et que le bison me pardonne !
Qu'est-ce qui s'est passé ?
A quel moment ça a merdé ?
La notion d'ombre et de lumière est forte, toutefois posons-nous la bonne question : qui sommes-nous pour dire ce qui est bon ou mauvais ?






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Son père s'éteint en 1967, alors que, venant de réussir le Capes de Lettres, Annie Ernaux réalise le rêve qu'avait pour elle cet homme d'extraction modeste à la vie laborieuse et contrainte. Quinze ans plus tard, par amour autant que par remords, parce qu' « écrire est le dernier recours quand on a trahi » et que son parcours, en la faisant « migrer doucement vers le monde petit-bourgeois », lui a fait peu à peu « oublier les souvenirs d'en bas comme si c'était quelque chose de mauvais goût », en tous les cas d'incompatible avec la « vision distinguée du monde » qu'elle s'est efforcée d'adopter pour complaire à son nouveau milieu, elle se lance dans le portrait, nu et sans artifices, de ce père à qui elle restitue ainsi sa vraie « place ».


Né au début du siècle dernier dans une famille normande de tâcherons agricoles, le père d'Annie Ernaux ne fréquente guère l'école avant de la quitter dès douze ans pour s'employer dans des fermes d'abord, en usine ensuite. A force de sacrifices et de travail, lui et son épouse acquièrent, après la seconde guerre mondiale, un café-épicerie à Yvetot, qui, tout symbole d'indépendance et d'élévation sociale qu'il soit, ne les met pas à l'abri de la précarité et des fins de mois difficiles partagées avec leur clientèle ouvrière. Complexé par son patois paysan, par son manque d'éducation et par sa gêne financière, le père investit toutes ses espérances dans la réussite de sa fille Annie, qui, brillante à l'école, entame bientôt des études universitaires. Peu à peu, une distance se creuse, à mesure que la jeune fille s'écarte du cadre familial, invite des amies issues de bonnes familles dont le savoir et les manières renvoient ses parents à leur sentiment d'infériorité, se marie bourgeoisement et devient professeur de lettres.


Lorsque le récit commence, son père vient de rendre son dernier souffle, et, le temps pour sa mère de descendre l'escalier avec les mots « c'est fini », c'est toute la vie de cet homme et sa relation avec sa fille qui défilent en une centaine de pages avant de revenir s‘achever à cet instant précis. Dans son souci de fidélité à la réalité, l'auteur s'est interdit toute sentimentalité et fioriture littéraire. le texte se déploie au long d'une écriture plate, neutre, sèche et précise, qui dissèque faits et sentiments avec la rigueur d'observation d'un entomologiste. Pourtant, même si sévèrement tenue à distance, l'émotion transparaît à fleur de mots, vibre sous la retenue et emporte le lecteur, en écho à ses propres blessures familiales, à ses tristesses et à ses remords, au fond d'un intense bouleversement.


Prix Renaudot et énorme succès de librairie, un récit vrai et un grand livre d'amour filial sur fond de trahison sociale. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Annie Ernaux cherche à réhabiliter son père qu'elle pense avoir trahi le jour où elle est devenue professeur, en passant dans un autre monde qui était le sien, celui des paysans, des ouvriers et des petits commerçants.

Pour être au plus près de la réalité de ce père pour qui elle a nourri des sentiments ambigus, elle est résolument factuelle et se refuse toute fioriture d'écriture. Avec des mots volontairement simples, elle décrit la vie d'un homme qui appartenait au peuple, en avait le langage et le comportement.

Son but est d'être juste et de le repenser tel qu'il était pour lui redonner La place qu'il mérite, sans le trahir de nouveau. Un père auquel elle rend hommage en écrivant que : « Peut-être sa plus grande fierté, ou même la justification de son existence : que j'appartienne au monde qui l'avait dédaigné. »

Annie Ernaux construit, livre après livre, une oeuvre engagée, puissante et sans concession, magnifiquement inspirée par sa rupture avec son milieu d'origine et par la souffrance qui en a résulté.
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♫Qui sait où c'est sa 𝓹𝓵𝓪𝓬𝓮 !?
Un camping, un palace
Un perrier en terrasse
Au comptoir un blanc-cass'
Faut-il rester de glace !? ♫
- François Morel - 2016 -
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Elle regarde la mère
Sous les yeux de son père
Et l'enfant en elle se terre...
Sois heureuse avec ce que tu as
Faut pas péter plus haut qu'on l'a
A table, mieux valait se taire
Peur indicible du mot de travers
Ou commettre des impairs
Alors elle a recopié des phrases, des vers
Dans son vieux pardessus râpé
Il s'en allait l'hiver, l'été
Là où restait quelque humanité
Là où les gens savent encore parler
De l'avenir même s'ils sont fatigués
Il ignorait qu'un jour, elle en parlerait...
Et Juliette avait encore son nez
Aragon n'était pas un minet
Sartre était déjà bien engagé
Au Café de Flore,
y avait déjà des folles
Tous ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut son père, où Annie a vécu aussi,
Il lui fallait revoir sa Normandie...
Mais quand on a juste quinze ans
On n'a pas le coeur assez grand...
C'est fou c'qu'un crépuscule de printemps
Elle a connu des marées hautes et des marées basses,
Elle a rencontré des tempêtes et des bourrasques,
Chaque amour morte à une nouvelle a fait 𝓹𝓵𝓪𝓬𝓮
Décrire la vision d'un monde où tout coûte cher
Allo Papa Ernaux Annie et à 𝙉𝙊𝘽𝙀𝙇 manières...
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Livre coup de coeur lu à l'adolescence, puis lu et relu tant ce texte me bouleverse toujours.

Depuis, je suis devenue une inconditionnelle d'Annie Ernaux, si singulière dans son exploration du récit vrai, sa manière de partir de soi pour dire les autres, pour nous dire le Monde.

Oui, Annie Ernaux occupe une position essentielle dans la littérature, car dès la fin des années 70, elle a inventé l'auto-sociologie et proposé telle une ethnographe de sa mémoire et ainsi de LA mémoire en général, des oeuvres pour "sauver quelque chose du temps où on se sera plus."

Toujours creuser l'intime pour comprendre les moments de trahison sociale ou sentimentale. La notion de "transfuge de classe" qu'elle souligne est par ailleurs passionnante, notamment dans ce texte entre le père et la fille.

Jamais d'artifice dans son écriture, mais une écriture en auto-fiction comme un couteau planté dans le quotidien.
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L'auteure raconte la vie de son père après la mort récente de ce dernier. Elle plonge dans les origines de ses parents, de ses grands-parents. le milieu agricole, puis ouvrier pour son père et ce petit commerce qui permet à ses parents d'évoluer et d'occuper une place dans la société et surtout la vie de leur village. Ce père taiseux, fier, simple, donnant le meilleur à sa fille sans comprendre que cela va créer une frontière entre eux. Annie raconte son enfance aussi, l'ouverture sur un monde que ses parents ne connaissent pas et la distance prise au fur et à mesure du temps. La honte devient la place.

Il n'est pas facile d'écrire sur soi ou sa famille et l'auteure a enlevé tout affect de ses écrits. J'ai aimé ce récit d'une vie simple et d'un autre temps, d'un autre monde où la dignité prenait tout son sens.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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