Citations sur Carnets d'Orient, Tome 4 : Le centenaire (19)
Le centenaire ! Ces fêtes sont une insulte aux indigènes ! On commémore leur défaite, leur humiliation et on a l’arrogance ou l’inconscience de les associer aux cérémonies pour qu’ils célèbrent leur vainqueur.
- Ici, en France Métropolitaine on connaît mal la question coloniale et il serait bon qu'un natif de là-bas comme vous puisse éclairer notre lanterne...Mais, attention, souvenez-vous que vos articles doivent être à la mesure de l'oeuvre coloniale française.
- Je décrirai ce que je verrai.
- Eh bien tachez de regarder du bon côté !
Encore presque enfant, c’est sous l’uniforme des zouaves que j’ai vraiment connu ces rues. Le quartier chaud, le quartier des filles. La rue Katarouddjil, la rue Barberousse… Naïma… À la fin des permissions, avant de retourner au front, je refaisais toujours un tour dans sa rue. Elle était jeune, elle était saine et ferme comme un fruit. – Mon père, tu comprends, il a encore trois autres filles, il se débarrasse comme il peut. Il m’a mariée quand j’avais 13 ans à un vieux moche que j’avais jamais vu avant. Il me donnait des coups tout le temps. Alors un matin, j’ai fait la valise et je suis venues ici. Et voilà. Mais maintenant, je peux plus bouger d’ici. Si mes frères, ils savent ce que je fais, ils me cassent la tête.
J'aime la ville et j'aime la Casbah!... Beaucoup de gens la trouvent sale, malodorante et mal famée...
Mais elle est l'âme de cette ville... L'ordure et la splendeur s'y cotoient...
Elle ne ment pas... C'est un bouilonnement de vie... Elle est l'ombre et elle est la lumière...
Moi, l’Algérie, j’en ai rien à foutre ! On peut bien la leur rendre à tous ces bicots !… après tout, ils sont ici chez eux. !… mais ce que je ne supporte pas c’est de voir le juif dicter sa loi !… lui, il n’est chez lui nulle part. Alors faut qu’il se fasse tout petit !… sinon, la France tout entière sera aux mains de cette engeance !…
Me revoilà à Alger. Il y a des sensations que je n’éprouve qu’ici. La vibration de l’air, les sons qui se bousculent, le mélange des odeurs. Ça ne sent ni l’ambre, ni le jasmin, encore moins la rose. Plutôt la friture, les beignets de sardine, ou les gâteaux au miel, le poivre, les épices… Le fumier, l’égout… L’Algérie de quand j’étais petit, elle n’a pas tellement changé. Tiens, voilà que je reprends l’accent. Quand j’étais petit, je croyais que c’étaient les Français de France qui avaient un accent. Comme cet instituteur qui leur faisait la classe et qui voulait qu’on parle pointu. En arrivant en métropole, il y a des mois, il a fallu réapprendre à prononcer. Jaune, rose… Depuis la fin de la guerre, je vis là-bas, mais c’est quand je reviens ici que je sais que j’ai changé. La guerre a éparpillé nos vies.
- Quand avez-vous connu l’Algérie pour la première fois ?
- En 1856, à 26 ans. Jeune officier, j’ai tout de suite aimé ce pays. J’ai voulu mieux e connaître la langue, la population, les mœurs. Je suis entré aux bureaux arabes. Même dans l’armée, il y avait déjà deux types d’hommes. D’un côté les amoureux du pays qui pensaient que nous pouvions apporter à la population le progrès et la civilisation. Et de l’autre, ceux pour qui le pays était un moyen de satisfaire les ambitions, le goût du pouvoir et de l’argent. Tout était possible à l’époque. […] En 1871, après le soulèvement de la Kabylie. Je me suis rendu compte que nous étions en train de faire aux populations ce que les prussiens nous avaient fait pendant la guerre de 1870. C’est là que j’ai compris que pour garder ma dignité de français et de soldat, je ne pouvais plus rester dans cette armée. Ce pays s’est construit comme s’il y avait eu une volonté secrète d’en exclure ses propres habitants.
Le centenaire de l’Algérie française – Quelle tâche plus belle et plus instructive que de célébrer le centenaire de l’Algérie, et d’évoquer avec émotion les souvenirs et les promesses de ces cent ans de présence française ? Nous allons, dans ces colonnes, pendant les quelques semaines de la commémoration, contempler la grandeur des résultats obtenus sur cette terre aux visages multiples, empreinte de grandeur et de beauté, tantôt souriante, tantôt austère. Le lendemain de la conquête, nous avons trouvé d’un bout à l’autre de l’Algérie, l’ignorance, la misère et l’anarchie, dans un pays où les tribus étaient périodiquement décimées par les épidémies, les famines, et les luttes intestines.
Nuit de Simoun. Le sable est fin comme de la farine. Quand le simoun souffle, il faut se calfeutrer dans la maison. Tous les volets sont fermés et les interstices bouchés avec des chiffons ou du papier journal. Quand j’étais petit et qu’il faisait très chaud, on passait la nuit à boire du thé à la menthe. Le lendemain, il fallait descendre par la terrasse à cause du vent. On ne pouvait plus ouvrir les portes, le sable s’était accumulé derrière. Il y avait au milieu de la pièce un sac de toile goudronnée pendu au plafond, un sac de l’armée plein d’eau avec un robinet dessous. Le sac transpirait sous l’effet de la chaleur, ça rafraîchissait la pièce et l’eau à l’intérieur était presque froide.
Il faut bien que tu dises que nous, les arabes, nos domestiques, nos ouvriers, on les aime !
A condition qu’ils le restent !