"The poor son of a bitch," she said. "Which one are you talking about now ?" "Both of them," she said. "All of us. Every one of us. The poor son of a bitches."
C'est la fin d'un monde. Avec La Demeure,
Faulkner adresse un adieu tremblé au Yoknapatawpha. Soulevant aiguilles de pin et écorces rouges, l'écrivain trifouille d'une plume usée la termitière Jefferson et expose à la lumière crue d'un style toujours incomparable le fruit de ses excavations : l'un ou l'autre de ces gros insectes à la blancheur écoeurante, les Snopes .
C'est la fin d'un monde. Les années ont passé et les héros sont fatigués. Flem Snopes s'est métamorphosé en un anachorète claquemuré dans son bureau, mâchonnant air et souvenirs viciés comme du tabac à chiquer. Sa présumée fille, Linda, revenue au pays veuve et sourde -la guerre d'Espagne est passée par là- se prodigue dans des activités antiségrégationnistes et entretient des liens toujours ambigus avec un Gavin Stevens enfin casé. le petit Mallison s'est déniaisé grâce au stalag -Hitler est passé par là- et la pipelette Ratliff a diversifié son commerce, ajoutant radio et télévision à ses machines à coudre -le consumérisme est passé par là-. Mais où est le Sud d'antan !
Ces porte-paroles habituels de l'auteur (Stevens, Ratliff et Mallison) rabâchent désormais leurs historiettes, ajoutant ou retranchant des détails, exagérant les situations ou jugeant de façon péremptoire faits et gestes mais à l'instar d'ancêtres radoteurs, un brin insupportables. La mythographie faulknérienne patine donc un peu... Il suffit cependant qu'ils évoquent un politicien démagogue et raciste (le déjà trumpien Clarence Snopes) ou un grigou survolté (l'impayable Meadowfill) pour illuminer une lecture un tantinet ardue.
Mais La Demeure c'est avant tout la trajectoire de Mink Snopes, avorton monomaniaque dont la vengeance aura attendu 38 années de prison pour être assouvie. Ne serait-ce que pour les pages limpides que
Faulkner lui consacre, ce roman mérite d'être lu. Cette tragédie d'un homme obsédé, sa solitude dans un monde qu'il ne reconnaît plus, sa foi inflexible en un Dieu terrible mais juste ("Old Master just punishes ; He don't play jokes.") sont bouleversantes. Minuscule fourmi laborieuse qu'une semelle immense menace, il poursuit son chemin industrieux et vain et son jusqu'au-boutisme impressionne durablement. Inoubliable Caïn en salopette et godillots.
Une suite pour violoncelle de Bach s'élevant au milieu d'un jug band. Implacable !
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