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EAN : 9782070369393
275 pages
Gallimard (05/01/1973)
3.75/5   491 notes
Résumé :
Un concert fracassant envahit la rue. "Les pompiers", pensai-je. Arezki n'avait pas bougé. Les voitures devaient se suivre, le hurlement s'amplifia, se prolongea sinistrement et s'arrêta sous la fenêtre. Arezki me lâcha. Je venais de comprendre. La police. Je commençai à trembler. Je n'avais pas peur mais je tremblais tout de même. Je n'arrêtais plus de trembler : les sirènes, les freins, le bruit sec des portières et le froid - je le sentais maintenant - le froid d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
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Elise a-telle songé à se marier, à avoir des enfants, à vivre une vie de femme épanouie, la vraie vie ? Sans doute, mais la vie elle, en a décidé autrement. Elle naît avant la seconde guerre mondiale, elle est élevée à Bordeaux avec son frère, par sa grand-mère dont elle prendra soin, subit la guerre qui oblige les familles citadines à se protéger des bombardements, puis devient la grande soeur protectrice, la mère pour ce frère instable qu'elle soutient contre vents et marée et pour qui elle se sacrifiera.

Discrète fleurette tapie dans la pelouse, elle porte le monde, véritable ange gardien, elle tente de devenir la conscience de son frère. Et puis elle rencontre l'amour…

Claire Etcherelli dans ce roman très bien documenté, décrit avec justesse, le climat de la France durant la guerre d'Algérie, guerre rejetée par une bonne partie des Français, elle dénonce le racisme ambiant, emmène le lecteur en usine pour qu'il se mêle à la dure réalité du travail à la chaîne sous-payé, confié à des émigres qui savent qu'ils seront renvoyés au pays s'il ne sont pas en mesure de fournir une fiche de paie aux policiers, qu'il se confronte à l'injustice des cadres qu'il se mette dans la peau de l'immigré algérien victime des rafles, monnaie courante en ces années.


Le personnage d'Elise est ambigu : libérée par certains aspects de sa personnalité, elle se laisse bercer par Arezki, malgré la xénophobie de nombreuses personnes qu'elle côtoie. Toutefois elle se montre dépendante des exigences de son frère qu'elle entretient, obligée à un travail difficile faute d'avoir pu étudier, soumise à un destin qui l'oblige à renoncer à cette vraie vie pour se consacrer à ce personnage militant, infidèle, perturbateur, et lui vouer l'amour inconditionnel d'une grande soeur.


Elise ou la vraie vie n'est pas un roman des plus réjouissants, mais on y rencontre beaucoup de beauté, beaucoup de passion, et l'attachement à Elise ainsi que la belle plume de l'auteur subsistent après la lecture. C'est sans nul doute ce qui restera en moi de ce livre.
Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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J'ai raté l'entrée dans ce livre comme l'on peut manquer d'un rien d'attraper l'autobus, paradoxalement pour cause de précipitation. Du coup pendant une cinquantaine de pages, cette désagréable impression de courir derrière avec l'espoir ténu d'enfin agripper le marche-pied. Et toujours cette phrase qui trotte lancinante dans ma tête : "Ne pas penser. Ne pas reprendre les dernières phrases de la dernière conversation, les mots que la séparation ..." p.8 Ô phrase si souvent ressassée, hélas, qu'elle n'a pu m'alerter ; tout le récit est un énorme flashback : Elise remâche sa vie .

J'ai pris conscience de toute l'importance d'une telle construction dans le Chardonneret de Donna Tartt, car tout prend alors une autre dimension.
Ici, j'ai eu sur le début l'impression que le livre me rejetait, que je n'avais pas ma place dans ce monde âpre de douleur et pauvreté, c'est écrit petit, le texte me paraît dense, tout est gris. Il m'a fallu lutter et lutter encore : "Rien jamais ne nous était donné. Il fallait tout arracher." p.208 Où me raccrocher dans ce Paris, à l'opposé du strass, des paillettes et du rêve ? Paris que je ne connais pas. Et comment rentrer dans ce monde ouvrier si fermé, si peu côtoyé ? Sentiment total d'exclusion, alors faute d'être dans la tête d'Elise, si fraternelle, je me rapproche de Lucien. Pourtant c'est un salaud, il fuit ; pire, il se fuit. Même lui, avec ses élans enflammés et soudains, sa démangeaison de convaincre sur le terrain, me semble lointain. Ma lucidité me force à admettre que je suis rejeté en périphérie tel ce sociologue bourgeois révolutionnaire en chambre dont je préfère oublier jusqu'au prénom.

