Deux solitudes.
Deux forces vieillissantes.
Deux vies bien remplies.
Deux élans arrêtés.
Le chasseur et le chamois, sorte de dieu Janus.
Le commencement et la fin.
Un papillon léger sur une corne de bête, trop lourd sur l'épaule de l'homme.
Aucun mot de trop. Emotion croissante jusqu'au bout.
La montagne et sa pureté. La montagne et sa dureté.
Puis, il y a le pin des Alpes, sa force, sa grâce, ses deux bras tendus... et sa solitude.
Merveilleux Erri de Luca.
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Je ne sais pourquoi, je m'étais attendu à une lecture sans surprise, à un hymne de plus dédié à la nature, à quelque chose de beau et contemplatif, mais somme toute convenu.
Le fait est que j'ai découvert tout autre chose, j'y ai trouvé une réflexion sur la vie que je n'attendais pas, une philosophie aussi, de celles qui se construisent de façon personnelle et intime, car étant le produit de ses propres observations au travers de ses expériences de vie.
Un braconnier et un chamois, un chasseur et sa proie, deux êtres d'exception car ils sont tous deux rois de leur domaine depuis vingt ans, et pour tous deux, il s'agit de la dernière saison, car l'heure du déclin est venue. le récit alterne les points de vue des deux protagonistes de l'histoire, il y a une part de fantastique évidente et belle, le roi de la harde des chamois est incontestablement "totémique" et fascinant, quant au chasseur, il n'est pas seulement implacable, il fait corps avec la montagne, il est la montagne.
Mais les rois meurent aussi. Ce récit est crépusculaire et sa lumière est pourtant éblouissante. Sentant leur force décroître et leur rayonnement faiblir, le roi des chamois et le chasseur doivent se résoudre à l'évidence, le premier sera détrôné, quant à l'homme, il n'a désormais plus la même vigueur, il est temps pour eux de se souvenir et d'accepter leur fin prochaine sans regrets ni peur.
"Un hiver, il mourrait lui aussi de faim et de froid, sans arriver à allumer un feu. C'était une bonne fin pour les solitaires, une fin de bougie".
J'ai apprécié la plume et la sensibilité d'Erri de Luca que je découvre avec ce titre, j'aime la façon dont il manie les mots et les émotions qu'il a su créer chez moi, j'ai, comme le chasseur, soixante ans, et cette façon de se souvenir m'a particulièrement parlé.
Pour conclure, je suis heureux de cette rencontre, j'ai adoré cette lecture, et... non, ce récit n'a rien de convenu, l'épilogue est d'ailleurs assez surprenant.
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Ce livre est incroyable, si petit, si puissant Harmonique. Poétique.
Il est la légèreté de l'air, la pureté de la neige, l'abrupt des montagnes, la virginité des hauteurs, le silence rugit des altières solitudes, l'exactitude des mots qui épousent l'hiver, hiver des cimes, hivers, vertiges ultimes de l'homme et de la bête.
Ce livre craque, comme des pas sur la neige ou comme un bois qui braise dans un feu consumé, il craque la vie qui s'use, les forces qui déclinent, le passage obligé, si proche, si las, si là. En bout de flamme, la vie, rude, chaude et fière, la vie des solitaires, belle comme « une fin de bougie ».
Homme-animal unis, chasseur-chassé mêlés, tous deux rois et maîtres des lieux chacun à leur manière, tous deux vêtus de vent et d'éraflures du temps.
Leur unique rendez-vous, aux odeurs de novembre, sera de toute beauté, émouvant, magnifié dans la froide épure des glaces.
Ce livre claque, comme la rugosité des pics, délivre l'authentique, féroce et charitable, la friction de la nature telle qu'elle : sauvage, cruelle et brute et … belle.
L'écriture est sublime, lumineuse, les mots choisis, économes, savamment semés sous nos yeux, telles de petites étoiles propres à créer l'éblouissement.
Le livre s'achève en ravissement au bord du vide, « au bras » d'un arbre, en suspension, en prolongement libre du tout premier silence.
Rien d'autre à dire qu'à LIRE !
« le soir émousse, polit une dernière fois au papier de verre le jour fait à la main »
Demain sera un autre jour, un nouveau règne,
Et peut-être sur ces sommets, les jours de lune, entendra t'on vibrer la neige … d'un souffle d'harmonica aussi léger - qu'un poids de papillon.
(Merci à Olivier de m'avoir incitée à découvrir cet auteur et indirectement ce petit bijou ;-))
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À la beauté de l’écriture d’Erri de Luca s’allie l’élégance du dessin d’Andrea Serio, composant avec des subtiles nuances de bleu, rehaussées d’ombre et de lumière.
