On ne mesure pas toujours l'importance de la composante roumaine dans la culture française. Cela avait commencé au temps du symbolisme. Des aristocrates roumaines imitaient leur reine (qui publiait sous le nom de Carmen Sylva) et écrivait en français des vers et de la prose que l'époque appréciait mais qui n'ont pas survécu aux années. Les noms d'Hélène Vacaresco et de la princesse Bibesco ont plus ou moins disparu et celui de la comtesse de Noailles, née Brancovan, a si fort pâli qu'il est à craindre que bientôt il n'en reste plus rien. Non content de régner sur le symbolisme roumain, Alexandre Macedonski collaborait fréquemment aux revues françaises et belges (son roman "Le Calvaire de feu" est publié à Paris) et, comme le peintre Pallady, l'ami de Matisse, séjournait le plus souvent possible en France. C'est surtout avec les années vingt que l'on verra arriver une génération de Roumains désireux de se fixer en France : Tzara, bien sûr et Panaït Istrati, Stéphane Lupasco puis les poètes Fondane, Voronca, Claude Sernet, sans oublier l'actrice Elvire Popesco, tous adopteront la langue française. Et, bien entendu, les peintres Victor Brauner, Jacques Hérold, le moldave Michonze. Et le compositeur Marcel Mihalovici. Un peu plus tard, une autre vague, avec Eugène Ionesco, E. M. Cioran, Mircea Éliade, se révélera dans les quatre ou cinq années d'après-guerre. C'est dire si Brancusi n'a jamais manqué de compatriotes à Paris.
C'est un tout autre Paciurea qui se révèle avec la "Tête d'enfant" de 1907. La tête très ronde émerge de la masse informe du bronze où seuls se dessinent quelques doigts d'une main. C'est une grande main d'adulte qui caresse le cou de l'enfant et celui-ci sourit de bonheur. Alors que les deux sculpteurs n'avaient plus de rapports, Brancusi exécute lui aussi des têtes d'enfants en 1906 et 1907. C'est avec les différentes versions du "Supplice" que la comparaison est intéressante : bonheur extatique chez Paciurea, douleur chez Brancusi, dans l'un et l'autre cas traduit par une même inclinaison de la forme ovoïde de la tête. Le traitement plastique et le modelage surtout sont différents : alors que Paciurea tire vers l'impressionnisme de Medardo Rosso, Brancusi est plus proche des formes franches de Rodin.
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D'abord rédigé comme une sorte de journal de bord, ce livre a ensuite été complété, en italique, par des notes et précisions rendues possibles par l'accès ultérieur à une information que ne permettait pas le voyage. Pour faciliter la lecture, la consultation, voire le plagiat (?), on y a aussi adjoint un index. Cet appareil de référence n'est pas là seulement pour la commodité mais aussi pour faire illusion : en réalité, ce livre n'est pas sérieux. C'est peut-être sa principale qualité. (page 8)
Entretien avec Serge FAUCHEREAU