Mais revenons à Lucien. Qui pense aujourd'hui en regardant les jeux olympiques à tous ces enfants laissés sur le banc ?
- Tu comprends, mon ami - mon Ami !?- tu n'es pas sélectionné, aujourd'hui.
- Et demain ?
- Mais on - On !? - a besoin de toi, pour ... porter les bouteilles d'eau, encourager et aider celui qui est sur le terrain.
Comble de l'ignominie ! Qui dira les affres d'une amitié bafouée ? Exclusion qui vous trace un destin : la révolte. Permanente, viscérale, le rejet d'être rejeté ! Cantonné, ne ris pas, dans le rôle du perdant, à vie. N'empêche je continue à penser que c'est quand même un salaud. De belles phrases, de beaux slogans, de grandes idées dans l'absolu mais dans tout cela que deviennent Marie-Louise, sa femme et la petite Marie, sa fille, délaissées, spoliées au profit d'Anna rencontrée au Parti qu'il accepte comme maîtresse. Et sa grand-mère qu'il laisse tomber comme une vieille chaussette et Elise vite remisée au Foyer ? Oui mais Elise, en tant que soeur, est prête à tout lui pardonner. Des petits mots, des petits gestes, les lectures du soir, l'attention inquiète, l'admiration aveugle, par petites touches successives Claire Etcherelli fait apparaître ce lien fusionnel, fort, inconditionnel.

Ah, que je les envie toutes ces âmes généreuses et spontanées qui elles peuvent s'illusionner le temps de leur lecture devenir Elise. Car au-delà de la misère, au-delà de l'épuisement physique de l'abrutissant travail à la chaîne, au-delà des races, des regards désapprobateurs, des on-dit, des persifflages, au-delà des conflits, de la guerre même, Elise découvre au quotidien ce qu'il y a de beau à l'usine dans Arezki, cet étranger, cet Algérien pourchassé. Elise c'est une présence active : c'est celle qui a le geste qu'il faut au moment où il faut, la parole qui touche, le sourire qui réchauffe, l'aide secrète, simplement Elise écoute son coeur.

Elise vit et revit la rencontre de l'amour de sa vie. Elle repense à tous ces petits gestes, tous les émois de deux coeurs qui se cherchent, s'éloignent, se rapprochent et s'apprivoisent. Il en faut du courage à Elise, à Arezki, que leurs cultures et leurs nations en guerre séparent. Après bien des conversations et des déambulations dans ce Paris inquiet, peu à peu ils se trouvent... jusqu'à finalement fusionner dans cet éclair qui vient illuminer leur nuit noire et chargée de si lourds nuages. "Je connus le plaisir de donner du plaisir" p.247. Douce fois perdre pied en un élan rythmé.^^ Ca doit être cela la vraie vie. Exclusion, Inclusion, battements du coeur... la vie.

Amour cruel qui fait les amours éternels : Elise et Arezki c'est Juliette et Roméo sans chanson ni mandoline ! Le livre se termine sur le glas d'un autre Alexandrin qui sonne comme une incantation "Je me retire en moi mais je n'y mourrai pas." La même ultime déchirure scelle la pureté de cet amour longtemps façonné comme un diamant qui brillera dans la nuit des temps.

Des phrases simples font rejaillir le réel, des dialogues rythmés par la cadence de la chaîne ou qui prennent vie en dehors de l'usine. Belle écriture que celle de Claire Echerelli, forte, engagée ou aussi sensible, fine, à l'écoute et qui fait si bien émerger tout ce qui est tu. Toute la puissance du non-dit m'a heurtée de plein fouet pour me retrouver brutalement embarqué... dans cet autobus vers un univers que je ne connais pas. La vie qu'est-ce que c'est ? Alors la vraie vie, que pourrais-je vous en dire ? Je peux par contre vous dire que dans le titre le ou est inclusif, comme Elise ou encore la vraie vie. Et comme elle se raconte si bien ...

