L'homme, quelque rabaissé qu'il soit au-dehors, se sent souverain dans sa propre âme. Il s'est forgé quelque part, au cœur de son moi, un organe de contrôle qui surveille si ses propres émotions et ses propres actions sont conformes à ses exigences. Ne le sont-elles pas, les voilà impitoyablement inhibées et reprises. La perception intérieure, la conscience, rend compte au moi de tous les processus importants qui ont lieu dans l'appareil psychique, et la volonté, guidée par ces renseignements, exécute ce qui est ordonné par le moi, corrigeant ce qui voudrait se réaliser de manière indépendante (…).
Dans certaines maladies, et, de fait, justement dans les névroses, que nous étudions, il en est autrement. Le moi se sent mal à l'aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre maison, l'âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d'où elles viennent ; on n'est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même être plus forts que ceux qui sont soumis au moi ; ils résistent à toutes les forces de la volonté qui ont déjà fait leurs preuves, restent insensibles à une réfutation logique, ils ne sont pas touchés par l'affirmation contraire de la réalité. La psychanalyse entreprend d'élucider ces cas morbides inquiétants, elle organise de longues et minutieuses recherches, elle se forge des notions de secours et des constructions scientifiques, et, finalement, peut dire au moi :
«Il n'y a rien d'étranger qui se soit introduit en toi, c'est une part de ta propre vie psychique qui s'est soustraite à ta connaissance et à la maîtrise de ton vouloir. C'est d'ailleurs pourquoi tu es si faible dans ta défense; tu luttes avec une partie de ta force contre l'autre partie, tu ne peux pas rassembler toute ta force ainsi que tu le ferais contre un ennemi extérieur. (…) La faute, je dois le dire, en revient à toi. Tu as trop présumé de ta force lorsque tu as cru pouvoir disposer à ton gré de tes instincts sexuels et n'être pas obligé de tenir compte le moins du monde de leurs aspirations. Ils se sont alors révoltés et ont suivi leurs propres voies obscures afin de se soustraire à la répression, ils ont conquis leur droit d'une manière qui ne pouvait plus te convenir.(…) Le psychique ne coïncide pas en toi avec le conscient : qu'une chose se passe dans ton âme ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n'est pas la même chose(…).»
C'est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés qu'elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être complètement domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivalent à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison.
Mais je devine votre étonnement, bien naturel d'ailleurs - Y a-t-il donc, demanderez-vous, une sexualité infantile? L'enfance n'est-elle pas plutôt cette période de la vie où manque tout instinct de ce genre? - A cette question je vous répondrai: non, l'instinct sexuel ne pénètre pas dans les enfants à l'époque de la puberté. L'enfant présente dès son âge le plus tendre des manifestations de cet instinct; il apporte ces tendances en venant au monde, et c'est de ces premiers germes que sort, au cours d'une évolution pleine de vissicitudes et aux étapes nombreuses, la sexualité dite normale de l'adulte. Il n'est guère difficile de la constater. Ce qui me paraît moins facile, c'est de ne pas l'apercevoir! Il faut vraiment une certaine dose de bonne volonté pour être aveugle à ce point.
La théorie d'Adler était dés le début un "système", et c'est ce que la psychanalyse avait toujours soigneusement évité. Elle nous offre en même temps un excellent exemple d' "élaboration secondaire", dans le sens de celle que la pensée vigile effectue sur les matériaux fournis par les rêves. En ce cas, les matériaux des rêves sont remplacés par ceux nouvellement fournis par les études psychanalytiques, envisagées principalement du point de vue du moi, traduits et retournés conformément à ces catégories et, exactement comme dans la formation de rêve, mal compris. Aussi la théorie d'Adler est-elle moins catégorisée par ce qu'elle affirme que par ce qu'elle dénie...
Leçon III, Payot p.179
« Par le rêve, c'est l'enfant qui continue à vivre dans l'homme, avec ses particularités et ses souhaits, même ceux qui sont devenus inutiles. C'est d'un enfant, dont les facultés étaient bien différentes des aptitudes propres à l'homme normal, que celui-ci est sorti. Mais au prix de quelles évolutions, de quels refoulements, de quelles sublimations, de quelles réactions psychiques, cet homme normal s'est-il peu à peu constitué, lui qui est le bénéficiaire - et aussi, en partie, la victime - d'une éducation et d'une culture si péniblement acquises »
J'avais toujours admis que le premier contact avec les pénibles vérités révélées par l'analyse était de nature à rebuter, à donner envie de fuir ; et je n'ai cessé de proclamer que le degré de compréhension de chacun est en rapport étroit avec ses propres refoulements (plus précisément avec les résistances qui les maintiennent), qui l'empêchent de dépasser dans l'analyse un point déterminé. Mais ce que je n'aurais jamais cru possible c'est que quelqu'un, après avoir poussé sa compréhension de l'analyse jusqu'à une certaine profondeur, pût renoncer à ce qu'il avait acquis sous ce rapport, voire le perdre.
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