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EAN : 9782021121384
155 pages
Seuil (03/10/2013)
3.5/5   1 notes
Résumé :
Chez moi, on était juifs de père en fils. Enfant, je le fus donc à mon tour. Mais pour quoi faire ? À douze ans, je croisais le chemin d’un vieil homme au regard profond : « Sauras-tu en faire autre chose qu’un mot ? » C’est ainsi que tout a commencé.

Depuis la guerre, ma famille entière demeurait tapie dans le silence. Je devrais tout apprendre par moi-même. Entre les bus de Vichy remplis d’israélites et ceux de Maurice Papon chargés de bougnoules, l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
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critiques presse (1)
Bibliobs
11 décembre 2013
Avec "Une étoile mystérieuse", le producteur raconte son enfance juive et plaide pour une autre conception de l’identité: non plus un héritage à préserver, mais un projet à construire.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Comme chaque jour, nous nous raccompagnons les uns les autres jusque devant nos immeubles. C’est moi qui habite le plus loin, il me faut gagner la porte de Charenton, et je finis toujours mon trajet seul. Il y a Corinne, François, Patrick. J’ai douze ans. On chahute en s’interpellant par nos noms de famille. François me pousse et crie fort mon nom. Un vieil homme qui passe à notre hauteur s’arrête.

“Eskenazi ? Qui est Eskenazi ?”

Je suis interloqué, je ne l’ai jamais vu, je le trouve terrifiant et magnifique. Il a un visage si ridé, tellement fatigué.

“C’est moi.”

Ses yeux s’agrandissent et m’avalent.

“Eskenazi, tu es catholique ?”

Est-ce que je suis catholique ? Non. Ça au moins, je le sais. Je ne peux me défaire de ses yeux. En silence, je secoue la tête. Son sourire dévore tout. Ses yeux sont mouillés. Il tend la main et me caresse la joue. Moi qui ne manque pas d’amour, on m’a rarement touché de façon si aimante.

“Tu es juif.”

Sa voix crécelle et s’épuise. Son visage est un bonbon, un gâteau. À bout de souffle, sa présence est si fragile et enveloppante, diluée, presque odorante. Doucement, il retire sa main et reprend son chemin.

Je suis juif, il faut le croire, mes parents me l’ont toujours dit. Mais je ne sais pas du tout ce que ça peut signifier. Chez moi, on est juifs de père en fils. Être juif est un état de choses que l’on m’a collé sans me demander mon avis.

Le vieil homme ne m’a rien dit non plus de ce que ça signifiait. Et pourtant, oui, une transmission, enfin. Avec elle ces deux mots, être juif, prennent pour la première fois une sorte de contenu. Ainsi il est possible qu’une personne que je n’ai jamais vue, et que je ne reverrai jamais, se sente liée à moi parce que je suis juif. Il l’est donc aussi. Ainsi ce n’est pas qu’un mot. Il s’agit de quelque chose de bien plus mystérieux qu’un mot. Une densité, une promesse aussi, celle de devenir vieux et beau, comme une responsabilité. Je suis responsable de cette caresse, et d’autant plus qu’elle m’a été donnée parce que j’étais non pas quelqu’un, mais quelque chose dans ce quelqu’un. Mais quoi ? Je n’ai pas osé lui poser la question. […]

“Qu’est-ce qu’il t’a dit, le vieux ?” me demande François.

François, rouquin, joufflu comme moi, toujours rieur.