PS. Un petit cadeau sur le sujet par la voix d'une autre grande dame ... pour garder un lien
https://www.youtube.com/watch?v=GM1u72MNLuI
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Lorsqu'on sait que Claire Etcherelli appartient au mouvement dit de " littérature prolétarienne ", on peut être ou formidablement attiré par son grand roman qui connut un grand succès et fut gratifié du Prix Femina 1967... ou au contraire se dire... encore un tract gauchiste qui va nous embarquer dans l'éternelle antienne de la lutte des classes et autres sujets barbants !

Dans l'un et l'autre cas de figure, je dis gardez-vous de tout jugement hâtif et songez, par exemple, à - À la ligne : feuillets d'usine -, le formidable bouquin du regretté Joseph Ponthus, qui a, ne serait-ce que par son contexte, l'usine et le travail à la chaîne comme parenté avec - Élise ou la vraie vie -. L'un et l'autre prenant racine dans la réalité d'un quotidien très similaire.

Ce qui rend le roman de Claire Etcherelli si singulier et d'une certaine façon unique, c'est qu'il embrasse plusieurs thèmes à la fois : l'enfance orpheline, la pauvreté, la vie provinciale opposée au " parisianisme ", l'amour maternel et quasi castrateur d'une soeur aînée pour son frère, le mariage comme échappatoire à la claustration juvénile, l'adultère, la paternité déléguée, l'abandon, la condition et la vie ouvrière, " la fuite monotone et sans hâte du temps " sur une chaîne de montage dans une usine d'automobiles, l'engagement politique, le racisme et l'Amour impossible dans un contexte où le poids de l'Histoire est omniprésent.
C'est de la fiction, c'est de l'autofiction et c'est un témoignage.

Élise est la soeur aînée de Lucien. Tous deux orphelins de père et de mère ont été confiés à la garde de leur grand-mère.Nous sommes au début des années 50 peu avant la fin de la Guerre d'Indochine, quelque part dans un quartier populaire de Bordeaux. Élise ne vit que pour son frère, lequel cherche à échapper à cette mère de substitution castratrice... Ils grandissent chichement dans une vie provinciale rythmée par l'ennui. Lucien a un mantra qu'il répète inlassablement à Élise : " bientôt nous connaîtrons la vraie vie..."
En attendant, peu d'études pour l'un et l'autre. Peu ou pas de travail si ce n'est quelques heures de surveillance dans un établissement scolaire pour Lucien... Celui-ci, joli garçon sans grands scrupules s'éprend d'une belle voisine, Marie-Louise, qu'il épouse et met enceinte. Deux gosses, l'une éprise de son jeune et beau mari, un autodidacte qui épluche les journaux compulsivement... l'autre un idéaliste épris d'une conscience et d'un idéal révolutionnaire que la rencontre de deux militants, Henri un intellectuel bourgeois acquis au socialisme et Anna une maîtresse révolutionnaire, vont pousser à franchir le pas : partir pour la capitale pour contribuer à y préparer " le grand soir ".
Élise renvoyée à une vie terne et solitaire s'occupe de la grand-mère qu'une glissade sur un trottoir givré a envoyée pour quelques mois à l'hôpital.
Un jour, une lettre de Lucien convainc Élise de rendre visite à son frère à Paris.
Commence alors pour elle " la vraie vie ".
D'hôtels minables en foyers, le manque d'argent va pousser la jeune femme à travailler... à l'usine, à la chaîne de montage des automobiles. Sa fonction : passer d'une voiture à l'autre pour vérifier que le processus de fabrication est correct... tableau de bord, boîte à gants,essuie-glaces, rétros, phares, clignotants sont inspectés à la chaîne en un temps chronométré etc etc
Le milieu est un milieu d'hommes. La grande majorité de ces hommes sont des Arabes... et nous sommes en pleine guerre d'Algérie... En même temps que la condition ouvrière, le travail à la chaîne, la vie en usine, Élise va découvrir le racisme de la France des années 50, avec ses rafles, ses " ratonnades ", la violence de la police française, celle du FLN... et le grand amour pour Arezki, un ouvrier algérien qui milite clandestinement pour l'indépendance de son pays...

