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EAN : 9782070402472
256 pages
Gallimard (14/01/2010)
4.09/5   2185 notes
Résumé :

Annie Ernaux
Les années

"La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos.

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Critiques, Analyses et Avis (249) Voir plus Ajouter une critique
4,09

sur 2185 notes
Avec Les Années, Annie Ernaux réussit le tour de force d'écrire un récit de vie qui ne soit absolument pas narcissique ni même autocentré. Cette chronique de l'après guerre évoque par petites touches l'évolution de la société française à travers les souvenirs de l'auteur et sa propre expérience. Ecrit à la troisième personne, il porte un regard presqu'extérieur sur la femme qu'elle était. Elle se souvient, de conversations de table quand elle avait 6 ans, de la télévision qu'on regardait au café du coin, de la première voiture et de ce type qui vantait Paic Citron sur Europe 1, des vacances en Espagne si bon marché, de 68 et de Sartre, de Kiri le Clown et de la petite ville normande où elle a grandi. Les couches de mémoire se sédimentent et Annie Ernaux exhume 60 ans d'impressions, de jalons qui marquent une époque, un moment du temps. On disait "encore un que les boches n'auront pas", on disait "épatant" puis "débile", on disait "mon copain", on avait un téléphone, un ordinateur, un Ipod et à chaque fois l'engin nouveau s'intégrait à la vie au point qu'on ne puisse pas imaginer la vie sans lui.
Le récit d'Annie Ernaux est très touchant. il nous renvoie à notre condition d'étoiles filantes qui accumulent expériences, sensations, souvenirs et connaissances, importantes ou dérisoires mais qui pour la plupart sont vouées à disparaître avec nous et, en même temps, il rappelle de manière saisissante ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, ces milliers de minuscules sensations, de plaisirs plus ou moins grands, de secondes où le bonheur surgit d'un rayon de soleil ou d'une odeur retrouvée.
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Le premier livre que j'ai lu d'Annie Ernaux est "La Place".
Cette lecture m'avait bouleversée, sans doute par quelque effet de miroir que les livres de cette auteur ne manquent jamais de nous tendre.
Pourtant, elle ne cherche pas à émouvoir son lecteur, au contraire, son travail se caractérise par une sorte de mise à plat des faits et des situations hors contexte affectif.
Écrivain, elle met l'émotion à distance, elle la bride, elle la tient tellement en respect qu'elle l'efface. Elle se force à dire la vie sans émois...
Et elle y va de sa magistrale "écriture blanche", "plate", "au couteau", et elle me bouleverse... et elle m'impressionne...
Parce que c'est sans concessions, sans faux fuyant, sans mensonges.
C'est un travail de forçat et d'ascète. Une ligne et une méthode tenue jusqu'au bout sans défaillir.
Dans ce premier livre lu d'elle (et c'est un hasard bienvenu) cette forme de travail était déjà en marche pour aboutir semble-t-il à l'oeuvre d'une vie qui s'appelle "Les Années".
Annie Ernaux est la reine du paradoxe et si elle était une figure de style, elle serait un Oxymoron.
Ce livre qui ne parle que d'elle est un miroir sans tain dans lequel elle s'efface comme pour mieux nous révéler à nous mêmes.
C'est une autobiographie impersonnelle, une forme donnée à une prochaine absence/disparition, un abîme mis à plat.
Il tente d'approcher la profondeur du temps dans la linéarité chronologique.
C'est un récit de vie sans "vécu" et qui fait abstraction de l'affect, ne se concentrant que sur la description des choses, du monde comme il va.
Ce texte a l'ambition de rendre palpable l'histoire sociale d'une époque en la passant au tamis d'un "je" omniprésent et qui semble pourtant constamment nié.
C'est une histoire individuelle écrite à la troisième personne du singulier et la première personne du pluriel.
Elle et nous sont Annie Ernaux.
Elle ,c'est celle qui est sur les douze photos décrites et soigneusement choisies pour nous faire passer de décennie en décennie.
Ce n'est déjà plus Annie Ernaux et ce ne le sera jamais plus.
C'est à partir d'objets qui produisent du paradoxe que ce texte est construit : des photographies du sujet qui est en train de s'écrire et qui d'un même mouvement en posent l'absence et la présence passée...
Rajoutons à cela que ces images ne nous sont pas montrées, mais dévoilées par le texte.
Consciencieusement et courageusement l'auteur les décrit en y cherchant sans relâche le "punctum "que Barthes explique dans "La chambre claire".
