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EAN : 9782290335352
94 pages
Ud-Union Distribution, (31/10/2003)
  Existe en édition audio
3.61/5   2264 notes
Résumé :
"Je me souviens d'avoir eu des battements de cœur, d'avoir ressenti un plaisir violent en contemplant un mur de l'Acropole, un mur tout nu (celui qui est à gauche quand on monte aux Propylées). Eh bien ! je me demande si un livre, indépendamment de ce qu'il dit, ne peut pas produire le même effet.
Dans la précision des assemblages, la rareté des éléments, le poli de la surface, l'harmonie de l'ensemble, n'y a-t-il pas une vertu intrinsèque, une espèce de forc... >Voir plus
Que lire après Trois contes : Un coeur simple - La légende de Saint Julien l'Hospitalier - HérodiasVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (140) Voir plus Ajouter une critique
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Flaubert a su faire de l'écriture un point de broderie. C'est vrai ailleurs dans son oeuvre, et c'est vrai ici aussi dans Un Coeur Simple. Un ouvrage de facture pointilleuse, métrée, cadencée, contournée, imbriquée, complexe derrière une apparente simplicité, foisonnante sous ses airs de sobriété.

Une écriture un peu trop précieuse et artificielle à mon goût car l'on n'y sent jamais aucune spontanéité, aucun élan incontrôlé comme chez Hugo, aucune pointe malséante, aucun crachat de l'esprit comme chez Balzac. Une forme certes épurée et recherchée mais qui n'atteint pas l'élégance ou l'harmonie de celle d'un Stendhal.

Tout est maîtrisé, tout est sous contrôle ce qui nuit, je pense, à l'émotion que peut dégager cette écriture. Tout est trop net, trop épousseté, trop repassé, trop astiqué, trop apprêté, trop ordonné comme en ces appartements somptueux, où toute vie a disparu et dont toute faille humaine a déserté.

J'aime pourtant Un Coeur Simple ; mais d'un amour froid, admiratif, non contagieux comme en ces expositions de dentelles d'Alençon, toutes plus belles, toutes plus incroyables, dont on se dit : " Quelle minutie ! Quel travail ! Comme ça a dû être laborieux ! Combien patientes et dextres ont dû être ces dentelières ! "

Un Coeur Simple, probablement plus nouvelle que conte, bien que son auteur en ait décidé autrement, est intéressante à divers égards. Intéressante car Gustave Flaubert nous plonge à nouveau dans un univers " à la Madame Bovary ". Intéressante aussi parce qu'elle fait figure de passage de témoin entre Flaubert et Maupassant. Parue peu avant la disparition de papa Flaubert, à un moment où Maupassant, dans un registre un peu similaire entre en piste... la filiation est tentante.

Pourtant, j'avoue avoir toujours un certain mal à percevoir cette filiation " naturelle ". Bien sûr, Maupassant est normand, comme lui, bien sûr ils se connaissaient et s'appréciaient mutuellement, bien sûr ils ont fait l'un et l'autre dans le régionalisme et dans la psychologie intimiste, bien sûr ils ont su tous deux remuer la nostalgie et les émotions mais il s'en faut de beaucoup, tout de même, pour faire De Maupassant un Flaubert et de Flaubert un Maupassant.

Retirez le Trois Contes et Un Coeur Simple en particulier de la production de Flaubert et vous ne verrez plus forcément énormément de liens entre les deux oeuvres. J'aime le Pays d'Auge et certains sur Babelio savent même que j'y ai vu le jour, à deux pas des pâturages mêmes que décrit Flaubert. J'ai donc un attachement tout particulier à cette nouvelle. Je puis même ajouter qu'il m'est arrivé de rencontrer de vieilles filles normandes qui répondent trait pour trait au portrait de Félicité (mais on en trouve beaucoup également chez Maupassant et avec un côté " terroir " peut-être encore mieux rendu).

Qu'est-ce qui nous touche dans Un Coeur Simple (ou du moins, qu'est-ce qui me touche, moi) ? Tout d'abord un sentiment de gâchis. Une femme dévouée, simple, timide et humble, trop humble pour oser aller chercher son bonheur là où il est, pour avoir un mari et des enfants à elle, pour se créer sa propre vie. Et donc, faute d'avoir une vie à soi, elle goûte les miettes de la vie des autres en faisant montre d'un dévouement quasi surhumain et pour lequel elle ne recueille, bien souvent, que des marques de mépris.