Les 276 pages de ce roman se lisent la boule au ventre. le travail d'écriture et de restitution de Claire Etcherelli est remarquable de justesse, de finesse, d'acuité. de tous les thèmes qui s'imbriquent dans ce roman, pas un n'est négligé. Mais toutes les pages qui ont trait à l'usine, à la vie à l'usine, au travail à la chaîne, sont d'un réalisme confondant.

Qui ne sait pas ce qu'était le travail à la chaîne dans les usines Renault ou autres à la fin des années 50 dans notre beau pays, devrait lire cet ouvrage. À l'heure où l'on parle de retraite, de pénibilité, de salaires, de primes, de productivité, ce livre est un formidable témoin de ce que furent les " Trente Glorieuses " et de ce qu'ont vécu beaucoup de " Boomers ".
Qui parle de racisme dans un monde qui en est gangrené devrait lire ce livre pour mieux comprendre où, quand et comment il est né.
Qui parle de violences policières, de contrôles au faciès devrait lire ce roman.
Qui veut lire une très belle histoire d'amour vécue par un couple mixte devrait lire - Élise ou la vraie vie - !

C'est du romanesque, c'est de l'historique, c'est du sociologique... c'est du Ken Loach et du Upton Sinclair, celui de - La jungle -. Bref, ça bouscule, ça dérange !

" Celui que j'ai prêté à Lucien me manque terriblement. Dix mille francs. de quoi vivre toute une semaine. Nous sommes des pauvres dignes. de ceux qui cachent leur pauvreté comme une disgrâce honteuse. Cela doit rester entre nous."

" Je me suis trouvé dans la nécessité matérielle d'accepter un boulot pénible, mais combien exaltant. Je vais me mêler aux vrais combattants, partager la vie inhumaine des ouvriers d'usine. Au milieu des Bretons, des Algériens, des Polonais exilés ou des Espagnols, je vais trouver le contact avec la seule réalité en mouvement. Et quand j'aurai fini ma journée d'usine, je retrouverai mes papiers, mes papiers, car, ma vieille Élise, je témoignerai pour ceux qui ne peuvent le faire."

" Il y a cinq mois que je suis là, reprit Lucien. J'ai été à ton poste, à d'autres. Et j'ai compris le système. Que tu partes ou que tu restes, ce que je veux te dire te servira. Trois jours, un mois, peu importe. Ne sois pas humble. Ici, l'humanité est un aveu. Un peu d'insolence mettra les autres à l'aise. Les chefs sont des aboyeurs. Ne leur ôte pas ce plaisir. N'en fais pas trop. Fais-le comme un bon outil, tu n'es pas autre chose. Ne cherche jamais à comprendre ce que tu fais. Ne demande pas à quoi sert ceci ou cela. Tu n'es pas là pour comprendre, mais pour faire des gestes. Quand tu auras pris la cadence, tu deviendras une mécanique bien réglée qui ne verra pas plus loin que le bout de la chaîne. Tu seras classée bonne ouvrière et augmentée de trois francs de l'heure."

" Arezki, lorsqu'il me rejoignit à Stalingrad, déclara que nous n'irions plus aux Ternes, ça n'était pas un bon quartier...
- On va... au Trocadéro.
Nous avons été au Trocadéro. Nous y sommes même revenus le surlendemain. Nous nous sommes promenés dans les jardins où la brume givrante dressait autour de nous des murs protecteurs. Nous avons été à l'Opéra et fait plusieurs fois le tour de l'édifice. Nous avons traversé les ponts.
Nous nous sommes perdus dans les rues du quartier Saint-Paul. Nous avons remonté les boulevards autour de l'axe Saint-Augustin. Partis de Vaugirard, nous nous sommes retrouvés à la porte d'Auteuil. La rue de Rivoli, nous l'avons parcourue dans les deux sens. Et le boulevard Voltaire, et le boulevard du Temple, et les ruelles derrière le Palais-Royal. Et la Trinité, et la rue Lafayette. Nous ne revenions jamais dans le même quartier. Quelque fait banal, un rassemblement, l'ombre d'un car de police, un flâneur qui nous suivait, et la promenade tournait court. Il fallait nous quitter."