“Il m’a dit : « Sauras-tu en faire autre chose qu’un mot ? »“

Plus que tout autre, le vieil homme m’a fait juif. Chaque fois que j’ai vu, bien plus tard, la photo de Vladimir Jankélévitch, j’ai pensé à lui.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 9-12.
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Et donc, nous voilà, les hommes, autour de la table. Israël au dessert. Deux arguments prenaient toujours le dessus. Le premier affirmait que, puisque nous n’étions pas sur place, nous ne pouvions pas juger. Que les Israéliens annexent le Golan, mènent une guerre meurtrière au Liban, ils avaient de bonnes raisons pour ça. Elles pouvaient nous sembler obscures, mais, nous qui vivions dans le confort de la France, nous ne pouvions qu’accepter, de loin. C’était le prix à payer. Israël achetait leur silence, cette solidarité minimum pour n’avoir pas le courage, au fond, d’être là-bas. Mon oncle, le seul de la famille, à avoir des convictions sionistes, aura cette cohérence d’emmener les siens en Israël après avoir vendu suffisamment de couvertures pour s’y faire construire une villa proche de Xanadu, m’a-t-on dit. Mais la guerre a plusieurs fronts et compte sur celui de la Diaspora. L’autre argument était, si l’on veut, plus profond. Les Palestiniens, qui détournent des avions, font des incursions terroristes en Israël et tentent de mobiliser le monde arabe, ça n’existe pas. Non seulement les Palestiniens n’existent pas, mais ça n’existe pas – entendre : cette prétention à former un peuple. Leur revendication sur la Palestine est donc usurpée. Les Transjordaniens, les Jordaniens, oui, ça existe, hélas ! et maintenant que du désert les Israéliens ont fait un jardin, ça les intéresse.

Je m’imaginais un peuple débarquant dans le désert et tout d’un coup, blam ! des oranges, des maisons, l’air conditionné. C’est pas dingue ? Si. Complètement. Et même inacceptable. Alors comment accepter dans cet après-guerre qui n’en finissait pas que les juifs aient pu pratiquer l’épuration ethnique contre un peuple vivant sur sa terre ? Il fallait lever deux barrages contre cet opprobre. Le plus immédiat était qu’il n’y avait pas de peuple. Et le second que, en réalité, nous avions contre nous des puissances pétrolières, et comme damnés de la terre, on trouvera mieux, merci. Ce mirage durera longtemps, jusqu’à la première Intifada. Ce que les anciens Transjordaniens, Jordaniens, Arabes auront alors gagné, dans la honte d’envoyer leurs enfants lutter contre les chars israéliens à coups de pierres (“Tu ne crois pas qu’il seraient mieux à l’école ?”), c’est le droit d’être appelés, dans ma famille, par leur nom. Ils s’appellent les Palestiniens.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 76-78 (ital. de l’auteur).
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Nos combats au sein de Révolution ! étaient une sorte de brouet un peu triste, dogmatique et étouffant. Je n’y restai guère. En revanche, ceux menés dans le cadre du lycée étaient toujours joyeux, magnifiquement adolescents, faits d’expériences politiques, sexuelles, amoureuses. Nous étions plein de charme, nous le savions, c’était dégueulasse. Aucun proviseur n’a pu nous résister, aucun prof. Nous aimions manier l’humour et la provocation. Nous mettions le lycée en grève avec une facilité déconcertante, car notre mot d’ordre, dans une sorte de démocratie réelle et enfumée, était absolument sincère : la grève vaut mieux que les cours, on s’y épanouit davantage, on y expérimente autre chose. Ceux qui, entre seize et vingt-cinq ans, n’ont jamais fait activement grève sont incroyablement à plaindre. C’était la fin du gauchisme, mais c’était une jolie fin.

Meneurs du mouvement, nous étions reçus par le proviseur dans son bureau. Il faisait mine de nous prendre pour des “interlocuteurs” tandis que nous ne cachions pas que nous n’étions que des bouffons, gloussant devant la laideur de son costume et de ses manières autoritaires ou mielleuses qu’aucun de nos pères n’aurait osé adopter. Nous pouvions, pour une fois, nous rendre la tête haute dans ce bureau qui d’ordinaire nous terrorisait, avec sa tapisserie immonde, un gros cendrier de verre, un sous-main recouvert d’un buvard, la photo de ses enfants. Nous étions à la fois responsables et hilares. “Non, monsieur, rien à faire, seule l’assemblée générale est souveraine et le lycée restera bloqué tant qu’elle le décidera.” Les grilles restaient fermée plusieurs jours durant. Les cars de CRS stationnaient dehors. Nous étions assiégés. La gloire était d’arracher une “brève” dans Libé ou une photo légendée. Nous étions Zapata… En tout cas nous étions Brando. Certains profs nous saquaient pour avoir vidé les classes, mais la plupart au contraire nous soutenaient. Il restait à Paris deux lycées rouges, Balzac et nous. Nous savions que cela nous formerait pour la vie entière. Lorsque je revois certains de mes anciens amis de Paul-Valéry, je suis bien heureux de constater que, pour la plupart, quel qu’ait été notre chemin, nous n’avons absolument pas varié à-dessus.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 65-67 (ital. de l’auteur).
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Je regardais fixement le bras nu de la vieille dame.