Elle traque la “blessure”, la “piqûre”, “la marque faite par un instrument pointu”. “Le punctum d'une photo c'est ce hasard en elle qui me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)”.
Par ce travail remarquable que j'imagine douloureux, s'ouvre la mémoire, les réminiscences, les images et les sons d'une époque et petit à petit, par le jeu de la lecture et de nos propres souvenirs, le ELLE se transforme en NOUS... C'est presque magique, toujours extrêmement troublant !
Chacune de ces photos sont comme des portes pour la mémoire individuelle de l'auteur qui trace le chemin. Ce passé singulier devient collectif à la lecture, parce c'est un fait, nous nous reconnaissons tous en passant par ces portes.
Suivant celle que nous prenons, en fonction de notre génération, nous plongeons dans des souvenirs virevoltants, et toutes les autres font échos à un passé proche ou lointain de gens connus, parents, grands parents ou autres, qui nous a été plus ou moins transmis...
L'image qui symbolise la quête d'une forme pour son travail, Annie Ernaux nous la propose, et voici ce qu'elle en dit :
"...le tableau de Dorothea Tanning, Anniversaire, qu'elle peignit juste après sa rencontre avec Max Ernst. Il est également en creux dans mon livre. Ce tableau représente une femme presque nue et, derrière elle, des portes à l'infini. Cette oeuvre m'accompagne depuis que je l'ai vue lorsque je préparais mon diplôme sur «La femme et l'amour dans le surréalisme».
J'ai été prise dans les filets de ce récit époustouflant, qui en quelques 241 pages nous fait vivre par le menu soixante années en réussissant l'exploit de faire resurgir en nous des images qui sont les nôtres.
Assez brutalement, elle nous fait toucher du doigt notre grégarité et notre contingence.
Ce travail exceptionnel dans sa forme et courageux dans son engagement force l'admiration.
J'avais fini "La Place" la gorge nouée et les larmes aux yeux, j'ai terminé les "Années", admirative et envahie d'une grande tristesse.
Ce texte est nimbé d'une grande douleur qui ne se dit pas, les larmes sont ravalées, les rêves n'affleurent pas, l'amour ne s'y raconte pas, et du coup, la pilule est bien amère.
Annie Ernaux a l'art de toucher là où ça fait mal, et on ne lui en veut pas.
On a même envie de lui dire merci !
des liens et des images sur le blog
Lien : http://sylvie-lectures.blogs..
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Je n'avais jamais lu de romans d'Annie Ernaux, c'est maintenant chose faite et je dois dire que j'ai beaucoup aimé : Les années.
Annie Ernaux possède le talent et la finesse de l'écriture, un tantinet satirique et moqueuse, d'allier la sphère de l'intime, son petit monde, ses ondes intérieures à celui du monde universel qui nous concerne tous.
Au travers de photos et de clichés personnels, elle tisse le fil de sa mémoire etcelui de la mémoire du monde.
Avec beaucoup de finesse, à l'instar de, Marcel Proust qu'elle apprécie, elle se glisse dans la notion du temps qui passe, qui se perd et qui nous fait tout simplement parcourir le temps de la vie d' un homme, d'une femme.
L'expérience de sa propre vie est en corrélation étroite avec la mentalité d'une époque.
Elle part des années 40, celles de sa naissance jusqu'aux années 2000 jugées inaccessibles ou inateignables pour les gens de sa génération.
On apprend ainsi l'évolution de la société, très codifiée et religieuse des années 50, en passant par l'espoir de mai 68, l'élection de 1981, point d'orgue d'une génération.
Ce qui est très intéressant, c'est que ses observations ou ses commentaires comme par exemple les fêtes de famille résonnent en chacun de nous. On a tous entendu nos parents, nos grands parents raconter des choses similaires.
Le détachement, voire le reniement des origines sociales dû à une élévation sociale, notamment par les études est très pertinent.
Au total, même si je n'ai pas l'âge d'Annie Ernaux, beaucoup de choses dites et d'analyses de nos comportements sociaux ont résonné dans ma tête.
Je vous conseille vivement ce petit opus surtout si vous ne connaissez pas cet auteur.
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« Ecrire une sorte de destin de femme, qui ferait ressentir le passage du temps en elle et hors d'elle, dans l'Histoire, un roman total. Ce sera un récit glissant, dévorant le présent au fur et à mesure jusqu'à la dernière image d'une vie »
Voilà le but que s'était fixé Annie Ernaux : écrire son autobiographie mais non centrée uniquement sur elle-même, plutôt une femme dans sa famille, dans la société, dans son pays, dans le monde. Son appréhension des choses. Pas de « je », mais « nous », « on ».
Elle participe au monde, et le monde rejaillit sur elle.


