Citations sur Le beaujolais nouveau est arrivé (44)
Ça soûle plus que le vin, le bonheur. Ça devrait pouvoir se garder en tonneau.
Moi, j'ai qu'un racisme : j'aime pas les cons !
- Allô, madame Germaine ? C'est Paulo. Oui, Debedeux, ça va ? Qu'est ce que vous leur faites à midi à bouffer, à cette bande de vaches ? Du miroton ? Ah ! les fumiers ! Vous m'en gardez une assiette pour ce soir ? Merci mille fois, madame Germaine. Ils sont là ? Qu'est ce qu'ils font ? Ils jouent au 4.21 ? Je m'en doutais. Ah ! les veinards ! Vous pouvez m'en passer un, de ces affreux ? N'importe lequel, ils se valent tous... Allô, c'est toi, Captain Beaujol ? Re-bonjour, vieille noix. Tu as fait mon lit ?... Fallait pas !... Tu as balayé ? Tu vas te péter une joyeuse, si tu te forces ! T'as mis les balayures sous le lit ? Ok, ça serait con de les mettre ailleurs... Qui est-ce qui gagne ? Poulouc ? Il me semble qu'il sort beaucoup d'as, en ce moment. Faut le surveiller d'un œil, oui. Je me demande s'il nous encaldosse pas un loubé depuis quelques temps, ce pâle voyou de mes deux... Vous avez cassé la graine ?... Du fromage de tête ? Je penchais pour la saucisse sèche... Et vous attaquez la troisième bouteille ? Tais-toi, Beaujol, tu me files le bourdon. Tais-toi, je te dis. Je pédale dans la merde, ici. Oui, dans la merde. T'es sourdingue aujourd'hui. Méfie-toi, mon frère, la paluche, ça bouche les étiquettes. Si, si, officiel. Remarque, ça vaut cent fois mieux d'être dur de la feuille que d'avoir un bergère à la crèche pour te becqueter la rate et le gésier !... Oui... Je sais... T'en dégoteras une... Hélas... Bon, les abandonne pas... Dis-leur que les embrasse. Mais non, je vire pas pédé, Beaujol !... Mais je pense à vous... A ce soir, bande de sales cons !...
Il raccrocha, rieur. La mine effarée de sa secrétaire le rafraichit. Contre toute évidence, il lança, hargneux :
- Ben quoi, mademoiselle ! C'était New-York. Parfaitement, le bureau de New-York ! En Amérique !
Des femmes à poil sans poils, on a beau dire, c'est point de la vraie femme à poil.
Poulouc demeura simple sous cet excès d'honneurs et remit sa tournée. Il se sentait étrangement à l'aise et de plain-pied dans ce bistrot oublié. On y pouvait se croire à l'intérieur d'une bulle de savon, d'une serre, d'un ventre maternel. Maladroits au-dehors, hésitants, peu prolixes, Beaujol et Camadule revivaient là, refleurissaient, parlaient haut.
Chez eux.
Déjà Poulouc savait que lui aussi était chez lui et qu'il y resterait tant que durerait ce bien-être inconnu. Les rodomontades du Captain, la placidité de Camadule, l'odeur du petit salé, la quiétude du lieu, la saveur de clepsydre du temps, tout cela le changeait délicatement des angoisses, des incertitudes, des hâtes propres à sa génération. Il pensait, avant d'entrer ici, qu'il avait grandement fait, à vingt-deux-ans, le tour des juke-boxes. Il était sûr, aujourd'hui, que sa vie était là, un peu coupable, un brin larvaire, mais toute chaude...
On a fait venir un toubib (...). Il a dit que c'était la boisson, on l'a foutu dehors. Tous les mêmes, ces ahuris à limettes : pas fumer, pas bouffer, pas boire, pas d'amour. Les soins, d'après eux, ça consiste à se laisser crever à petit feu devant leur ordonnance et une cuvette d'eau pour tout potage.
Ce saint vivant, ignoré des calendriers officiels, était plus célébré, honoré que ceux, desséchés, fossiles, qui y figuraient dans l'indifférence générale, . Saint Beaujolais Nouveau, Saint de Paix, éclipsait Saint Albert, peu après l' "Armistice de 1918". On le priait, mais seulement de se montrer aussi gouleyant, ou davantage, que celui de l'année dernière, on ne lui demandait que d'exister, de passer une fleur au bec, ou un refrain, et surtout de revenir l'année prochaine...
Fallait la voir : moche ! Mais tarte ! Atroce ! J’osais pas la regarder. Deux mentons, trois dents, quatre cheveux, et les roberts sur le baba. On risquait pas de me la piquer. Six mois encore, que ça a marché. J’étais pas malheureux. C’était la reine du bourguignon, Roseline, et moi j’en mangerais à tous les repas, du bourguignon.
- Comment que ça a fini ? demanda poliment Poulouc.
- Mal. Vachement mal. Elle est morte. Y a que la mort qui pouvait nous séparer, elle et moi. Pas les lieutenants, pour une fois. Ah ! vrai, j’ai pas eu de chance…
- Elle non plus, peut-être ? supposa Camadule.
Les femmes ne s'en vont jamais sauf, comme par hasard, celles qu'on aimerait voir rester.
- Ça vaut quand même pas un Chambertin-Clos-de-Bèze.
Camadule le méprisa à tue-tête :
- C'est pas comparable, mollusque au mazout ! Le Beaujolais nouveau, c'est pas un premier cru, c'est le Beaujolais nouveau, et rien de plus. C'est un pinard malin, un ouistiti de vin, un petit truc sympa et poétique. Évidemment, la poésie et toi, vous passez pas par le même chemin !