L'oeuvre de Ferenczi est celle d'un homme profondément engagé. Sa sensibilité aux traumatismes précoces semble provenir de sa propre enfance, bien qu'il n'ait jamais précisé quels traumatismes il avait subis dans son histoire personnelle, si ce n'est que, huitième enfant d'une fratrie de douze, ayant perdu à quinze ans son père qui était un homme affectueux et ouvert, il se sentait mal aimé par sa mère, assez dure et indifférente. Est-ce pour cela que Ferenczi dénonce la froideur et l'hypocrisie professionnelle des psychanalystes dogmatiques, qui instaurent "un jeu cruel avec les patients" ? (Préface de Simone Kaurf-Sosse)
Dans la mesure où l'être psychique est encore accessible aux sentiments, il porte tout son intérêt vers le seul sentiment qui subsiste du processus, c'est-à-dire le ressenti de l'agresseur. Tout se passe comme si le psychisme, dont la seule fonction est de réduire les tensions émotionnelles et d'éviter les douleurs au moment de la mort de sa propre personne, reportait sa fonction d'apaisement de la souffrance automatiquement sur les souffrances, tensions et passions de l'agresseur, la seule personne à ressentir quelque chose – c'est-à-dire s'identifiait à elles. La disparition de sa propre personne, quand d'autres figurent encore dans le tableau, serait ainsi la racine la plus profonde du masochisme par ailleurs si énigmatique, la racine du sacrifice de soi au bénéfice d'autres humains, animaux ou choses, ou de l'identification, insensée du point de vue psychologique et égoïste, avec des tensions et des souffrances étrangères. S'il en est ainsi, aucun acte masochiste ni aucune émotion de cette sorte ne sont possibles, sans la mort temporaire de sa propre personne. Je ne ressens donc même pas la douleur qui m'est infligée, puisque je n'existe même pas. Par contre, je ressens la satisfaction et la jouissance (Lustbefriedigung) de l'agresseur, que je peux encore percevoir. La thèse de base de toute psychologie, qui prétend que la seule fonction de la psyché est d'atténuer les souffrances reste ainsi sauvegardée. Encore faut-il que la fonction d'atténuation de souffrances puisse se tourner non seulement vers le moi propre, mais encore vers toutes les sortes de souffrances perçues ou représentées par la psyché. Considéré d'un autre point de vue, celui de l'indestructible pulsion d'autoconservation, le même processus devrait être décrit comme suit : lorsqu'on a abandonné tout espoir d'aide de la part d'une tierce personne, et qu'on sent ses propres forces d'autodéfense totalement épuisées, il ne reste plus qu'à espérer la clémence de l'agresseur. Si je me soumets si complètement à sa volonté que je cesse d'exister, si je ne m'oppose donc pas à lui, peut-être m'accordera-t-il la vie sauve ; tout au moins ai-je plus d'espoir, en excluant toute lutte de résistance, de voir l'agression agir de façon moins destructrice. Un corps complètement relâché sera moins détruit par un coup de poignard qu'un corps qui se défend. Si le corps est comme mort, en état de résolution musculaire et presque sans circulation, alors un coup de couteau entraînera aussi une hémorragie plus faible ou nulle (voir la performance des fakirs). Ce mode d'explication implique cependant la possibilité que, dans les moments de danger extrême, l'intelligence se détache du moi, que peut-être même tous les affects existants jusqu'alors qui étaient au service de la conservation de la personne propre (peur, angoisse, etc.) soient, en raison de l'inutilité des affects en général, suspendus et transformés en une intelligence dépourvue d'affects, avec une sphère d'action beaucoup plus vaste.
En aucun cas, donc, on ne doit traiter le trauma comme une vétille - comme cela se produit souvent avec les malades et les enfants. Il faut admettre, finalement, que notre volonté d'aider, est limitée [...], c'est à dire que le patient doit admettre, peu à peu, que l'aide ne peut pas lui venir seulement de l'extérieur, qu'il doit mobiliser ce qui reste disponible de sa propre volonté.
Il apparaît que les patients ne peuvent pas croire, ou pas complètement, à la réalité d'un événement, si l'analyste, son seul témoin de ce qui s'est passé, maintient son attitude froide, sans affect, et comme les patients aiment à le dire, purement intellectuelle, tandis que les événements sont d'une telle nature qu'ils doivent évoquer en toute personne présente des sentiments et des réactions de révolte, d'angoisse, de terreur, de vengeance, de deuil et des intentions d'apporter une aide rapide, pour éliminer ou détruire la cause ou le responsable ; et comme il s'agit en général d'un enfant, d'un enfant blessé (et même indépendamment de cela), il y a des sentiments de vouloir le réconforter affectueusement, etc.
Tout se passe comme si le psychisme, dont la seule fonction est de réduire les tensions émotionnelles et d'éviter les douleurs au moment de la mort de sa propre personne, reportait sa fonction d'apaisement de la souffrance automatiquement sur les souffrances, tensions et passions de l'agresseur, la seule personne à ressentir quelque chose - c'est à dire s'identifiait à elle.
La disparition de sa propre personne, quand d'autres (ndr : notammant l'agresseur) figurent encore dans le tableau, serait ainsi la racine la plus profonde du masochisme par ailleurs si énigmatique.