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EAN : 9782940426317
460 pages
Entremonde (25/06/2014)
4.29/5   61 notes
Résumé :
Première traduction française de cet ouvrage féministe majeur de Silvia Federici. Elle écrit un nouveau chapitre du Capital de Marx en écrivant une l'histoire du passage du féodalisme du capitalisme du point de vue des femmes, et où le capitalisme apparaît moins comme une lente transformation naturelle qu'en tant que contre-révolution contre les luttes du Moyen-âge.
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Bon, on va pas se mentir, ce n'est une lecture facile : c'est très référencé, très fouillé, très approfondi et même si le lecteur peut avoir l'impression que l'auteur ne se concentre que sur les femmes et les colonisés, c'est en fait toute l'histoire économique et sociale de l'Europe médiévale et de la Renaissance qui est passée en revue. Et ce n'est pas toujours ce que les profs nous on appris en cours.
Déjà, on y parle des femmes et des colonisés autrement que comme des à-côtés mais comme de vrais variables d'ajustement du capitalisme. C'est parce que ces 2 groupes ont été mis dans les places qu'ils occupent encore souvent aujourd'hui que le capitalisme a pu se développer autant. Les techniques utilisés à ce moment-là sont d'ailleurs toujours d'actualité : expulsion et privatisation des communaux, les adversaires désignés comme sorcières ou terroristes, mis en place d'une forme de servage ; le but est d'augmenter la productivité des terres, d'agrandir les espaces agricoles sans se soucier de ce qui est détruit au passage.
En Europe furent perdues des communautés de femmes (béguinages, groupes de villageoises souvent pauvres vivant ensemble), une sociabilité villageoise (et donc du lien entre tous les membres du village), une médecine traditionnelle (connaissance des plantes mais aussi techniques de soin plus douces, plus proches du malade). Alors certes les rendements ont augmenté (et paradoxalement les famines), les richesses (mais pas le ruissellement), le niveau de vie aussi s'est élevé ; la méfiance envers les femmes et des femmes entre elle aussi, le racisme, ainsi que l'individualisme se sont accentués.
Alors, évidemment, tout 'était pas tout rose avant non plus. Si Fédérici ne le rappelle pas clairement, c'est quand assez clair : les famines et les épidémies étaient ravageuses, les femmes avaient (déjà) moins de droits que les hommes, mais elles avaient une place dans l'espace public et professionnel, la pauvreté était endémique, le pouvoir absolu de la part du clergé et des pouvoir politique (voir les émeutes, les répressions...)
Néanmoins, la mise en place du capitalisme au moment de la Renaissance, avec la destruction physique d'un certain type d'individus qui résistaient à cette mise sous clé des communs a forgé la société d'aujourd'hui. Les sorcières étaient souvent des femmes pauvres, qui pratiquaient une médecine populaire (et souvent la seule médecine accessible aux villageois) ; c'est elles qui avaient le plus à perdre des différentes privatisation et qui y on opposé une grande résistance (les sources historiques attestent souvent de la présence de femmes en tête des émeutes de la faim). Elles ont dû être "apprivoisées", peu importe les techniques utilisées... Idem pour les esclaves et la nature.
Voila (en très résumé) ce qui ne figure que rarement dans nos manuels d'histoire... C'est un essai très érudit, qui rend attentif autant au passé qu'à notre présent.
La prochaine fois qu'on vous parle de sorcières, essayez de savoir s'il n'y a pas une décision de la banque mondiale ou d'une multinationale derrière...
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Caliban et la sorcière de Silvia Federici est un texte issu d'une recherche menée depuis le milieu des années 70 sur les femmes dans la transition entre féodalisme et capitalisme dans l'histoire.
L'autrice part du principe que les hiérarchies sexuelles sont toujours au service d'un projet de domination et que l'idée post moderne selon laquelle "la culture occidentale" aurait une prédisposition à comprendre le genre par oppositions binaires doit être questionnée. Nos catégories actuelles seraient issues d'une lente construction historique : l'émergence du capitalisme n'a pu se faire que concomitamment à une division sexuée du travail confinant les femmes au travail reproductif (et à la reproduction de la main d'oeuvre notamment). Silvia Federici revendique son texte comme relevant d'une approche marxiste, féministe et foucaldienne de la question des femmes dans ce passage de l'histoire européenne, où elle s'intéresse tout particulièrement à la période, très peu étudiée de la chasse aux sorcières.

En six chapitres d'une incroyable densité (bien trop importante pour une lecture rapide de ce texte), elle revient sur l'époque médiévale et le servage où les différences entre hommes et femmes sont encore peu visibles. A cette époque, la dépendance des femmes aux maris est très limitée par l'appartenance au seigneur local.

L'introduction des premiers salaires au XIIIe siècle, amène avec elle une première phase de prolétarisation des paysans, apparaissent des journaliers, travailleurs sans-terres et commencent les premiers exodes ruraux. Les abus cléricaux et seigneuriaux conduisent aux premiers mouvements hérétiques où les femmes ont une place à part, sans équivalent selon Silvia Federici avec le reste de la période médiévale. Elles développent de grandes habiletés notamment dans le contrôle des naissances. La grande famine suivie de la peste noire du XIIIe et qui auront pour conséquences une grosse chute démographique et une crise du travail, liée à la pénurie de main d'oeuvre, occasionnent alors de nombreuses rebellions paysannes contre le joug féodal.