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1958. A Bordeaux, Elise mène une vie morne auprès de sa mère, en tentant de compenser les frasques de son frère, Lucien, jeune écervelé rêvant d'un autrement et ailleurs qui tomberait du ciel. La donne change lorsque sa petite amie du moment se retrouve enceinte de ses oeuvres. le couple s'installe dans la maison familiale, subsistant sur les maigres revenus d'Elise. La vraie vie est un rêve fumeux et intangible.

Mais quand Lucien abandonne femme et enfant pour partir à Paris avec sa maitresse, il réussit a convaincre Elise de le suivre. L'argent est un éternel problème pour ces jeunes qui se bercent d'illusions et Elise se fait embaucher à la chaine dans une usine de construction de voitures, où elle rencontre Arezki, un ouvrier algérien.


Le roman est paru en 1967, assez peu de temps après cette période que l'histoire n'a pas voulu assimiler à une guerre, la masquant sous le vocable vague d' « événements». Malgré tout, les relations tendues de la population française vis à vis des émigrés d'alors, les rafles, les arrestations et les vérifications incessantes, sont particulièrement bien évoquées. de même on participe avec Elise à ce quotidien abrutissant et épuisant qui ne laisse guère de temps, après de nombreuses heures à suivre la cadence, pour rêver d'une autre vie. Décevante et débilitante, la vraie vie!

J'ai beaucoup aimé le réalisme des portraits des personnages, bien mis en valeur par une très belle écriture.

C'est le témoignage d'une époque qui avait défini les cibles de sa haine, sans savoir que des décennies plus tard, d'autres migrants viendraient endosser le costume du rejet de la différence.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Elise,est-ce que tu reconnais
La grisaille de ce quotidien qui s'éternise,
La fatigue qui achève tes parcelles de vie,
L'usine qui absorbe ton énergie vitale,
Dans l'odeur des voitures qui s'assemblent?

Elise, est-ce que tu assumes
cette passion défendue,
Avec Arezki l'Algérien ,
Que tu dois cacher,
protéger,
voiler de ton amour pur,
de ton amour fou,
pas raisonnable,
pas normal,
pas acceptable?

Elise,est-ce que tu es prête
À la brutalité des événements
Qui s'invitent en cette année 1957,
De ce racisme qui salit,
Qui blesse,
qui tue,
qui refuse,
qui dénigre,
qui avili,
qui humilie,
qui rejette,
qui oppresse,
qui interdit
à des êtres doux et délicats
de s'aimer…
Au-delà des frontières,
au-delà de la politique,
au-delà des guerres!

Elise, est-ce que tu l'aimes
pour un peu,
pour un pourquoi,
pour un combat de chaque jour,
pour un plongeon,
dans les eaux glacées ,
d'un temps
qui juge,
qui rejette,
qui pointe du doigts,
qui déraisonne,
qui se remplit de rejet,
d'indifférence,
de poursuite maléfique ?

Elise,est-ce que tu es prête à vivre
L‘amertume,
les blessures,
les espoirs déchus,
La peur au ventre,
la peur de le perdre,
la nostalgie poignante,
Les éclats de lumière
D'un amour qui s'irise
De nostalgie,

Que de courage à vivre ;
Ta vie
Elise,
Complètement,
entièrement,
avec aplomb,
avec sincérité,
avec honnêteté
d'une battante,
d'une rebelle qui affronte les
orages du temps
et qui reste fière et droite
au-delà des peurs,
au-delà des tords,
au-delà des mots…