Le bus fonçait dans le désert. Il s’arrêtait parfois pour cueillir au passage une famille palestinienne ou un vieil homme au costume limé portant es sacs et un keffieh. On disait alors « Arabes-israéliens », pour nier que la Palestine eût un contour géographique, une histoire, un passé et faire croire que la greffe avait pris (p. 115).

Je regardais fixement le bras nu de la vieille dame.

Putain ! mais qu’est-ce que je cherche là à scruter un numéro tatoué sur la peau d’une vieille femme ? Je n’ai pas de préhistoire familiale avec les déportés. C’est ça mon problème ? Un grand-père fusillé dont je n’ai rien su et des sœurs de ma Nona dont on nous disait qu’elles n’étaient pas « revenues ». Pas de récits. Plus rien ne s’oppose à la nuit. Enfant, je me souviens qu’une amie de mes parents nous avait montré, après l’avoir retirée d’un papier de soie, l’étoile jaune qu’avait portée sa mère. J’aurais tout donné pour posséder ce morceau de tissu dont la gloire sinistre m’aurait auréolé. Alors je n’ai rien à moi ? Je n’ai pas le droit de souffrir, moi aussi ? Alors je fouille – un vrai chien truffier. Je regarde la peau de la vieille femme. Fatiguée, tâchée, flétrie. La peau est ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur (p. 128-129).

À force d’insistance, la vieille femme me regarde, gênée. Est-ce que je ne peux pas lui foutre un un peu la paix ? La vérité du cauchemar m’est inaccessible, je me contenterai de son souvenir, même si je dois pour cela renvoyer une vieille dame en enfer. Quel autre moyen ai-je de prendre ma part ? qu’est-e qu’on m’a laissé à moi ? Les restes. Les images. Comment revendiquer l’héritage ? Comment caresser le bonheur d’avoir un jour été malheureux ? Pourquoi aimons-nous tant la souffrance ? Comment ont-ils su qu’elle était faite pour nous ? Faite nôtre ? La nôtre. La seule. Pourquoi avons-nous écrit notre destin dans l’encre de la nuit bleue des images ? Comment ont-ils su que ce que l’on tatouait au père, le fils ne voudrait pas l’effacer ? Et qu’il aimerait cela d’un amour méprisable. Ce désir narcissique d’être invité à la table du malheur (p. 131).

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil.
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Je voudrais tant m’en sortir. Je voudrais tant savoir respirer ; faire des choses simples qui me lient aux hommes ; regarder les étoiles ; connaître le nom des arbres ; pas seulement me déplacer, mais poser un pied devant l’autre, amener ma conscience dans le mouvement ; ressentir le changement des saisons, pas seulement avoir chaud ou avoir froid ; prendre un avion sans craindre qu’il tombe, un bateau sans suffoquer de ne plus voir la côte ; parler à mes ancêtres, tranquillement, non pas comme s’ils étaient encore là, non pas comme s’ils n’y étaient plus, mais trouver le langage qui nous relie, qui ne passe pas par des mots, qui ne soit pas tissé des regrets de ce qu’on ne s’est pas dit, qui soit fait d’une matière nouvelle, qu’il ne soit pas question de remonter le temps mais au contraire d’être ensemble dans un temps incréé. Je voudrais tant.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 133.
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