Une contre-révolution est menée par les autorités politiques qui auront pour objectif principal de canaliser les violences des jeunes travailleurs hommes. Une des mesures de cette contre-révolution consiste à décriminaliser le viol pour "canaliser" les comportements. Pour Silvia Federici, c'est le début de la grande entreprise d'avilissement des femmes. Celle ci s'accompagnera notamment de l'institutionnalisation de la prostitution et des bordels.

La fin du Moyen Age sur une période s'étendant de 1450 à 1650 connaît une nouvelle offensive de la classe dominante européenne basée sur la force et l'enclosure. Un moyen de spolier les terres paysannes, créant ainsi une nouvelle vague de précarisation des individus et le concept du travailleur "libre". Extrêmement paupérisé en réalité. de nouvelles révoltes s'ensuivent qui seront réprimées par la mise en place des "sciences statistiques" cherchant à contrôler mieux ces classes dangereuses. Phénomène qui s'accompagne d'une vague de criminalisation des femmes en vue de leur asservissement à la procréation directement mise au service de l'accumulation capitaliste. Plus d'hommes égale alors, plus de richesses. Des penseurs comme Descartes ou Hobbes concourront d'ailleurs plus ou moins involontairement à ce système généralisé de répression du corps (dédoublé de son âme) qui n'est plus considéré que comme une machine.

L'entreprise de contrôle des naissances et de domestication du corps de la femme, trouvera un point d'orgue, dans le même temps, à travers la chasse aux sorcières que connaît l'Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Entreprise violente de répression totale des derniers contrôles des femmes de leurs corps par elles mêmes. Amenant ainsi l'idée triomphante de la féminité soumise et domestique.

Ardu mais éclairant !
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Silvia Federici revisite la transition entre le féodalisme et le capitalisme, sous l'angle de l'histoire des femmes, du corps et de l'accumulation primitive. Moment de transformation des rapports de travail et des relations de genre, pendant lequel des millions d'esclaves ont alors posé les fondations du capitalisme moderne, tandis que les femmes étaient systématiquement asservies et exterminées par milliers, au nom de la chasse aux sorcières. Elle montre comment « le corps a été pour les femmes dans la société capitaliste ce que l'usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain originel de leur exploitation et de leur résistance, lorsque le corps féminin a été exproprié par l'État et les hommes et contraint de fonctionner comme moyen de reproduction et de l'accumulation du travail ».
(...)
Lecture incontournable qui bouleverse les conceptions généralement admises de l'histoire du Moyen Âge, des femmes et du capitalisme.


Compte rendu de lecture complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Caliban et la sorcière est un livre extrêmement dense et érudit. La langue utilisée est très accessible mais l'étendue du panel d'exemples et de sujets abordés pour expliquer les prémices du capitalisme peut considérablement déstabiliser le lecteur. Silvia Federici nous propose à la fois un essai d'histoire économique, d'histoire sociale, d'histoire des femmes, d'histoire rurale, d'histoire politique et réussit à mettre tous ces plans en lien avec notre système actuel. C'est prodigieux !

Pour la suivre, il peut être utile d'avoir quelques connaissances de base sur ces différents sujets. Car Silvia Federici ne se contente pas de faire une synthèse sur l'état de la société médiévale et moderne, elle revisite cet état des lieux sous l'angle féministe et marxiste. Si vous avez eu quelques vagues cours d'histoire - un jour peut-être - sur les enclosures sans en avoir saisi toute la portée, en lisant Silvia Federici vous allez comprendre comment les biens communs, les communaux, - en somme des pâturages, des champs et des forêts exploités par toute une communauté de villageois - sont devenus des biens privés, et ont ainsi privé bon nombre d'individus de ressources élémentaires et vitales jusqu'alors accessibles à tous : terres agricoles, bois de chauffage, pâturage pour les animaux, etc. Les premières impactées par cette privatisation des terres ont été les femmes, celles qui jusqu'alors n'avait pas accès à la propriété pour y cultiver leur gagne-pain. Tout le livre de S. Federici consiste à expliciter cette méticuleuse mise en place du système capitaliste puis du travail salarié en Europe et aux Amériques, et de manière collatérale, la manière dont les femmes ont été mises au ban de ce système, notamment par la déconsidération portée au travail féminin. Les soins du foyer et des enfants n'étant pas reconnus selon les lois du capitalisme - puisque non rémunérés - cela n'empêche pas pour autant que ce travail maternel contribue largement à l'effort général puisqu'il en fournit la matière première : à savoir la main d'oeuvre. Ces processus de privatisation des terre, de paupérisation des masses aboutissant à des situations de pillages et de discorde au sein des communautés jusqu'alors unies forment "l'accumulation primitive" selon l'expression de Karl Marx. Silvia Federici s'attache à montrer le rôle prépondérant que joue l'asservissement des femmes dans cette accumulation

Silvia Federici englobe également dans son argumentaire les questions sur les chasses au sorcières, ces femmes savantes, soignantes, veuves, célibataires ou non-mères, puissantes en quelques sorte, car non directement soumises au pouvoir patriarcal et possiblement incriminées du jour au lendemain, torturées et assassinées sur les bûchers. La chasse aux sorcières et ses bûchers par leur caractère despotique et dissuasif se présente comme une solution radicale pour étouffer dans l'oeuf toute velléité rebelle. Silvia Federici montre également qu'en tant que premières impactées par les réformes capitalistes, les femmes étaient également les premières à s'insurger et les premières aussi à subir les répressions.