Un livre qui m'avait bouleversé à 20 ans lorsque je l'ai lu …
Un livre qui reste encore dans ma mémoire sensitive tellement l'écriture de Claire Etcherelli est intense et vrai !!!
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critiques presse (2)
OuestFrance
13 mars 2023
Le livre racontait les amours clandestines à Paris entre deux ouvriers, une Française d’origine très modeste et un immigré algérien militant pour l’indépendance. Il exposait le tabou du racisme dans la société française des années 1950-60, notamment des brimades subies par les immigrés maghrébins.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
SudOuestPresse
13 mars 2023
« Élise ou la vraie vie » était aussi un roman réaliste salué pour avoir dépeint avec justesse la condition des jeunes femmes en usine.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
À six heures, il reste encore un peu de jour, mais les lampadaires des boulevards brûlent déjà. J'avance lentement, respirant à fond l'air de la rue comme pour y retrouver une vague odeur de mer. Je vais rentrer, m'étendre, glisser le traversin sous mes chevilles. Me coucher... J'achèterai n'importe quoi, des fruits, du pain, et le journal. Il y a déjà trente personnes devant moi qui attendent le même autobus. Certains ne s'arrêtent pas, d'autres prennent deux voyageurs et repartent. Quand je serai dans le refuge, je pourrai m'adosser, ce sera moins fatigant. Sur la plate-forme de l'autobus, coincée entre des hommes, je ne vois que des vestes, des épaules, et je me laisse un peu aller contre les dos moelleux. Les secousses de l'autobus me font penser à la chaîne. On avance à son rythme. J'ai mal aux jambes, au dos, à la tête. Mon corps est devenu immense, ma tête énorme, mes jambes démesurées et mon cerveau minuscule. Deux étages encore et voici le lit. Je me délivre de mes vêtements. C'est bon. Se laver, ai-je toujours dit à Lucien, ça délasse, ça tonifie, ça débarbouille l'âme. Pourtant, ce soir, je cède au premier désir, me coucher. Je me laverai tout à l'heure. Allongée, je souffre moins des jambes. Je les regarde, et je vois sous la peau de petits tressaillements nerveux. Je laisse tomber le journal et je vois mes bas, leur talon noir qui me rappelle le roulement de la chaîne. Demain, je les laverai. Ce soir, j'ai trop mal. Et sommeil.
Et puis je me réveille, la lumière brûle, je suis sur le lit ; à côté de moi sont restées deux peaux de bananes. Je ne dormirai plus. En somnolant, je rêverai que je suis sur la chaîne ; j'entendrai le bruit des moteurs, je sentirai dans mes jambes le tremblement de la fatigue, j'imaginerai que je trébuche, que je dérape et je m'éveillerai en sursaut.
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« La pendule de la porte de Choisy marquait la demie. Arezki était déjà dans la file, mais un peu à l’écart. J’allai vers lui. Il me fit un signe. Je compris et me plaçai derrière lui sans mot dire. Lucien arriva. Il ne me vit pas et je fis semblant de ne pas le voir. Il alluma une cigarette, et comme il tenait l’allumette près de son visage, j’en saisis le profil desséché, noir de barbe, osseux.
Nous montâmes dans la même fournée. Impossible de reculer, il m’aurait vue. J’allai vers l’avant, prenant soin de ne pas me retourner. Arezki m’ignora. À la Porte de Vincennes où beaucoup de gens descendirent, je me rapprochai de lui. Il me demanda où je désirais descendre afin que nous puissions marcher un peu. Je dis : « A la Porte de Montreuil. » J’avais repéré les soirs précédents une rue grouillante où, me semblait-il, nous nous perdrions aisément.
Il descendit et je le suivis. Lucien m’avait-il vue ? Cette supposition me gêna. Nous traversâmes, et, contemplant deux cafés mitoyens, Arezki demanda :
— On boit un thé chaud ?
— Si vous voulez.