J'ai adoré ce type de narration qui m'entraine bien plus loin que moi-même.
Depuis l'après-guerre jusqu'à la première décennie des années 2000, Annie Ernaux cite des faits marquants, retrace l'humeur et l'état d'esprit de chaque génération, expose l'âme du temps.
J'ai l'impression que tout est recensé !
Evidemment, comme elle est française, elle fait référence aussi à la politique de son pays, mais nous les Belges y sommes habitués, donc ses fragments ne m'ont pas souvent déstabilisée.
J'ai retrouvé les préceptes d'éducation de ma grand-mère et de ma maman, et les miens aussi.
J'ai acquiescé devant son exposition de la transformation du monde.
J'ai souri devant son énumération des morceaux de musique, des titres de livres, des slogans publicitaires, des phrases toutes faites, des blagues éculées.
J'ai frémi au souvenir des faits-divers marquants.
J'ai souscrit à ses pensées féminines et féministes.


Deux éléments récurrents rythment le récit : les repas de famille et les photos d'Annie Ernaux, qui sont détaillés à chaque décennie environ, et on remarque ainsi le glissement des mentalités, de la préhension du monde. Ayant vécu plusieurs décennies depuis les années 60, je peux assurer que j'y adhère complètement !


« Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais » : c'est totalement réussi.
Ce livre m'a aidée à appréhender le temps qui passe et à opérer un retour sur moi-même, mon époque et celle de mes parents.
C'est un coup de coeur !
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De la grisaille au culte d'Apple
OU
des méfaits cognitifs de l'hédonisme.

Dans mes explorations des romans contemporains, j'ai rencontré le nom d'Annie Ernaux en lisant des critiques. Il y en a des volumes, sur Babelio. Pour me former une opinion, j'ai choisi le roman qui me semblait être le plus ambitieux, ou le mieux abouti: Les Années.

Dans son discours d'acceptation du Nobel, elle dit écrire pour venger les siens, des humbles, et les femmes, ses soeurs. Elle se veut aussi opposante à l'extrême droite. de tout cela, je n'ai pas retrouvé grand'chose de bien explicite ici. Il s'agit plutôt d'une exploration chronologique de sa vie, dans le contexte où elle l'a vécue. Un récit ethnographique, en quelque sorte. Écrit dans ce style qu'elle justifie par la pudeur, ne voulant ni des larmes ni des ricanements de ses lecteurs, surtout s'ils sont riches.

J'ai eu l'impression d'assister à la projection d'un film, ou d'entreprendre un voyage en train. Les paysages changent, mais chaque paysage a ses maisons, ses prés, ses forêts et ses cours d'eau. L'enfance, l'adolescence, les années d'étude … passent la revue. Et chaque période est accompagnée de nouveaux mots, de marques, de modes, d'activités, de passions, d'événements petits et grands, de la première voiture à l'élection présidentielle ou à la chute du Mur. Ainsi passent les années puis les décennies : trois p'tits tours et puis s'en vont.

Il y a donc de tout dans ce récit. de tout, sauf de projet de vie, mis à part l'envie, sans cesse remise, d'écrire ce roman.. L'engagement politique, tant vanté, se limite à des sympathies, peut-être à un bulletin de vote, et au souvenir de lectures de jeunesse. Pas de philosophie ni d'idéologie, plutôt un hédonisme plat, matérialiste et franchement assumé ( c'est déjà ca). L'écriture serait quête spirituelle, mais elle aboutit à une énumération. L'auteur affirme avoir tellement changé au fil des ans qu'elle n'y voit pas vraiment de continuité personnelle. D'où peut-être le besoin de mettre les choses à plat et d'écrire cette énumération. Pour voir ce qu'il en ressort.