Ce qui me touche aussi dans cette nouvelle, c'est le sentiment de nostalgie que sait faire naître l'auteur, notamment au travers du culte des objets dérisoires que Félicité élève au statut de reliques inestimables, faibles vestiges des quelques émotions qui lui tiennent lieu de souvenirs.

Ce que j'aime enfin dans Un Coeur Simple, c'est ce sentiment de douce pitié, de commisération que nous suscite Gustave Flaubert en nous dévoilant sur le tard, la principale, peut-être même la seule véritable histoire d'amour qu'ait connu cette petite femme dans sa vie, cette tendresse, cette communion, cet attachement entre elle et son perroquet Loulou.

Combien encore de nos jours, surtout de nos jours, n'ont, pour seule compagnie et marqueur d'affection qu'un chien, qu'un chat, qu'un hamster, qu'un lapin nain ou... qu'un perroquet ?
En cela, elle est belle cette histoire, belle et touchante, tout en subtilité, tout en caresse, mais bien sûr, ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Un coeur simple, c'est celui de Félicité, jeune servante, qui consacre sa vie au service de Mme Aubain, dame de la petite bourgeoisie, après avoir connu une enfance misérable marquée par la perte prématurée de ses parents et les passages difficiles chez différents patrons.

Un coeur simple mais qui s'attache durablement à la famille de Mme Aubain, en particulier ses deux jeunes enfants, Paul et Virginie.
Félicité est dévouée, sensible, aimante, elle donne beaucoup d'elle-même, beaucoup d'affection, de soins, sans recevoir beaucoup en échange.
Elle aime son neveu, qu'elle aide régulièrement, elle aide un vieillard qu'elle soigne.
La vie va être particulièrement dure avec elle, retirant de son affection ces différents personnages, emportés par la maladie pour Virginie et par une tempête pour son neveu, jeune matelot.
Elle soutiendra jusqu'à la fin l'inflexible et hautaine patronne Mme Aubain et n'aura plus qu'un perrroquet à qui donner de l'affection.

