Dans le monde de l'édition, « Exile en BD : Musique en planches » fait figure d'OVNI… Mais qu'est-ce donc que ce drôle d'objet ?
Paru fin 2004, ce livre d'une quarantaine de pages, format à l'italienne, met en avant des textes du groupe musical Exile. Chaque chanson – il y en a dix en tout - est illustrée par un jeune auteur de BD.
Le projet s'inscrivait dans la continuité du décloisonnement entre les modes d'expression artistique revendiqué par le quintette "exilien" depuis sa création en 1997. le groupe a toujours revendiqué des influences musicales éclectiques, de Brel ou Thiéfaine (côté francophone) jusqu'à Queen ou Bowie… Mélange de chanson à textes et de rock un peu seventies. Comme il est dit en introduction de l'ouvrage, le groupe se plait à "braver les étiquetages musicologico-mycosiques". Il a ainsi logiquement donné l'habitude d'offrir sur scène des spectacles où le mime, le
théâtre ou encore les déclamations poétiques ont une place de choix. L'ouverture au visuel s'est élargi en collaborant avec l'atelier de bande dessinée Bidibull', dans la banlieue de Poitiers.
C'est audacieux et le résultat est intéressant : des concerts avec projection simultanées des dessins réalisés en direct par les bédéistes, et le présent ouvrage.
Dans le recueil, les dessins servent plutôt bien l'ironie, l'humour grinçant et la poésie douce-amère des textes d'Exile. Certaines pages sortent du lot. C'est le cas des dessins de Cain, tout en rondeur et couleurs chatoyantes, qui accompagnent « Chewing-gum », petite ballade méchante contre une jeunesse qui "se déballonnent" un peu vite et finit par "coller aux chaussures de l'humanité" ; et aussi de ceux de l'infographistes et illustrateur R. V. Fayol où la "bêtise anonyme" évoquée dans la chanson se retrouve personnifiée en homme masqué à cape de super-héros…
Coup de coeur pour la réalisation du duo Hachène/Lepithec pour « le Fils de Satan » ; le scénariste Hachène s'inspire de cette chanson plutôt directe et réaliste sur la différence et l'exclusion pour en faire une fable animalière étonnante, parfaitement servie par le trait de Lepithec : le marginal est un louveteau dans un monde de moutons…
A voir, à lire, à écouter.
Un ouvrage collectif regroupant des musiciens, des auteurs et des illustrateurs. Mais que sont-ils devenus depuis ?
Parmi les auteurs de BD, certains ont fait leur petit bonhomme de chemin, comme Lepithec, dessinateur de « José Lapin » (BD jeunesse).
Les « Exile » sont devenus Les Ducs. Ils ne sont plus cinq mais quatre. le quatuor a enchaîné plusieurs albums : « Anita » (2007), « 62 » (2010) et… « Les Ducs » (2014). Des chansons du recueil continuent d'être interprétées sur scène ou bien ont été ré-enregistrées sur les albums plus récents. C'est le cas de « Déterminé », évocation des mines antipersonnel dans le tiers-monde, et « Abdoulaye », dédié au dernier tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale, décédé à l'âge de 104 ans en 1998, la veille d'un 11 novembre pendant lequel l'État français avait prévu de lui remettre une récompense officielle… Un pied de nez au destin qui colle assez bien à l'esprit anticonformiste défendu par le groupe.
Le texte reste primordial. Comme le souligne le site music-in-belgium à propos du dernier opus de 2014, "il faut impérativement lire les paroles des chansons qui sillonnent ce disque plein de verve et d'humour. Les Ducs y pratiquent la langue des oiseaux, manipulant jeux de mots habiles ou syntaxe alambiquée, toujours au service de la dérision. […] Les Ducs renouent avec la tradition de ces chansons faisant de l'absurdité un genre littéraire, comme avaient pu le faire leurs prédécesseurs
Boris Vian ou Bobby Lapointe. Ils éduquent et restaurent le flambeau de la belle langue, rejoignant les rangs des quelques francs-tireurs qui commencent à réoccuper les étagères les plus raffinées de l'armoire de la chanson française comme Thomas Et Son Groupe Electrogene, Baptiste Pizon ou jack Dupon."