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Critique de chocobogirl


"Tu verras". Une expression serinée par le narrateur mais qui parle pourtant d'un futur qui ne sera pas. Car contre toute attente, Clément est mort. Il avait 12 ans. Son père nous dit la douleur qui l'habite, ses regrets, son impossibilité à continuer quand ce qui donnait sens à sa vie disparaît. Divorcé, il vivait seul avec son fils qu'il ne savait pas toujours comprendre. Toujours prompt à le reprendre, à pointer du doigt ses défaillances, le père s'escrime désormais à retrouver ces petits riens, à replonger dans le flot de ses souvenirs, coupable de ne pas avoir assez montré son amour.

Malgré les apparences, Tu verras n'est pas un récit autobiographique. L'auteur s'est juste appuyé sur une expérience personnelle où il a failli perdre son enfant, renversé par une voiture. Une expérience forte qui rejaillit dans ce roman poignant où l'auteur a mis toutes ses peurs et ses propres interrogations.

Ecrit à la première personne du singulier, Tu verras est conduit par le père, narrateur de sa propre vie, de ses propres sentiments. Dès les premières pages, le lecteur plonge dans la douleur qui l'habite. Aucun parent n'est prêt à perdre des enfants si jeunes et pourtant Colin doit faire face à cette absence. Chaque geste, chaque objet, chaque son est prétexte à le renvoyer à Clément : un emballage qui traîne dans la voiture, une musique qui passe à la radio,...
Le quotidien n'est que douleur. La vie n'est que douleur. Une douleur et un vide constant que Colin tente de remplir à l'aide de ses souvenirs. Alternant entre le quotidien qui rattrape violemment le père et les souvenirs et anecdotes filiales qui affluent, la narration nous plonge véritablement dans l'horreur du deuil.
Nicolas Fargues traduit la torture de voir l'avenir de son fils s'effacer. Clément ne connaîtra pas l'amour, ni la joie des baisers, ni ces milliers de petites choses qui font les petits bonheurs d'une vie. Clément ne comprendra pas les fameux "Tu verras" quand tu seras plus grand de son père.

Mais au-delà de l'aspect émotionnel de la mort et du deuil, l'auteur se penche particulièrement sur le rôle d'un père, sur l'amour et l'éducation que nous donnons à nos enfants. Au fil des moments avec son fils qu'il se remémore, le narrateur s'interroge sur la manière dont il a élevé son fils, sur ses propres réactions, sur la vision idyllique que nous avons de la parentalité qui s'avère bien différente de la manière dont nous l'appliquons. Colin se montrait détaché vis à vis de son fils : il ne gardait pas ses dessins, ne le prenait jamais en photo. Il avait une attitude assez dure envers Clément qu'il n'hésitait pas à alourdir de sarcasmes pour mieux dénoncer cette façon ridicule qu'il avait de suivre ses copains, de s'habiller comme eux, d'écouter la même musique ridicule. Un père sans souplesse donc qui a, d'une certaine façon, oublié sa propre jeunesse.
Colin se sent coupable et ne s'épargne pas dans les descriptions. Il a oublié ses principes personnels, s'est compromis avec des femmes qu'il n'aimait finalement pas, incapable de donner la priorité à son fils. Il observe la société d'aujourd'hui avec ses nouveaux codes, ses familles recomposées, les jeunes amantes qui n'assument pas les enfants d'une première union, les pères qui tentent de rester jeunes et ne sont que des vieux cons dépassés par leur époque, et les enfants dans tout ça qui doivent faire avec et s'émancipent en secret du poids des parents.

Je n'avais jamais lu Nicolas Fargues. Je suis rentrée dans ce roman avec circonspection, sujette d'apriori un peu "parisien". Et pourtant, ce roman m'a totalement emballé. Scotché même. L'auteur évoque avec une grande force et surtout avec justesse des sentiments pour lesquels le lecteur ne peut ressentir que de l'empathie. L'émotion est présente dans chaque ligne. On vibre à l'unisson du narrateur et on aimerait tant que sa douleur s'allège.
Je n'ai pas d'enfants et la perspective d'en avoir reste pour le moment très lointaine mais ce roman m'a totalement renvoyé à cette position. C'est quoi être parent ? Comment doit-on envisager le quotidien à leur côté ? Que voulons-nous transmettre à nos enfants ? Comment leur montrer notre amour tout en les éduquant de manière juste ? Des questions certainement universelles mais dont les réponses ne sont pas si évidentes. L'auteur ne donne pas de réponses : elles sont à trouver en chacun de nous.

Tu verras est une véritable plongée dans le gouffre du deuil, de toute la douleur dont on ne sait que faire. Une douleur qu'on peut choisir d'affronter ou pas. On peut décider d'arrêter notre propre vie, fuir dans des paradis artificiels pour mieux oublier ou partir à l'autre bout du monde comme Colin. Une fuite qui ne résout rien mais permet peut-être d'avancer. Un peu.
C'est aussi un portrait sans concession des relations d'un père avec son fils, tous deux ancrés dans une époque qui les sépare malgré eux. En analysant la complexité des rapports avec ses conflits de générations, ses incompréhensions, ses silences, Fargues dénonce aussi le poids de la société d'aujourd'hui qui, avec ses conventions, ses évolutions, ses petites compromissions quotidiennes, finit par fausser les rapports entre personnes.

Tu verras est véritablement un roman très puissant qui parlera aux parents comme aux autres. Un roman bouleversant sans tabous, sans pathos dont je regretterais uniquement l'épisode final en Afrique qui ne m'a pas complètement convaincue. L'absence d'un véritable dénouement m' a laissé une impression un peu flottante et presque interrogative sur le sens à donner aux derniers faits.
Un bémol qui ne doit pourtant pas vous empêcher de plonger dans cette histoire !
Lien : http://legrenierdechoco.over..
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