C'est un récit court, sombre, mélancolique mais qui a le mérite de regorger de détails sur la vie quotidienne dans la Normandie du 19ème siècle, ainsi que sur la structure sociale de l'époque;
Les personnages sont bien campés mais peut être manquent un peu de nuances.
Une histoire sérieuse et triste qui nous plonge dans tout un univers.
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Trois contes est le dernier ouvrage publié du vivant de son auteur, Gustave Flaubert. J'ai beaucoup aimé ce texte, Gustave Flaubert est un auteur qui m'est cher pour différentes raisons, parfois je viens picorer dans sa riche Correspondance. Un jour je vous en parlerai.
Trois contes, ce sont trois histoires totalement distinctes, qui n'ont a priori rien à voir l'une avec l'autre.
Bien sûr, la première histoire prend de l'espace, du volume dans les quelques pages de ce très court livre. Ce premier conte s'appelle Un coeur simple. Des trois contes, c'est celui qui m'a le plus touché, c'est aussi celui qui ressemble davantage à une nouvelle. Comment en effet ne pas être touché par le cheminement de cette femme modeste, Félicité, dévouée auprès des siens, auprès de ceux qu'elle sert. C'est l'histoire d'un renoncement à l'amour, après une déception amoureuse lors de sa jeunesse, mais le coeur de cette femme ne s'est jamais refermé, il s'est simplement ouvert à d'autres horizons, les enfants de Madame Aubain auprès de laquelle elle confie ses services durant une très large part de sa vie. C'est un coeur épris d'humanité. Un coeur ébranlé aussi par les vicissitudes douloureuses de la vie... Comment ne pas être touché par l'affection presque ridicule qu'elle finit par porter à ce perroquet Loulou, comme un compagnon de fortune qui l'accompagne presque jusqu'à ses derniers jours ? Moquerie ou compassion de l'auteur à cet égard ? Sans doute un peu des deux... Cette nouvelle nous plonge avec jubilation dans la Normandie rurale du XIXème siècle qu'affectionnait Flaubert.
J'aime l'écriture de Gustave Flaubert, précise, ciselée. Parfois on lui reproche de ne pas laisser l'espace suffisant pour faire entrer l'émotion. Pourtant j'ai ressenti cette émotion à la rencontre de Félicité, que nous pouvons parfois côtoyer dans notre quotidien. Félicité est intemporelle. Son coeur simple appelle la compassion...
Étrangement les deux autres nouvelles n'ont rien à voir, semblent totalement décalées avec le premier récit. La légende de Saint Julien l'Hospitalier, plus proche du conte ancien que de la nouvelle, est une sorte d'allégorie sur la rédemption après la violence et la sauvagerie d'une vie. J'ai découvert par hasard que la ville close de Concarneau avait inspiré Flaubert, qui aimait la Bretagne, pour décrire le château des premières pages de ce récit.
Hérodias, de facture plus complexe, évoque le récit antique et nous plonge dans les débuts de notre ère en Orient, c'est un épisode de la vie du tétrarque Hérode Antipas. C'est un récit cruel, violent, charnel, chargé de déchirements, abordant en quelques pages d'une tension extrême plusieurs thèmes : la haine des juifs, l'inceste, la peur de Dieu, l'avidité et le désir. Dans une résonnance théâtrale, il invite les protagonistes à vivre un dilemme insoutenable, dont le paroxysme se dénouera lors d'un festin ultime où Hérodias exige auprès de son époux Antipas la tête de saint Jean-Baptiste...
Séduit par ces trois contes, je me suis demandé ce qui les reliait. A priori rien. Et pourtant, si. J'ai découvert qu'un vitrail de la cathédrale de Rouen avait inspiré le second conte. Il semble qu'un autre endroit de cette même cathédrale ait inspiré le troisième conte, le tympan du portail Saint-Jean, qui lui inspire la danse de Salomé marchant sur ses mains...
Il y a aussi une dimension mystique qui relie ces trois histoires, la bonté, la charité, sans doute aussi des abîmes intérieurs où les profondeurs de l'âme humaine sont abyssales.
Gustave Flaubert est un orfèvre de l'âme humaine. Il y a sans doute un dernier point commun qui scelle à jamais l'unité de ces trois textes : leur beauté somptueuse.
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Dans la nouvelle -Un coeur simple- de Flaubert, La servante Félicité, est totalement dévouée à sa maîtresse Madame Aubain, bourgeoise désargentée dont le mari est mort lui laissant deux enfants et des dettes.
On lui envie cette servante qui lui a été fidèle pendant cinquante ans. Elle possède toutes les vertus de l'époque ; elle est pieuse, économe, efficace, travailleuse, aimante, généreuse, sensible au malheur des autres, charitable, mais aussi très naïve et dévote, ne comprenant pas vraiment le monde qui l'entoure pas plus que la théologie.
Félicité a eu une enfance malheureuse, elle est malchanceuse en amour. Son éducation ne l'a pas préparée à voir le monde tel qu'il est. Elle ne le voit qu'à travers le prisme déformant d'une femme au coeur généreux mais à la pensée étriquée.
Félicité c'est d'abord un coeur ambulant ; elle s'attache à tous les personnages de l'histoire dont les deux enfants de Madame Aubain et son neveu qu'elle va aimer comme ses propres enfants, elle en concevra un immense chagrin à la disparition de deux d'entre eux. Elle leur est entièrement dévouée. Autant qu'elle est dévouée à sa maitresse pourtant hautaine à son égard et que peu de gens qui la connaissent apprécient.
A ce moment là de l'histoire on ne peut qu'éprouver de la compassion pour la belle âme de Félicité qui porte bien son nom.
