Une des premières pièces du dramaturge, et pourtant, la fameuse "mécanique" de Feydeau y est déjà bien établie. Cette pièce qui repose sur une histoire d'adultère, à laquelle se greffe une seconde histoire d'adultère, est écrite au cordeau : Feydeau retombe très bien sur ses pieds, malgré les nombreux rebondissements, méprises et quiproquos, et les différents fils de l'action se nouent, se mêlent et se dénouent impeccablement. On trouve déjà, également, la caricature de la bourgeoisie aisée façon fin-de-siècle et passablement oisive, sans que ça ne soit non plus d'une effronterie insoutenable.
La particularité de "Tailleur pour dames", c'est l'effervescence qui s'en dégage et qui monte en puissance, pour aboutir à un rythme endiablé au troisième acte. le problème, c'est que tout ça est bien perceptible à la lecture et en même temps très frustrant, parce qu'il est difficile de prendre, hors scène, toute la mesure de la ronde affolée des personnages. Surtout si l'on s'arrête aux nombreuses didascalies de Feydeau, vu qu'alors on casse le rythme de la pièce, ou, tout au moins, du dernier acte. Or, ces didascalies sont, d'une part, de précieuses indications pour la mise en scène, ainsi que pour le lecteur lambda, sur les mouvements incessants des personnages. D'autre part, elles sont vraiment très spécifiques du théâtre de Feydeau, donc on peut difficilement les ignorer. Donc, d'une façon ou d'une autre, à moins d'avoir déjà vu ou lu la pièce, on est un petit peu sur la touche. En revanche, je pense qu'on s'amuse particulièrement à voir la pièce après sa lecture, parce que je suis à peu près persuadée que les effets comiques y font d'autant plus mouche qu'ils sont attendus - ce que n'importe quel auteur n'est pas capable de réussir en matière de comédie.
Cela dit, et malgré son ressort comique bien huilé, ce n'est tout de même pas la pièce la plus drôle que je connaisse de Feydeau. Elle manque peut-être d'un petit grain de folie...
Challenge Théâtre 2017-2018
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Il y a ou deux ans j'ai vu joué cette pièce. C'était mon "premier" Feydeau, et je me souviens d'être ressortie de la salle à moitié déçue. Les enchainements de quiproquos à la suite les uns des autres, c'était un peu trop pour moi.
L'avantage de la lecture de la pièce, c'est que je ne l'ai pas lu en une seule traite et donc je n'ai pas été gêné par cette particularité.
Par contre, l'image mentale que je m'en faisais à été fortement polluer par le souvenir du spectacle que j'avais vu.
J'ai donc passé un agréable moment de lecture sans plus. Il faudra certainement que je lise d'autres Feydeau en découverte totale pour me faire un avis sur cet auteur.
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Un cas d'école sur la multiplication des maîtresses !
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Suzanne. - On peut entrer, il n'y a pas de danger ?
Moulineaux, redescendant avec elle. - Quel danger voulez-vous ?
Suzanne. - Ah ! c'est que si on nous voyait !... Je serais bien coupable !
Moulineaux, à part. - Charmante morale ! (Haut) Nous sommes absolument seuls, ma Suzanne. Venez là, près de moi. (Il s'assied sur le canapé et lui prend les deux mains) Ne tremblez donc pas ainsi !
Suzanne. - Oh, ça passera. Mon mari, qui a été soldat... dans la réserve de l'administration, dit que les plus braves tremblent toujours au premier feu, et puis ça passe !
Moulineaux. - Ah ! il dit que... Eh ! bien, vous voyez ! voyons, débarrassez-vous de votre chapeau.
Suzanne. - Oh non, impossible. Je ne peux rester qu'un instant avec vous. Anatole est en bas ; il n'aurait qu'à monter.
Moulineaux, stupéfié. - Anatole ?
Suzanne. - Oui, mon mari. Il a encore tenu à m'accompagner.
Moulineaux. - Comment ! alors vous lui avez dit...
Suzanne. - Oui.
Moulineaux, très vexé. - Mais c'est très bête !... Ça ne se fait pas, ces choses-là !
Suzanne. - Je lui ai dit... je lui ai dit que j'allais chez mon couturier. Comme je savais que c'était justement l'ancien logement d'une couturière, alors cela m'a suggéré l'idée...
Moulineaux. - Ouf ! vous me retirez un poids.
Suzanne. - Ça m'ennuyait bien qu'il m'accompagnât, mais lui refuser eût été lui donner des soupçons... et d'un autre côté, je ne voulais pas vous faire poser. C'est gentil, hein ?
Acte II, scène II
ROSA (se retournant, à Aubin qui entre, le chien sous le bras) : Arrivez donc ! Montrez-vous !… Voilà madame qui ne veut pas croire que vous êtes mon époux !…
AUBIN (se retournant) : Je… comment donc !… (Reconnaissant Suzanne.) Ma femme !…
SUZANNE (éclatant) : Mon mari !
