Durant 13 ans, soit 5000 jours, de 1550 à 1562, le sieur de Gouberville, gentilhomme du Cotentin, entre Valognes et Cherbourg, tient son journal. Sa "mise et receptes", plus exactement. A travers ce livre de compte de ses dépenses et recettes journalières, Gille de Gouberville décrit des scènes de la vie quotidienne d'un homme du XVIème siècle. Quatre siècles plus tard, on retrouvera dans un grenier ce trésor historique que
Madeleine Foisil décortique, analyse pour nous faire toucher du doigt la vie de ces hommes du XVIème siècle.
Pas de grande histoire dans ce livre. C'est presque incidemment que l'on apprend la mort tragique de Henri II, 17 jours après. Seul le choc de la réforme qui déferlera sur le Cotentin en 1562 viendra troubler " le rythme religieux comme une respiration dans un monde immobile et sans histoire." Ce qui m'a le plus frappé dans ce livre, c'est le rapport de l'homme avec la nature. Une nature qui n'est pas domptée et qui fait subir à l'homme tous ses excès. Les hommes de cette époque sont des hommes du dehors. Dès le matin, il sont par les bois, les champs et les chemins.
Les lieux de vie sont aussi totalement différent. La cuisine, avec sa grande cheminée, seule pièce régulièrement chauffée, est le centre de la gentilhommière. "Au matin, comme je m'habillais devant le feu de la cuisine, écrit Gilles de Gouberville, arriva Loys Bonhomme." Après la cuisine, c'est la chambre du Maître des lieux. Une chambre qui n'a rien d'intime puisque tout le monde ou presque vient y discuter pendant que Gilles de Gouberville est encore couché. "Dès le grand matin, Cresné vint frapper à l'huis de ma chambre que Cantepye ouvrit." "Mercredi 15 janvier 1555, Thomas
Mouchel y vint avant que je fusse levé et parla à moi en mon lit." L'hospitalité due à l'étranger, au voyageur, est tellement évidente aux yeux de notre gentilhomme, comme allant de soi, qu'il la mentionne à peine. Les rites religieux tiennent bien évidemment une place capitale, ancrées dans la vie de tous les jours. La mort et la maladie sont partout présentes.
Enfin, il y a l'homme. Un solitaire. Une exception à cette époque car Gillles de Gouberville n'est pas marié et sans enfant légitimes. Un pudique qui vit tant que mal avec ses péchés (il a trois bâtardes qu'il n'abandonnera pas ), et une maladie vénérienne qu'il doit se faire soigner à Rouen.
Et puis il y a surtout la manière dont
Madeleine Foisil nous fait entrer dans l'univers de Gilles de Gouberville. Avec retenue. Avec tact. Avec beaucoup de tendresse, voire d'amour pour cet homme qui n'a pas cru bon de se décrire physiquement.
Un bien beau livre à déguster.