Mais ce qui suit fait de cette nouvelle une histoire baroque. Après la mort des êtres chers qu'elle aimait, un jour, on lui offre un perroquet, c'est naturellement qu'elle s'attache à lui comme à un être humain. A la mort de l'oiseau, elle en éprouve un immense chagrin et sur les conseils de Madame Aubain, elle le fait empailler et le garde dans sa chambre jusqu'à sa propre mort.
C'est alors que Félicité le compare au Saint-Esprit et en fait une divinité, une idole, elle leur trouve une ressemblance frappante, elle achète même une image d'Épinal du Saint-Esprit qu'elle place à côté du perroquet et les contemple ainsi en les confondant, en extase. Cette femme qui a été pieuse toute sa vie trouve là un chemin de lumière. Elle l'aimera ainsi empaillée jusqu'à sa mort et sera en adoration devant son corps même défigurée par la vermine. A sa mort, dans une ultime vision elle voit un grand oiseau bleu dans le ciel.
La bonté, l'attachement, la générosité du personnage de Félicité sont mis en valeur mais aussi sa naïveté, sa dévotion qui la pousseront aux confins de la folie en adoration devant un perroquet, oiseau fétiche, égal de Dieu.
Flaubert ne manque pas l'occasion dans cette nouvelle montrer les contradictions de l'être humain, de la morale et la religion. Il développe aussi l'humour, le comique de situation mais aussi l'ironie et la critique de la société bourgeoise. Cette nouvelle dans sa construction textuelle ainsi que celle de ses personnages est surprenante et nous interpelle. Il s'est quelque peu amusé mais quelque chose de la dégradation soit du monde soit de la littérature qui précède s'y joue. Flaubert veut passer à autre chose.
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Un coeur simple
C est un texte tellement beau que le lire est douloureux, de plus en plus douloureux au fur et à mesure que l' on grandit, mûrit, vieillit.
Quelle folie de le faire lire à des lycéens ! Ils ne peuvent rien y comprendre, ce n est pas leur faute. C est un texte sur le temps qui passe, sur la vie qui s écoule doucement, sur les grandes et les petites pertes, qui ne rendent pas plus forts mais consument peu à peu. Jour après jour, année après année, quand on a pris conscience que rien n est immortel, que tout fuit et nous échappe.
Félicité, la servante de Mme Aubain, protège sa maitresse de cette cruauté sans nom. Pour rien, comme ça. Elle est immense et déchire le coeur.
Rien ne serait possible sans la prose inouïe de Flaubert. Il me semble qu' il fait atteindre au français, dans certains passages, la perfection de son essence monotone et mélancolique. Rien d autre à faire que citer.
"Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier ; et causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose lui aurait plu, en telle occasion ce qu'elle eût dit probablement.
Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la chambre à deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins souvent possible. Un jour d'été, elle se résigna ; et des papillons s'envolèrent de l'armoire.
Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait trois poupées, des cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui servait. Elles retirèrent également les jupons, les bas, les mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de les replier. le soleil éclairait ces pauvres objets, en faisait voir les taches, et des plis formés par les mouvements du corps. L'air était chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils, couleur marron ; mais il était tout mangé de vermine. Félicité le réclama pour elle-même. Leurs yeux se fixèrent l'une sur l'autre, s'emplirent de larmes ; enfin la maîtresse ouvrit ses bras, la servante s'y jeta ; et elles s'étreignirent, satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait."
[...]
"Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements de son coeur se ralentirent un peu, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entr'ouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête."
Mais les citations ne peuvent rendre compte de la beauté somptueuse de l ensemble. Il faut le lire.
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Citations et extraits (96) Voir plus Ajouter une citation
Le père et la mère de Julien habitaient un château, au milieu des bois, sur la pente d’une colline.
Les quatre tours aux angles avaient des toits pointus recouverts d’écailles de plomb, et la base des murs s’appuyait sur les quartiers de rocs, qui dévalaient abruptement jusqu’au fond des douves.
Les pavés de la cour étaient nets comme le dallage d’une église. De longues gouttières, figurant des dragons la gueule en bas, crachaient l’eau des pluies vers la citerne ; et sur le bord des fenêtres, à tous les étages, dans un pot d’argile peinte, un basilic ou un héliotrope s’épanouissait.
Une seconde enceinte, faite de pieux, comprenait d’abord un verger d’arbres à fruits, ensuite un parterre où des combinaisons de fleurs dessinaient des chiffres, puis une treille avec des berceaux pour prendre le frais, et un jeu de mail qui servait au divertissement des pages. De l’autre côté se trouvaient le chenil, les écuries, la boulangerie, le pressoir et les granges. Un pâturage de gazon vert se développait tout autour, enclos lui-même d’une forte haie d’épines.
On vivait en paix depuis si longtemps que la herse ne s’abaissait plus ; les fossés étaient pleins d’herbe ; des hirondelles faisaient leur nid dans la fente des créneaux ; et l’archer qui tout le long du jour se promenait sur la courtine, dès que le soleil brillait trop fort, rentrait dans l’échauguette, et s’endormait comme un moine.
