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Critique de peloignon


Madame Bovary, c'est le roman d'une âme sentimentale et romantique, qui cherchera « à savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d'ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres. »(46) En faisant lire Paul et Virginie à la petite Emma, dans l'optique de la faire rêver à « ...la maisonnette de bambous, au nègre Domingo, au chien Fidèle, mais surtout à l'amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d'oiseau » (46), Flaubert ne pouvait trouver mieux pour la rendre parfaitement inepte au mariage bourgeois prosaïque que sera le sien. La pauvre petite fille en aura l'esprit tourné pour le reste de son existence dont nous verrons le petit fil brûler tout au long du roman, en écorchant tout ce qu'il touchera sur son passage.
Ce personnage d'Emma Bovary n'est pas entièrement original puisqu'il trouve un précurseur direct dans celui de Don Quichotte, ce petit provincial à qui les romans de chevalerie ont tourné l'esprit à un tel point qu'il se croit réellement chevalier en mission dans un monde rempli de sortilèges et d'enchantements. Lui aussi a tellement lu avec passion qu'il a voulu vivre dans l'existence réelle des idéaux magnifiques présentés dans les romans.
Par contre, en ce qui concerne la manière dont ces deux asociaux de cause littéraires sont présentés, on ne peut trouver deux romans plus différents que Madame Bovary et Don Quichotte. Alors que Flaubert a un style dont le réalisme est d'un cynisme implacable, Cervantès présente plutôt les aventures de son héros sur le mode du tragi-comique où le comique prédomine largement.
La réception de ces deux ouvrages monumentaux dans l'histoire de la littérature se fera aussi très différemment. Alors que le roman de Cervantès sera reçu dans l'enthousiasme, « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères » de Flaubert provoquera la controverse.
Il s'agit évidemment d'un quiproquo un peu bête, puisque le but de Flaubert consistait à démontrer l'absurdité de la position d'Emma, mais le second degré n'est pas donné à tout le monde et l'on voulait tellement croire, à l'époque, en l'indéfectible pureté du féminin.
En disant « Madame Bovary c'est moi! », Flaubert se montre extraordinairement ironique envers lui-même. En effet, tout au long de son oeuvre, il a constamment, avec un acharnement indéfectible, dénoncé la bêtise, la médiocrité, la bourgeoisie, mais sans jamais montrer quoi que ce soit de mieux, en dehors de sa manière sublime d'exprimer ses dénonciations. Lui-même, à l'instar d'Emma, fut épris de tout son être d'un idéal indicible, hors de sa portée, et il n'a jamais rien su faire de mieux que d'exprimer rageusement son dégoût de tout ce qui ne correspondait pas à ses aspirations. Son combat, présenté avec un style d'un perfection, presque complètement absurde, puisqu'elle échappera à la grande majorité de son auditoire, comportera quelque chose d'une vanité absolue, risible, et sera poursuivi tout de même, sans espoir véritable, avec un cynisme envers lui-même frisant la volonté d'autodestruction. Oui, Madame Bovary c'était lui, Gustave Flaubert, dans toutes les grandeurs et les misères de son destin exceptionnellement tragi-comique.
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