Lire la critique sur le site : CNLJ
Si Le poids du papillon est le titre éditorial du roman d’Erri de Luca, il est aussi le titre de la plus importante des deux nouvelles qui sont rassemblées dans ce petit opuscule. Il ne faut pas entendre le mot « importante » de manière erronée : en fait, c'est la nouvelle la plus longue. Et tous les écrits d'Erri de Luca sont importants !
Lire la critique sur le site : Actualitte
Tel un long poème, on souhaiterait pouvoir retenir chaque phrase du texte, se les rappeler dans les moments de doute et de crainte, entendre leur douce musicalité apaisante, ressentir le souffle du vent, les parfums d’amande… Un livre qu’on ne range pas, qu’il faut garder à portée de main. Nécessaire et remarquable
Lire la critique sur le site : Actualitte
En lisant ce petit livre éblouissant, on pense au combat du capitaine Achab avec la baleine blanche : une chasse subtile qui ressemble à une quête spirituelle, sous la plume du dernier mystique des lettres transalpines.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Il pense : aucune géométrie n'a calculé la forme de l'œuf. Pour le cercle, la sphère, il existe le pi grec, mais pour la figure parfaite de la vie, il n'existe pas de quadrature.
C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait craquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieur donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête.
Ce jour de novembre et de fatigue, le roi flaira la neige toute proche, derrière la courbe rapide du jour de soleil. Il flaira la neige amie qui pousserait son espèce à se pelotonner dans les tanières de glace. Le soleil faisait son tour d'adieu sur les hauts pâturages, le troupeau de chamois était nerveux. Il avait flairé l'homme, puis l'avait perdu. Les mâles ne broutaient pas, ils bondissaient dans des courses saccadées pour voler une odeur à l'air immobile. Ils soufflaient leur respiration comprimée dans un sifflement. On aurait dit de brefs défis interrompus, sans victoire, qui ne leur appartenaient pas.
A une époque, il avait partagé la montagne avec un ours. Ils se rencontraient souvent et s'arrêtaient à quelques pas de distance. L'ours flairait l'homme, l'homme regardait par terre, de côté, en haut. L'ours mangeait les viscères des bêtes abattues. L'ours et sa fourrure étaient bons à vendre, mais on ne tue pas un spécimen unique. Puis l'animal était mort de vieillesse, il avait trouvé sa carcasse dans un bois du versant nord et il l'avait enterrée.
Un homme qui ne fréquente pas de femmes oublie qu'elles ont une volonté supérieure. Un homme ne parvient pas à vouloir autant qu'une femme, il pense à autre chose, il s'interrompt, une femme non. Devant elle, il se sent pressé.
Si elle était garde chasse, il se débrouillerait. Mais une femme est ce fil d'araignée tendu dans un passage, qui se colle aux vêtements et se laisse porter. Elle avait mis sur lui ses pensées et il ne s'en débarrassait pas.
Un homme qui ne fréquente pas de femmes est un homme sans. Il n'est pas un homme un point c'est tout, et rien à ajouter. C'est un homme sans. Il peut l'oublier, mais s'il se retrouve devant une femme, il le sait de nouveau.
Rencontre animée par Olivia Gesbert
De la bibliothèque paternelle à l'ombre de laquelle il a grandi jusqu'aux chantiers où il a été ouvrier, Erri de Luca a noué avec la lecture, puis avec l'écriture un rapport particulier pour bâtir une oeuvre double, celle d'une fiction romanesque aux forts accents autobiographiques et celle d'une réflexion sur l'Écriture. Depuis trente ans, c'est une oeuvre foisonnante et protéiforme qu'il bâtit, caractérisée par un style limpide, poétique, épuré. Ponctués de pensées, de métaphores, d'aphorismes, ses récits endossent souvent la forme d'une fable, d'une parabole empreinte d'une touche de merveilleux, dans une langue unique.
Pour cette édition Quarto, ont été retenus une dizaine de textes publiés auxquels s'adjoignent cinq textes inédits, qui portent en eux la puissance de l'écriture d'Erri de Luca dans des genres littéraires variés, sa réflexion sur l'appartenance et l'identité, le poids du passé et l'importance de l'histoire, sur la fragilité et l'importance des relations humaines.
« Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie. »
Trois chevaux, Erri de Luca
À lire – Erri de Luca, Itinéraires, Gallimard, coll. « Quarto », 2023.
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