A l'épreuve de la faim n'est pas un roman comme dirait l'ami stricto sensu. Ce journal d'une île froide n'est pas plus un journal que Singer Island (Floride, EU) n'est polaire. Dans cette fausse autobiographie,
Frederick Exley est
Frederick Exley. L'élément permanent de cet ouvrage qui se cherche, dérive, chaloupe, se redresse. L'élément constant de ce bateau ivre, à la fois alcoolique, amoureux de littérature, écrivain désespéré, baiseur impénitent, lancé dans une entreprise folle d'autodestruction.
Après
le dernier stade de la soif,
Exley ne fut pas auréolé de gloire, ne croula pas sous les dollars ni l'admiration de quelque grand écrivain, lui qui admirait avec coeur et sans mesure. Insatisfait des retombées de son premier roman pourtant digne d'éloges (je l'ai lu, je l'ai plus qu'aimé) et, par ailleurs primé,
Exley voulait plus. Encore plus.
« - Votre véritable vie littéraire, lançai-je, commencera le jour où vous accepterez que l'exclusion, le chaos, la solitude, le travail, et le travail et le travail sont les conditions sine qua non de l'écriture ; » Ses étudiants sont parés. La voie de la dépression géniale leur est montrée.
Il concentre alors et fort logiquement son énergie à obtenir moins. Entre biture du matin et cuite du soir, il promène sa tristesse déchirante, son cynisme (forcé?), sa rébellion et sa grossièreté de la Floride en Iowa où il anime un atelier d'écriture.
Entre whisky au litre, vodka à l'hectolitre, à la fois proche et lointain d'un
Bukowski moins loser,
Exley s'offre une obsession littéraire à la mort d'
Edmund Wilson, critique littéraire majeur, écrivain moins majeur. Il convoite la canne du défunt, scrute les nécrologies puis délaisse l'idée fixe pour promener sa carcasse ailleurs, du côté du féminisme, de la télévision, de cette Amérique des années 70 dans laquelle Mailer pérore.
Exley abhorre, envie, aime et mouline les grandes figures de l'Amérique des années 70.
Exley, collé à un canapé de skaï luisant de sueur, transpirant l'alcool comme d'autres le Vittel, fait oeuvre protéiforme. Ce satané bouquin ne se laisse pas étiqueter. Rare, inclassable, plein de rien et de tout, mariant le cynisme et la soif d'absolu,
A l'épreuve de la faim débouche sur le vide vertigineux de l'existence. Où il ne reste qu'à boire.
Un daïquiri?
Oups! Avec tout ça, j'allais oublier de remercier Babelio et
Monsieur Toussaint Louverture pour ce fort joli cadeau issu de la dernière opération Masse Critique. Santé à vous!