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Critique de Nastasia-B


Aïe ! Que j'ai souffert, malheureuse, que j'ai souffert, et comme j'eusse voulu qu'il n'en fût jamais ainsi. Oui, je crois bien que je vous déteste, monsieur B., vous qui fûtes mon odieux professeur de français au lycée, et vous qui m'écœurâtes à jamais du plaisir de jouir du parfum de cette œuvre.

À la simple évocation du titre de ce roman, je revois votre face d'oignon confis, vos pantalons trop courts et je crois entendre vos souliers ferrés qui sonnaient dans les couloirs comme le glas du châtiment. Je n'avais pourtant pas le sentiment d'être particulièrement hostile aux choses de la littérature, mais j'étais si jeune, je rêvais tellement d'autre chose…

Eh oui, Monsieur B., je puis bien vous le confier à présent — car il y a prescription —, jamais plus je ne pourrai relire ce roman, par votre faute à vous et rien qu'à vous, par l'irrémédiable aversion que vous avez suscitée en moi. Voilà en quoi je vous déteste, vous avez commis le péché capital de l'enseignant : causer l'éloignement définitif et irréversible de ses élèves de l'objet qu'il est censé faire découvrir (et si possible aimer).

Quelle misère, quand j'y repense ! Nous choisir cette lecture (parmi la foule d'autres peut-être plus adaptées à l'âge et aux aspirations des lycéens) alors que nous n'étions que des petites gens provinciales de la classe populaire, avec des téguments jaunes au bord du bec, à peine formées ou arborant de minces duvets sous le menton…

Nous étions tous consternés par cette lecture. Pas plus d'un sur trois était allé au bout et le rayon " profil Hatier " de la librairie d'à côté fut dévalisé. Pas un parmi nous qui eût pu dire qu'il avait apprécié ce roman alors que nous n'étions pas tous nécessairement hermétiques aux belles lettres…

Ah ! cher monsieur B., comme vous nous regardiez avec votre oeil vitreux derrière vos lunettes sales, votre œil condescendant et votre air de toujours penser : « Bande d'abrutis, vous ne savez pas apprécier la littérature. Je vous emmerde et j'en suis ravi. » Quel sinistre connard vous étiez à l'époque, monsieur B., — permettez-moi de vous le dire, car là encore il y a prescription — et non, décidément, quelque chose était pourri en votre royaume du savoir...

Je n'ai pas l'impression qu'étudier cette œuvre au lycée en littérature soit la meilleure porte d'entrée pour faire aimer, apprécier cette littérature du XIXème que j'aime tant, pour susciter des envies ou, pourquoi pas, des vocations.

Mesdames et messieurs les professeurs — et c'est une enseignante réchappée in extremis du péril qui vous en parle —, par pitié pour Flaubert, par pitié pour vos élèves, essayez autre chose en première approche. Le XIXème est si beau, si riche, Flaubert lui-même recèle tellement d'autres trésors. À quoi bon risquer de briser des âmes à peine écloses aux choses du verbe ?

J'ai l'impression (impressions qui datent, vous vous en doutez, de l'époque du lycée) que ce livre est particulièrement ennuyeux. Bien écrit, très bien écrit même, mais ennuyeux, très ennuyeux, trop ennuyeux. L'auteur y règle un peu ses comptes avec ses jeunes années, témoignant quelque mépris pour ce qu'il a adoré lorsqu'il était adolescent ou jeune adulte.

Ces choses ou ces gens, qu'il avait montées sur un piédestal et qui désormais lui apparaissent ringardes. Un peu comme un quadragénaire ou un quinquagénaire qui se retourne sur ses goûts musicaux de quand il avait seize ans et qui s'exclame : « Quoi ! j'ai pu écouter ça, j'ai pu aimer cela ?! » Eh oui ! vous avez pu aimer cela. Et vous avez changé. Grand bien vous fasse.

Gustave Flaubert nous conduit donc, à travers des chemins largement empruntés à son autobiographie sur les berges de son premier amour dans les lacets de la Seine tandis qu'il montait à Paris depuis sa Normandie natale. Il croyait ployer le monde en la capitale et c'est le monde qui l'a ployé, lui qui se pensait si grand, si exceptionnel, avec tellement de goût et de raffinement.

Finalement, bien des années plus tard, avec un soupçon d'amertume en bouche, il se rend compte qu'il n'était rien que de très ordinaire et que toutes ses idoles n'étaient que pacotilles, rêves creux et illusions d'optique. Et lui alors, qu'est-il ?

Un livre, donc, qui place très haut la forme et qu'on prend sans doute plus de plaisir à lire quand on a passé trente ans (pour les raisons sus-mentionnées). Si vous saviez comme je suis triste de ne plus pouvoir le découvrir à présent, totalement vierge d'a priori, car il est probable que je l'aimerais, qui sait ? Mais il m'évoque trop d'injustices, trop de sacrifices, trop de cicatrices, trop de supplices, trop de trucs en " ice "…

Néanmoins (ou oreille en plus), ceci, encore une fois, n'est que mon triste ressenti personnel (Ah ! Monsieur B., Monsieur B. ! soyez damné à jamais du paradis des enseignants !), c'est-à-dire, rien qu'un peu de vent dans une mèche folle, autant dire, pas grand-chose.
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