Dans son ouvrage intitulé «
Abrégé de Psychanalyse »,
Freud nous offre un schéma très clair de l'appareil psychique humain. Malgré sa forte antériorité et les nombreuses tentatives de réactualisation, l'explication Freudienne demeure la plus pertinente et surtout la plus accessible pour le profane. Malgré son caractère abstrait et indémontrable, elle reste concrètement la plus vérifiable.
Freud distingue trois parties essentielles dans l'appareil psychique. le Ça (das Es), le Moi (das Ich), et le Surmoi (das Uberich). D'après cette théorie, et en la résumant, on comprend que chacun d'entre nous abrite un animal, un être instinctif et dictateur aux besoins primaires ; Il s'agit du Ça, ou inconscient. En des temps reculés, cette entité vivait en contact avec la réalité, assouvissait ses besoins directement et sans contraintes, s'il avait faim, il mangeait, partant à la chasse ou à la cueillette, s'il avait soif, il se rendait au point d'eau le plus proche et buvait. Si une envie sexuelle le tiraillait subitement il n'avait qu'à s'accoupler avec une femelle en faisant valoir son statut de mâle plus ou moins dominant. C'était il y a très longtemps, l'homme primitif ne connaissait pas la frustration.
Mais l'évolution de l'être humain au travers des siècles, l'arrivée des premières civilisations, entre autres faits, a forcé l'individu à enfouir la bête au fond de son esprit. Ce fut l'avènement de la conscience, l'émergence du Moi.
Dans le système actuel, l'enfant, à sa naissance, est un être primitif en puissance, la bête est à la surface, exigeante et sauvage. Les parents l'éduquent selon les critères que leur milieu demande et leurs principes individuels, une toile d'obstruction aux instincts s'installe devant sa perception du monde et des choses, c'est le Surmoi. Et le petit animal n'a qu'à enterrer la bête au plus profond de lui, il crée son Moi pour se plier aux règles imposées. Des années d'éducation seront nécessaires à cet apprentissage quotidien, à cette sculpture psychique avant de prendre forme ; le petit humain se crée lentement.
Tout cela est merveilleux, semble parfaitement calculé. A l'age adulte, il ne s'accouplera pas en public dès la première envie, ne se servira pas dans un supermarché sans avoir payé au préalable. A sa puberté, même une violente crise hormonale ne le fera pas engrosser sa mère ou sa soeur. Il sera, sauf défaut de fabrication ou anomalie majeure, intégrable au corps social.
Malheureusement tout ceci n'est pas si simple.
Si la bête est enfouie, elle gouverne toujours, réclame sans cesse et impose son cri. Ses besoins despotiques, elle les fait savoir, envoie son sinistre émissaire, la pulsion. La pulsion monte de l'abîme au conscient, impose une tension nerveuse jusqu'à exécution. Et l'humain civilisé, intelligent, raffiné, se trouve victime de chacune d'entre elles. La torture est constante, insidieuse, elle se maintient. le pauvre individu est contraint de se démener pour échapper au supplice, cherchant à assouvir les besoins de son maître tout en respectant les contraintes du Surmoi, limites infranchissables ancrées dans son esprit. Prenons l'exemple d'un mâle européen d'une trentaine d'années, appelons le Jean-Marie :
Jean-Marie est à table, on est dimanche, c'est le printemps. A ses côtés, sa femme (Huguette), son frère (Bernard), ainsi que sa belle-soeur (la pulpeuse Tatiana). le repas se passe plutôt bien, aucune raison qu'il en soit autrement, les convives ont toujours eus, familialement, de bons rapports. Tout à coup, alors qu'Huguette sert le dessert (une tarte à la rhubarbe), l'animal endormi au fond de Jean-Marie se réveille. Il réclame de toute urgence une relation sexuelle, plus clairement un coït. Il est évident que, dans ce contexte, notre sympathique Jean-Marie ne peut répondre à cette demande. le Ça s'en fout éperdument, ce qui se passe en surface ne le concerne pas, il n'en a d'ailleurs aucune idée ; il se contente d'envoyer une pulsion. le hasard veut que Jean-Marie soit assis juste en face de la succulente Tatiana et de son décolleté indécent. Son éducation occidentale civilisée lui interdit la simple pensée d'une levrette furieuse avec la femme de son frère et son Moi a rejeté en Huguette, sa triste épouse, l'image de la Femme. Ces deux possibilités sont pourtant les seules permettant l'assouvissement direct du besoin et l'apaisement de la tension croissante, il n'a donc plus que la solution d'urgence, mystifier la bête, répondre à ses exigences par un but détourné. Il attend impatiemment l'occasion idéale.
En toute innocence, et probablement pour meubler la conversation, Bernard parle de l'un de ses amis, Mohamed. Il vante ses qualités, dit que c'est un brave gars et qu'il peut compter sur lui. Jean-Marie saisit l'occasion. Sous le regard incrédule de sa femme et de ses invités, il se lance dans un long monologue ultra-raciste ; les bicots, les chinetoques et les nègres, tous dans le même sac, c'est de la merde. Ils sont un fléau pour la France, et tous ceux qui les soutiennent, de la merde aussi. Bernard, un peu gêné, tente de se justifier, d'expliquer à son cher frère qu'il ne faut pas généraliser, il remarque vite que c'est inutile. La violence des propos de Jean-Marie devient telle que tout le monde se tait, mange sa part de tarte en silence. Dans l'esprit de Jean-Marie, la tension redescend. En réagissant ainsi, quasi-inconsciemment, il a fait valoir son statut de mâle dominant, il a trompé le Ça qui s'endort à nouveau, satisfait. L'ambiance est cassée à table, notre pauvre Jean-Marie prend à présent conscience du malaise généré par sa réaction. Il refuse pourtant l'idée que tout ceci ait eu lieu à cause d'une frustration sociale.
En bas, tout au fond de son être, un grand jet d'acide vient gicler sur les barreaux de la cage qui enferme la bête : ces incidents doivent être évités à tout prix.
Voici donc ce que peut provoquer une pulsion arrivant à un moment inopportun. La situation aurait été moins dramatique dans d'autres circonstances mais cet instant de la journée accueillait mal cette pulsion inopinée. Dans le cas présent, on peut penser que les conséquences seront moindres, tout au plus un léger froid entre les deux frères, mais si l'on se place un peu plus haut sur l'échelle, si Jean-Marie devenait, pour notre exemple uniquement, un homme politique. Les conséquences pourraient être, elle aussi, d'une autre échelle.
Chaque individu, de par sa constitution psychique, est un système chaotique vivant et ce pour une raison indéniable :
Qu'il soit un homme ou une femme, qu'il soit charpentier, ingénieur, médecin, chercheur ou politicien, qu'il se nomme Jean-Marie, Jacques, Oussama, Adolphe, George W. ou Marie, chaque individu a un seigneur animal au fond de lui, et c'est Lui le maître de chacun.
Ghislain GILBERTI
« Sa Majesté des Profondeurs »