MOULINEAUX : Boum !
SUZANNE : Mon mari ! Oh ! je me vengerai !
(Elle sort rapidement.)
AUBIN (voulant s’élancer à la poursuite de sa femme) : Suzanne !… mais… Suzanne !… (À Rosa.) Et prenez donc votre chien, vous !
(Il lui passe le chien.)
ROSA : Anatole !…
AUBIN (la repoussant) : Eh ! allez au diable !…
(Il sort.)
ROSA (le chien sous son bras droit) : Insolent ! Ah ! les nerfs ! l’émotion !
(Elle tombe anéantie dans les bras de Moulineaux.)
MOULINEAUX (la recevant dans son bras droit, et prenant le chien sous son bras gauche) : Eh bien ! elle se trouve mal ! Rosa, pas de bêtises ?
YVONNE (entrant) : Ma mère doit être encore là.
MOULINEAUX (en se retournant, se trouve nez à nez avec sa femme) : Ah ! mon Dieu, ma femme !
YVONNE : Mon mari !… et une femme dans ses bras !… (Elle remonte vivement tout en parlant.) Adieu, monsieur, je ne vous reverrai jamais de ma vie !…
MOULINEAUX : Mais Yvonne ! Yvonne ! voyons !…
YVONNE : Non, monsieur, je n’écoute rien.
(Elle sort.)
MOULINEAUX : Attends-moi, je veux t’expliquer. Oh ! cette femme, où la déposer ?…
BASSINET (entrant) : Mon cher…
MOULINEAUX (lui passant la femme et le chien) : Ah ! vous arrivez bien !… Tenez, gardez madame ! (Il sort en courant.) Yvonne ! Yvonne !…
BASSINET : Ah, çà ! qu’est-ce que c’est !… (Reconnaissant Rosa.) Ciel ! ma femme !
Acte II, Scène 16.
[Au lever du rideau la scène est vide, puis Moulineaux paraît au fond.]
Moulineaux, seul. - L'entresol, c'est bien ici. Tiens ; la serrure est détraquée ! eh ! bien, c'est agréable !... la porte ne ferme pas. Il faudra que je dise à Bassinet de faire réparer cela. [En se retournant vivement, il se trouve nez à nez avec le mannequin ; instinctivement, il salue.] Une dame !... Non, c'est un mannequin. C'est juste, l'ancien appartement d'une couturière, Bassinet m'a prévenu. J'arrangerai tout cela. Ça sera très gentil tout de même, une fois débarrassé. C'est égal, c'est mal ce que je fais... quand on a comme moi une femme charmante. J'ai des remords. J'ai des remords, mais je ne les écoute pas.
Acte II, scène I
ACTE I, fin Scène VIII
...
Étienne
Monsieur, c’est un monsieur qui demande à vous parler. Voici sa carte.
Moulineaux, échangeant un sourire d’intelligence avec Étienne.
Voyons… ah ! parfaitement !… (À Bassinet.) Je vous demande pardon, monsieur Bassinet, c’est un raseur, mais je ne peux faire autrement que de le recevoir.
Bassinet
Un raseur !… Ah ! je connais ça, faites-le entrer !… (S’asseyant à droite.) Je vais rester là, ça le fera partir.
Moulineaux, à part.
Hein ? Comment, il va rester là ! quelle colle ! (Haut.) C’est qu’il veut me parler en particulier…
Bassinet
Ah ! c’est autre chose. Qu’est-ce que c’est que ce raseur ?… (Prenant la carte des mains de Moulineaux.) Chevassus !… Ah ! c’est Chevassus, je le connais très bien ! Je serai enchanté de lui serrer la main !… Je m’en irai après.
Moulineaux, interloqué.
Hein !… Non vous ne pouvez pas !… Ca n’est pas lui, c’est… son père.
Bassinet
Il n’en a jamais eu.
Moulineaux
Alors c’est son oncle, et il désire ne pas être vu. Allez ! allez !… Il le fait lever.
Bassinet
Ah ! très bien (Il fait mine de sortir au fond, puis, arrivé à la porte, il se dérobe, et se dirige vers la porte de droite deuxième plan.) Dites donc, je vais attendre dans la pièce à côté. Il sort.
Moulineaux
Comment ! il ne s’en ira pas ! Ah ! ma foi, tant pis, je l’y ferai droguer toute la journée !
Bassinet, reparaissant à la porte.
Au fait ! une idée. S’il vous embête, votre raseur, j’ai un moyen de vous en débarrasser. Je sonnerai, je vous ferai passer ma carte et vous direz que c’est un raseur que vous êtes obligé de recevoir !…
Moulineaux, Oui, oui, c’est bon, allez ! allez ! Si vous êtes fatigué, dormez, il y a une chaise longue.
Bassinet sort.
Un fil à la patte de Georges Feydeau