Selon le même processus d'accumulation primitive, les peuples colonisés ont pu être diabolisés par les colonisateurs, légitimant ainsi leur évangélisation, leur "pacification" et leur esclavagisation. Silvia Federici n'hésite pas à relever la mise en oeuvre de ces processus jusque dans nos sociétés contemporaines, dans certains pays africains notamment où les terres sont en cours de privatisation à l'heure actuelle.

J'espère n'avoir pas trop abimé les idées de Silvia Federici en rédigeant ce court résumé de ce monumental essai, et je ne peux que vous encourager fortement à le lire, le méditer, le laisser décanter, y revenir, le cogiter, le critiquer, etc.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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Un essai passionnant et interpellant. L'auteure nous montre la lente évolution de la société européenne vers le capitalisme et l'impact sur les femmes (de la condition sociale au traitement du corps). A côté du volet féministe, l'on rappelle certaines grandes libertés médiévales et le fait que les buchers et les grandes persécutions sont bel et bien des faits "modernes". Sous couvert de l'approche historique, nous voyons aussi l'impact sur notre quotidien et certaines de nos conception.
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Citations et extraits (61) Voir plus Ajouter une citation
Si l’on regarde le contexte historique dans lequel la chasse aux sorcière s’est déroulé, le genre et l’origine de classe des accusés, ainsi que les effets de la persécution, on est amené à conclure que la chasse aux sorcières en Europe était une attaque contre la résistance des femmes à la progression des rapports capitalistes, contre le pouvoir dont elles disposaient en vertu de leur sexualité, de leur contrôle de la reproduction, et de leur aptitude à soigner.
La chasse aux sorcières était aussi un instrument pour la construction d’un nouvel ordre patriarcal où le corps des femmes, leur travail, leurs pouvoirs sexuel et reproductif étaient mis sous la coupe de l’État et transformé en ressources économiques. 
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La chasse aux sorcières anéantit tout un monde de pratiques féminines, de rapports collectifs et de systèmes de connaissances qui avait constitué le fondement du pouvoir des femmes dans l’Europe précapitaliste, ainsi que la condition de leur résistance dans la lutte contre le féodalisme. Un nouveau modèle de féminité émergea à la suite de cette défaite : la femme et l’épouse idéale, passive, obéissante, économe, taiseuse, travailleuse et chaste. Ce changement s’opéra à partir de la fin du XVIIe siècle, après que les femmes aient été soumises à « deux siècles de terrorisme d’État. »
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A tous points de vue, socialement, économiquement, culturellement, politiquement, la chasse aux sorcières constitua un tournant dans l’existence des femmes […] Un nouveau modèle de féminité émergea à la suite de cette défaite : la femme et l’épouse idéale, passive, obéissante, économe, taiseuse, travailleuse et chaste. […]
L’ampleur du massacre aurait dû éveiller quelques soupçons, des centaines de milliers de femmes ayant été brûlées, pendues et torturées en moins de deux siècles. […]
Il ne fait aucun doute que la chasse aux sorcières anéantit les méthodes que les femmes avaient employées pour contrôler la procréation, les qualifiant de diaboliques, et institutionnalisa le contrôle de l’état sur le corps des femmes, ce qui était la condition préalable à sa subordination en faveur de la reproduction de la force de travail.
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Le corps a été pour les femmes dans la société capitaliste ce que l’usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain originel de leur exploitation et de leur résistance, lorsque le corps féminin a été exproprié par l’État e les hommes et contraint de fonctionner comme moyen de reproduction et de l’accumulation du travail
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L'éradication de ces pratiques était une condition nécessaire à la rationalisation capitaliste du travail, parce que la magie apparaissait comme une forme illicite de pouvoir et un instrument pour obtenir ce que l'on voulait sans travail, c'est à dire le refus du travail en action. (...) En outre , la magie reposait sur une conception qualitative de l'espace et du temps qui excluait une régulation du procès de travail. Comment les nouveaux entrepreneurs pouvaient-ils imposer des cadres réguliers de travail à un prolétariat ancré dans la croyance qu'il y a des jours favorables et d'autres pas, autrement dit, des jours où l'on peut voyager et d'autres où l'on ne doit pas sortir de chez soi, des jours où se marier et d'autres où toute initiative doit être soigneusement évitée ?
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Un passionnant entretien avec Silvia Federici sur ce que se doit être un féminisme conséquent.
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