À l’intérieur, les ferrures partout reluisaient ; des tapisseries dans les chambres protégeaient du froid ; et les armoires regorgeaient de linge, les tonnes de vin s’empilaient dans les celliers, les coffres de chêne craquaient sous le poids des sacs d’argent.
On voyait dans la salle d’armes, entre des étendards et des mufles de bêtes fauves, des armes de tous les temps et de toutes les nations, depuis les frondes des Amalécites et les javelots des Gara mantes jusqu’aux braquemarts des Sarrasins et aux cottes de mailles des Normands.
La maîtresse broche de la cuisine pouvait faire tourner un bœuf ; la chapelle était somptueuse comme l’oratoire d’un roi. Il y avait même, dans un endroit écarté, une étuve à la romaine ; mais le bon seigneur s’en privait, estimant que c’est un usage des idolâtres.
Toujours enveloppé d’une pelisse de renard, il se promenait dans sa maison, rendait la justice à ses vassaux, apaisait les querelles de ses voisins. Pendant l’hiver, il regardait les flocons de neige tomber, ou se faisait lire des histoires. Dès les premiers beaux jours, il s’en allait sur sa mule le long des petits chemins, au bord des blés qui verdoyaient, et causait avec les manants, auxquels il donnait des conseils. Après beaucoup d’aventures, il avait pris pour femme une demoiselle de haut lignage.
Elle était très blanche, un peu fière et sérieuse. Les cornes de son hennin frôlaient le linteau des portes ; la queue de sa robe de drap traînait de trois pas derrière elle. Son domestique était réglé comme l’intérieur d’un monastère ; chaque matin elle distribuait la besogne à ses servantes, surveillait les confitures et les onguents, filait à la quenouille ou brodait des nappes d’autel. À force de prier Dieu, il lui vint un fils.
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Aucun bruit dans le village. En bas, sur le trottoir, personne. Ce silence épandu augmentait la tranquillité des choses. Au loin, les marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise lourde apportait la senteur du goudron.
Le principal divertissement était le retour des barques. Dès qu'elles avaient dépassé les balises, elles commençaient à louvoyer. Leurs voiles descendaient aux deux tiers des mâts ; et, la misaine gonflée comme un ballon, elles avançaient, glissaient dans le clapotement des vaques, jusqu'au milieu du port, où l'ancre tout à coup tombait. Ensuite le bateau se plaçait contre le quai. Les matelots jetaient par-dessus le bordage des poissons palpitants ; une file de charrettes les attendaient, et des femmes en bonnet de coton s'élançaient pour prendre les corbeilles et embrasser leurs hommes.
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Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée. Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton, s'arrachait les plumes, éparpillait ses ordures, répandait l'eau de sa baignoire ; Mme Aubain, qu'il ennuyait, le donna pour toujours à Félicité.
Elle entreprit de l'instruire ; bientôt il répéta : " Charmant garçon ! Serviteur, monsieur ! Je vous salue, Marie ! " Il était placé auprès de la porte, et plusieurs s'étonnaient qu'il ne répondît pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets s'appellent Jacquot. On le comparait à une dinde, à une bûche : autant de coups de poignards pour Félicité ! Étrange obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on le regardait !
Néanmoins il cherchait la compagnie ; (...) il cognait les vitres avec ses ailes, et se démenait si furieusement qu'il était impossible de s'entendre.
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Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages.
La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel, et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités de la Toucques. Des bœufs, étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans la troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirent en rond devant elles. — " Ne craignez rien ! " dit Félicité ; et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur l'échine celui qui se trouvait le plus près ; il fit volte-face, les autres l'imitèrent. Mais quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un taureau, que cachait le brouillard. Il avança vers les deux femmes. Mme Aubain allait courir. — " Non ! non ! moins vite ! " Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie ; voilà qu'il galopait maintenant ! Félicité se retourna, et elle arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comme franchir le haut bord. Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait : — " Dépêchait-vous ! dépêchez-vous ! "
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Elle expira, ayant juste soixante-douze ans. (...) Félicité la pleura, comme on ne pleure pas les maîtres. (...) Dix jours après, (...) les héritiers survinrent. La bru fouilla les tiroirs, choisit des meubles, vendit les autres. (...) Le fauteuil de Madame, son guéridon, sa chaufferette, les huit chaises, étaient partis ! La place des gravures se dessinait en carrés jaunes au milieu des cloisons. Ils avaient emporté les deux couchettes, avec leurs matelas, et dans le placard on ne voyait plus rien de toutes les affaires de Virginie ! Félicité remonta les étages, ivre de tristesse.
Le lendemain il y avait sur la porte une affiche ; l'apothicaire lui cria dans l'oreille que la maison était à vendre.
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Et si l'une des meilleures façons de plonger dans l'oeuvre d'un classique était de contourner momentanément ses romans pour découvrir sa correspondance, c'est-à-dire l'homme derrière la statue, l'homme mis à nu ?
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