Il y avait beaucoup de monde et beaucoup de bruit. Les banquettes semblaient toutes occupées. Arezki s’avança dans la deuxième salle. Je l’attendis près du comptoir. Quelques consommateurs me dévisagèrent, je sentais leurs yeux et je devinais leurs pensées. Arezki réapparut. En le regardant s’avancer, j’eus un choc. Mon Dieu, qu’il avait l’air arabe !… Certains, à la chaîne, pouvaient prêter à confusion avec leur peau claire et leurs cheveux châtains. Ce soir-là, Arezki ne portait pas de chemise mais un tricot noir ou marron qui l’assombrissait davantage. Une panique me saisit. J’aurais voulu être dehors, dans la foule de la rue.
— Pas de place. Ça ne fait rien, nous allons boire au comptoir. Venez là.
Il me poussa dans l’angle.
— Un thé ?
— Oui.
— Moi aussi.
Un garçon nous servit prestement. Je soufflai sur ma tasse pour avaler plus vite. Dans la glace, derrière le percolateur, je vis un homme coiffé de la casquette des employés du métro qui me dévisageait. Il se tourna vers son voisin qui repliait un journal.
— Moi, dit-il, très fort, j’y foutrais une bombe atomique sur l’Algérie.
Il me regarda de nouveau, l’air satisfait. Son voisin n’était pas d’accord. Il préconisait :
— …foutre tous les ratons qui sont en France dans des camps.
J’eus peur qu’Arezki réagît. Je le regardai à la dérobée, il restait calme, apparemment.
— Il paraît qu’on va nous mettre en équipes, me dit-il.
Sa voix était assurée. Il tenait l’information de Gilles et m’en détailla les avantages et les inconvénients. Je me détendis. Je lui posai beaucoup de questions, et, pendant qu’il y répondait, j’écoutais ce que les gens disaient autour de nous. Et j’eus l’impression qu’en me répondant, il suivait la conversation des autres.
Quand je passai devant lui pour sortir, l’homme qui voulait lancer une bombe atomique fit un pas vers moi. Par chance, Arezki me précédait. Il ne vit rien. Je m’écartai sans protester et le retrouvai dehors avec la sensation d’avoir échappé à un péril.
La rue d’Avron s’étendait, scintillante à l’infini. Pendant quelques minutes, les étalages nous absorbèrent.
— Alors, me demanda-t-il ironiquement, comment allez-vous ?
— Mais je vais bien.
— Vous aviez l’air malheureuse ces derniers jours. Vous n’avez pas été malade ? »
Tu peux badiner, Arezki. Tu es là. Ce soir, je n’évoque pas ton visage. C’est bien toi, présent. […] C’est un moment privilégié, suspendu irréellement au-dessus de nos vies comme le sont les guirlandes accrochées dans cette rue. Ne parler que pour dire des phrases légères qui nous feront sourire.
— Il faut m’excuser pour ces derniers jours, j’étais occupé. Des parents sont arrivés chez moi.
— J’ai cru que vous étiez fâché. Vous ne me disiez ni bonjour ni bonsoir.
Il proteste. Il m’adressait un signe de tête chaque matin. Et puis, est-ce si important ? Il faudrait, dit-il, choisir un jour, un endroit fixes pour nous rencontrer.
J’approuve. Les boutiques s’espacent, la rue d’Avron scintille moins, et là-bas, devant nous, elle est sombre, à peine éclairée. Nous traversons. Arezki tient mon bras, puis passe le sien derrière moi et pose sa main sur mon épaule.
— Je suis assez occupé ces jours-ci. Mais le lundi, par exemple… Votre frère est monté derrière nous. Vous l’avez vu ?
— Je l’ai vu.
— Élise, dit-il, si on se disait tu ?
Je lui répondis que je vais essayer, mais que je crains de ne pas savoir.
— Le seul homme que je peux tutoyer est Lucien.
— C’est ça, dit-il moqueusement, elle va encore me parler de son frère…
Pendant notre première promenade, je ne lui ai, remarque-t-il, parlé que de Lucien.
— Je me suis demandé si tu étais vraiment sa sœur. Où pourrions-nous nous retrouver lundi prochain ?
— Mais je ne connais pas Paris.
— Ce quartier n’est pas bon, déclare-t-il.
Et il me fait faire demi-tour. Nous remontons vers les lumières.
— Choisissez vous-même et vous me le direz lundi matin.
— Où ? à la chaîne devant les autres ?
— Pourquoi pas ? Les autres se parlent. Gilles me parle, Daubat.…
— Tu oublies que je suis un Algérien.
— Oui, je l’oublie.
Arezki me serre, me secoue.
— Répète. C’est vrai ? Tu l’oublies ?
Ses yeux me fouillent.
—Oui, mais vous le savez bien. Je ne peux pas être raciste.
— Ça, je le sais. Je pensais plutôt, au contraire, à cause de Lucien et des gens comme ça, que c’était un peu l’exotisme, le mystère. Il y a un an…
Nous reprenons notre marche et il me tient à nouveau par l’épaule.