Je crois que là, justement, réside la force de ce roman. Il peint un portrait, que l'on pourrait sans doute qualifier de “naturaliste” ou “ minimaliste” de tout ou partie d'une génération. Celle dont je fais juste encore partie . Bien que venant de contextes différents,aussi sur les plans politiques et philosophiques, je me souviens moi aussi du monde gris de mon enfance. La télévision noir et blanc. La radio qui serinait vingt fois par jour la même chanson. Les convenances. Les questions qu'il ne fallait pas poser, les choses dont on ne pouvait pas parler. Les hypocrisies. La routine. L'ennui. Quand j'ai eu seize ans, j'ai regardé autour de moi, j'ai vu mes copains, leurs mobylettes, leur flipper, leurs parents, leurs trois-pièces-cuisine. Mon prof. d'histoire, qui se disait anarcho-syndicaliste mais vivait en petit-bourgeois, qui avait un vague DEUG mais se prenait pour un intellectuel. Je me suis dit : je ne veux pas être comme eux. Cette vie là, je n'en veux pas. Moi, je ferai quelque chose de ma vie. Je veux être quelqu'un. Je ne sais pas si j'ai réussi mieux que les autres. Mon “moi” de seize ans me jugerait sans doute sévèrement. Je lui dirais que c'est un petit con et qu'il la ferme. Mais je me dirais aussi que si nous avons déconstruit un monde de conventions et de grisaille, nous n'avons pas mis grand chose de valable à la place. Un terrain vague, avec un hypermarché au milieu. le culte d'Apple. Quelle bêtise ! C'est cela, ce que montre ce roman. C'est là sa force. Et c'est pourquoi je crois que ce livre devait être écrit.




