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Critique de Nastasia-B


C'est toujours agréable, pour les oeuvres traduites, d'avoir entre les mains une petite édition bilingue, même si l'on n'est qu'un fort piètre hispanophone, histoire de se faire une idée de l'ampleur de la trahison, des distorsions et déformations diverses auxquelles sont contraints les traducteurs pour transvaser une pensée émise dans une langue d'origine au creux de notre moule francophone avec ses contraintes internes.

C'est étonnant aussi de voir à quel point les langues vieillissent, cheminent sur leurs propres rails, s'éloignent toujours plus du noeud ferroviaire dont elles émanent. Sur le trajet du vieillissement des langues, chaque auteur est une gare, toujours plus loin du point de départ.

Félix Lope de Vega est une station suffisamment éloignée de l'Espagne d'aujourd'hui pour nous fournir une vague idée du chemin parcouru. Il en va de même pour l'évolution des sociétés. Si le castillan de l'auteur est assez proche de l'actuel pour nous permettre de le bien comprendre, autant il nous permet d'en déceler les altérations plus récentes.

De même, la société royale et catholique de l'Espagne de la Reconquista est par beaucoup d'aspects encore très proche de la nôtre (on s'en rend compte en lisant des tragiques grecs par exemple, où le fossé culturel et générationnel est bien plus marqué) mais déjà passablement différente de la société où nous évoluons pour que nous en mesurions bien l'étendue.

C'est donc plus qu'une aventure littéraire de se frotter à Lope de Vega, c'est déjà de la paléo-ethnographie. On trouvera dans cette édition deux pièces aux accents tragiques plus prononcés qu'à l'accoutumée chez l'auteur.

Tout d'abord, le Chevalier D'Olmedo, une tragi-comédie (quant à la structure mais que l'on peut sans peur ranger dans la catégorie des tragédies) en trois actes où l'auteur, en s'appuyant sur des faits réels plus ou moins récents et plus ou moins remaniés tout en lorgnant fort du côté des mythes grecs, donne sa conception de la morale et de l'honneur, et où il nous rappelle qui en est le socle, le garant et en même temps le plus beau fleuron en cette société espagnole du XVIIème siècle, à savoir, le roi catholique.

Quelle est la part de ce que pense l'auteur ? quelle est la part de ce que son public, sensibilisé aux événements, attend ? et quelle est la part de ce que la cour royale lui autorise à écrire ? Là est un autre débat, pas inintéressant, mais vraisemblablement affaire de spécialistes, aux rangs desquels je ne me compte pas ; donc je n'ai nulle raison de poursuivre sur cet axe.

En revanche, le texte, lui, reste une bonne base de discussion. Lope de Vega nous y raconte une histoire d'amour avec des relents d'eau de rose au départ. En effet, lui est beau, riche, vaillant, fort apprécié du roi ; elle est belle comme pas permis, bien dotée, issue d'une très respectable famille, d'une vertu incomparable.

Bref, tout devrait bien se goupiller. Lui, c'est le Chevalier d'Olmedo, Don Alonso, elle, c'est la fleur de Medina del Campo : j'ai nommé Doña Inés. le hic, c'est qu'évidemment, une fleur comme cette Inés, devant le parvis de l'église de Medina del Campo, ça se remarque. Et bien sûr, tous les garçons à marier de bonne famille sont sur les starting-blocks pour tâcher de conquérir le coeur de la belle Inés.

Le plus ardent prétendant se nomme Don Rodrigo. Il n'a certes rien d'exceptionnel mais il n'est pas non plus scandaleusement hideux, incapable ou idiot. À telle enseigne que le père d'Inés, Don Pedro, pense qu'il pourrait constituer un parti honorable pour sa fille et lui a déjà plus ou moins promis sa main.

Inutile de vous préciser que lorsque surgit de la ville voisine d'Olmedo une espèce d'Apollon doublé d'un Hercule, qui le ridiculise lors des festivités de la corrida, l'ami Don Rodrigo commence à fulminer sous son crâne. Pire, toutes ses sincères marques de dévouement pour Inés ne recueillent qu'indifférence et sourires forcés tandis que les tours d'adresse de Don Alonso font resplendir l'allégresse dans les yeux de sa Dulcinée.

Je ne vous en dis pas plus mais vous avez probablement bien senti que les ferments d'une tragédie sont en train de prendre racine. Néanmoins Lope de Vega, par l'intermédiaire de deux personnages atypiques et intéressants imprime une structure de comédie à la pièce.

Tout d'abord Fabia, l'entremetteuse un peu sorcière, ex-fille de joie et sans doute maquerelle à ses heures, dont le personnage a tout pour plaire au réalisateur Pedro Almodovar. Et ensuite l'écuyer de Don Alonso, Tello, sur lequel repose une bonne part du burlesque, une manière d'Arlequin qu'on croirait tout droit sorti de la Comedia dell'Arte.

Ensuite, l'on enchaîne avec le Duc de Viseu, une pièce elle aussi franchement plus " tragi " que " comédie ". C'est heureux que ces deux oeuvres aient été réunies car elles ont des points communs nombreux qui nous permettent de s'en figurer un peu plus sur les aspirations et le mode de pensée de l'auteur.

Ici, le noble chevalier d'Olmedo est remplacé par le Duc de Viseu, mais ses attributs sont quasiment les mêmes. Ce qui va changer, c'est que l'envie et la jalousie amoureuses à son égard émanent cette fois-ci du roi lui-même. C'est la raison intime pour laquelle Lope de Vega déplace son histoire en royaume de Portugal, car il est bien connu qu'un roi espagnol ne saurait témoigner d'autant de bassesse… (C'est toujours commode d'avoir un Portugal sous la main pour lui coller tous les trucs malpropres qu'on n'ose pas trop dire à voix haute.)

Structurellement, et aussi par son intrigue, cette pièce est un peu plus complexe que la précédente car c'est une jalousie puis une vengeance d'un tiers, que le roi utilise à son compte pour atteindre et assouvir sa propre vengeance et ainsi tarir la source de son irrépressible envie ou défiance vis-à-vis du duc.

Je dis plus complexe, car l'entremise de Don Egas est capitale. Celui-ci est un noble, plein de vaillance et d'attraits, mais qui a le malheur d'avoir une branche pourrie dans son arbre généalogique. Cette " souillure " dans le pedigree, pour un noble portugais, c'est d'être issu d'une femme maure. Il est parvenu à le cacher, mais l'information s'ébruite juste avant son mariage.

La promise, encore une Doña Inès, mais quelque peu retorse celle-là, rejette tout en bloc en apprenant cela et compromet sérieusement le connétable qui lui a fourni l'information, contre son gré et à la demande insistante de la fiancée, en allant tout bonnement rapporter cela à Don Egas.

Vous imaginez le sac de noeuds pour le connétable, qui n'avait pourtant l'intention de nuire à personne. Merci Inès ! le problème c'est que Don Egas est le favori du roi et, de ce fait, jouit d'un pouvoir de nuisance considérable. Comment le Duc de Viseu sera éclaboussé dans cette affaire ? c'est ce que je m'autorise à ne pas vous dévoiler, car ce serait bien dommage…

Encore un tout petit mot à propos de cette édition, que j'ai déjà dit être plaisante, même si à la comparaison, j'ai préféré le traduction du Chevalier d'Olmedo fournie dans le volume « Théâtre Espagnol du XVIIème siècle » de la Pléiade, mais voici encore une considération très hautement subjective et je rappelle que ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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