— … j’ai connu une femme. Je l’ai… oui, aimée. Elle lisait tous les jours dans son journal un feuilleton en images, ça s’appelait « La passion du Maure ». Et ça lui était monté à la tête. Elle mêlait ça avec les souvenirs de son père qui avait été clandestin pendant la guerre contre les Allemands. » p. 155-159
« On s'occupait beaucoup de moi. J'avais quarante-cinq minutes à attendre. Je pris une rue transversale, au hasard. Elle aboutissait à un grand terrain vague au fond duquel s'élevaient plusieurs immeubles neufs.
À huit heures moins le quart, je revins au bureau d'embauche. Quelques hommes, des étrangers pour la plupart, attendaient déjà. Ils me regardèrent curieusement. À huit heures, un gardien à casquette ouvrit la porte et la referma vivement derrière lui.
– Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il à l'un des hommes qui s'appuyaient contre le mur.
– Pour l'embauche.
– II n'y a pas d'embauche, dit-il en secouant la tête. Rien.
– Ah oui ?
Sceptique, l'homme ne bougea pas.
– On n'embauche pas, répéta le gardien.
Les hommes remuèrent un peu les jambes, mais restèrent devant la porte.
– C'est marqué sur le journal, dit quelqu'un.
Le gardien s'approcha et lui cria dans la figure :
– Tu sais lire, écrire, compter ?
Ils commencèrent à s'écarter de la porte, lentement, comme à regret. L'un d'eux parlait, en arabe sans doute, et le nom Citroën revenait souvent. Alors, ils se dispersèrent et franchirent le portail.
– C'est pour quoi ? questionna le gardien en se tournant vers moi.
Il me regarda des cheveux aux chaussures.
– Je dois m'inscrire. Monsieur Gilles...
– C'est pour l'embauche ?
– Oui, dis-je intimidée.
– Allez-y.
Et il m'ouvrit la porte vitrée.
Dans le bureau, quatre femmes écrivaient. Je fus interrogée : j'expliquai. Une des femmes téléphona, me fit asseoir et je commençai à remplir les papiers qu'elle me tendit.
– Vous savez que ce n'est pas pour les bureaux, dit-elle, quand elle lut ma fiche.
– Oui, oui.
– Bien. Vous sortez, vous traversez la rue, c'est la porte en face marquée " Service social ", deuxième étage, contrôle médical pour la visite.
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Surtout ne pas penser. Comme on dit "Surtout ne pas bouger" à un blessé aux jambes brisés. Ne pas penser. Repousser les images, toujours les mêmes, celles d'hier, du temps qui ne reviendra plus. Ne pas penser. Ne pas reprendre les dernières phrases de la dernière conversation, les mots que la séparation a rendus définitifs, se dire qu'il fait doux pour la saison, que les gens d'en face rentrent bien tard; s'éparpiller dans les détails, se pencher, s'intéresser au spectacle de la rue.
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... par les vitres de l'autobus, suivre la descente du brouillard. [...] J'avais cinquante minutes d'irréalité. Je m'enfermais pour cinquante minutes avec des phrases, des mots, des images. Un lambeau de brume, une déchirure du ciel les exhumaient de ma mémoire. Pendant cinquante minutes je me dérobais. La vraie vie, mon frère, je te retiens ! Cinquante minutes de bonheur qui n'est que rêve. Mortel réveil, porte de Choisy. Une odeur d'usine avant même d'y pénétrer. Trois minutes de vestiaires et des heures de chaîne. La chaîne, ô le mot juste...
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Je gardai encore l'espoir de le trouver dans l'escalier, puis à la sortie et enfin à l'autobus. Mais je rentrai sans l'avoir vu, seule et malheureuse.
J'appris ce que signifiait toutes ces expressions : défaillir, avaler sa salive, avoir le cœur serré, dont j'avais ri jadis. Chaque fois qu'Arezki passait devant moi chuchotant tout juste "pardon", chaque fois qu'il laissait passer une occasion d'être seul avec moi, c'était tout mon corps qui avait mal.
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Prix Femina - Prix Médicis
Sujet muet sur le Prix Femina attribué à "Élise ou la Vraie Vie" de Claire Etcherelli et le prix Medicis attribué à Claude SIMON pour son livre "Histoire".
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