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critiques presse (1)
Bibliobs
07 octobre 2022
Un ouvrage à la fois personnel et universel qui lui a valu entre autres récompenses le prix Marguerite-Duras et le prix Strega européen, mais aussi une reconnaissance internationale et une kyrielle d’adeptes et de disciples littéraires.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (346) Voir plus Ajouter une citation
Et les jeunes arrivaient, de plus en plus nombreux. Les maîtres d’école manquaient, il suffisait d’avoir dix-huit ans et le bas pour être envoyé dans un cours préparatoire faire lire Rémi et Colette. On nous fournissait de quoi nous amuser, le hula hoop, Salut les copains, Age tendre et tête de bois, on n’avait le droit de rien, ni voter ni faire l’amour ni même donner son avis. Pour avoir le droit à la parole, il fallait d’abord faire ses preuves d’intégration au modèle social dominant, « entrer » dans l’enseignement, à la Poste ou à la SNCF, chez Michelin, Gillette, dans les assurances : « gagner sa vie ». L’avenir n’était qu’une somme d’expériences à reconduire, service militaire de vingt-quatre mois, travail, mariage, enfants. On attendait de nous l’acceptation naturelle de la transmission. Devant ce futur assigné, on avait confusément envie de rester jeunes longtemps. Les discours et les institutions étaient en retard sur nos désirs mais le fossé entre le dicible de la société et notre indicible paraissait normal et irrémédiable. Ce n’était pas même quelque chose qu’on pouvait penser, seulement ressentir chacun dans son for intérieur en regardant A bout de souffle.
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Seuls les faits montrés à la télé accédaient à la réalité. Tout le monde avait un poste en couleur. Les vieux l’allumaient le midi au début des émissions et s’endormaient le soir devant l’écran fixe de la mire. En hiver les gens pieux n’avaient qu’à regarder Le Jour du Seigneur pour avoir la messe à domicile. Les femmes à la maison repassaient en regardant le feuilleton sur la première chaîne ou Aujourd’hui madame sur la deuxième. Les mères tenaient les enfants tranquilles avec Les Visiteurs du mercredi et Le Monde merveilleux de Walt Disney. Pour tous la télé était la mise à disposition immédiate et peu coûteuse de la distraction, pour les épouses la tranquillité de garder leur mari à côté d’elle devant Sport Dimanche. Elle nous entourait d’une constante et impalpable sollicitude, qui flottait sur les visages souriants et unanimement compréhensifs des amateurs (Jacques Martin et Stéphane Collaro), leur mine bonhomme (Bernard Pivot, Alain Decaux). Elle nous unissait de plus en plus dans les mêmes curiosités, peurs et satisfactions, est-ce qu’on allait retrouver l’odieux meurtrier du petit Philippe Bertrand, le baron Empain, attraper Mesrine, est-ce que l’ayatollah Khomeiny regagnerait l’Iran. Elle nous donnait un pouvoir de citation sans cesse renouvelé des événements et des faits divers. Elle fournissait des informations médicales, historiques, géographiques, animalières, etc. le savoir commun s’élargissait, un savoir heureux et sans conséquence dont, à la différence de l’école, on n’avait pas à rendre compte ailleurs que dans la conversation, précédé de ils ont dit ou ils ont montré à la télé, à prendre au choix comme une marque de distance vis-à-vis de la source ou une preuve de vérité.
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L'arrivée de plus en plus rapide des choses faisaient reculer le passé. Les gens ne s'intéressaient pas sur leur utilité, ils avaient simplement envie de les avoir et souffraient de ne pas gagner assez d'argent pour se les payer immédiatement...
La profusion des choses cachait la rareté des idées et l'usure des croyances.
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De toutes les peurs répertoriées, celle du sida était la plus forte. Les visages émaciés et transfigurés des mourants célèbres, d'Hervé Guibert à Freddy Mercury - Dans son dernier clip tellement plus beau qu'avant avec ses dents de lapin-, manifestaient le caractère surnaturel du fléau, premier signe d'une malédiction jetée sur la fin du millénaire, un jugement dernier. On s'écartait des séropositifs -trois millions sur la terre-et I'Etat s'évertuait en spots moraux à nous convaincre de ne pas les prendre pour des pestiférés. La honte du sida en remplaçait une, oubliée, de la fille enceinte sans être mariée. Etre soupçonné de l'avoir valait condamnation, Isabelle Adjani a-t-elle le sida ? Rien que passer le dépistage était suspect, l'aveu d'une faute indicible. On le faisait en cachette à I'hôpital sous un numéro, sans regarder ses voisins de salle d'attente. Seuls les contaminés par transfusion dix ans plus tôt avaient droit à la compassion et les gens se soulageaient de la peur du sang des autres en applaudissant à la comparution en Haute Cour de ministres et d'un médecin pour "empoisonnement". Mais, somme toute, on s'accommodait. On prenait l'habitude d'avoir un préservatif dans son sac. On ne le sortait pas, l'idée de s'en servir paraissant d'un seul coup inutile, une insulte au partenaire-regrettant aussitôt après, passant le test, attendant le résultat avec la certitude qu'on allait mourir. A l'annonce que non, exister, marcher dans la rue était d'une beauté et d'une richesse sans nom. Mais entre la fidélité et le préservaif il fallait choisir. Au moment même oû il était impératif de jouir de toutes les façons, la liberté sexuelle redevenait impraticable.
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Elle est entrée dans la fête et elle s'y ennuie. Les deux filles qui l'entourent sur la photo appartiennent à la bourgeoisie. Elle ne se sent pas des leurs, plus forte et plus seule. A trop les fréquenter, à les accompagner dans les surboums, elle a l'impression de déchoir. Elle ne pense pas non plus avoir rien de commun maintenant avec le monde ouvrier de son enfance, le petit commerce de ses parents. Elle est passée de l'autre côté mais ne saurait dire de quoi., derrière elle sa vie est constituée d'images sans lien. Elle ne se sent nulle part, seulement dans le savoir et la littérature.

(p.90)

A certains moments, elle éprouve un accablement, devant la somme de ce qu'elle a appris. Son corps est jeune et sa pensée vieille. Dans son journal intime, elle a écrir qu'elle ses sent " surstaurée d'idées passe-partout, de théories", qu'elle est "à la recherche d'un autre language", "désirant retourner à une pureté première"... Les mots lui sont " une petite broderie autour d'une nappe de nuit. " D'autres phrases contredisent cette lassitude : " Je suis un vouloir et un désir. " Elle ne dit pas lesquels.

(p.91)
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Vidéo de Annie Ernaux
En 2011, Annie Ernaux a fait don au département des Manuscrits de la BnF de tous les brouillons, notes préparatoires et copies corrigées de ses livres publiés depuis "Une femme" (1988). Une décennie et un prix Nobel de littérature plus tard, elle évoque pour "Chroniques", le magazine de la BnF, la relation qu'elle entretient avec les traces de son travail.
Retrouvez le dernier numéro de "Chroniques" en ligne : https://www.bnf.fr/fr/chroniques-le-magazine-de-la-bnf
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