AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de colimasson


Partant du postulat que l'enfance est à l'individu ce que le peuple primitif est à notre société, Freud se propose d'analyser la vie des peuples primitifs pour enrichir notre connaissance psychanalytique, sans laisser sur le côté les ethnologues et linguistes qui sauraient également venir enrichir la réflexion. La méthode pourrait paraître moralement incorrecte car elle porte à croire que Freud établit un jugement de valeur entre société primitive et société moderne. La lecture de l'ouvrage nous apprend cependant que Freud n'assigne absolument aucune valeur à chacun des états de la société, se contentant de reconnaître que trois systèmes se succèdent, celui de l'animisme, celui de la religion et celui de la science, chacun accordant une place décroissante à l'homme au profit de l'entité supérieure sur laquelle sont projetés les fantasmes ambivalents de l'homme.


Pour son analyse, Freud part du postulat que les peuples sauvages contemporains représentent les peuples primitifs à l'origine des civilisations ultérieures. Il observe alors deux phénomènes principaux : le tabou et le totémisme.


Le tabou est un mot polynésien qui désigne le sacré. Il s'apparente au « sacer » des anciens Romains et, dans une certaine mesure, à notre « impératif catégorique » issu de Kant. le tabou semble imposé de l'extérieur et concerne un désir inconscient et puissant. Sa violation remet en cause l'équilibre du clan. Il faut alors procéder à un acte d'expiation dont la nature serait identique à celle du désir normalement écarté.


Le totem est un objet superstitieusement respecté. le totémisme est une pratique religieuse et sociale qui implique le respect de l'homme vis-à-vis du totem, et le respect d'un certain nombre d'obligations à l'intérieur du clan rattaché au même totem. Freud se demande si l'exogamie, découlant de la peur de l'inceste, existait déjà avant le totémisme, ou s'il n'en fut qu'une conséquence.


Le tabou et le totémisme se retrouveraient, sous une forme plus individuelle et nuancée, chez le névrosé obsessionnel. Celui-ci fonctionne en effet sur le mode de la superstition et réalise des actes qui ont valeur d'expiation. Leur origine est inconsciente mais vise certainement à surmonter un désir puissant.


« Résumons les points sur lesquels porte la ressemblance entre les coutumes tabou et les symptômes de la névrose obsessionnelle. Ces points sont au nombre de quatre : 1° absence de motivation des prohibitions ; 2° leur fixation en vertu d'une nécessité interne ; 3° leur facilité de déplacement et contagiosité des objets prohibés ; 4° existence d'actions et de commandements cérémoniaux découlant des prohibitions. »


La névrose s'éclaircit par comparaison avec la mentalité des peuples primitifs et, à son tour, l'histoire du tabou devient plus claire lorsque Freud tente de la reconstruire en appliquant ses connaissances sur les prohibitions obsessionnelles des névrosés. L'origine du tabou remonterait donc à une privation qu'il s'agit de nommer. Pour Freud, les deux interdits fondamentaux du totémisme –la prohibition de tuer le totem et d'épouser une femme du même totem- renvoient au complexe d'Oedipe. La religion totémique traduirait donc la culpabilité mais aussi la gloire des enfants qui se souviennent du meurtre du père. Ce meurtre peut être aussi bien réel que fantasmé car Freud estime que, dans le système animiste des peuples primitifs, la pensée et la parole ont autant de pouvoirs que les actes réels.


« Nous savons déjà qu'étant donné leur organisation narcissique, ils attachent à leurs actes psychiques une valeur exagérée. Aussi bien les simples impulsions hostiles à l'égard du père, l'existence du désir imaginaire de le tuer et de le dévorer auraient-elles pu suffire à provoquer la réaction morale qui a créé le totémisme et le tabou. »


On trouve encore une trace de ce tabou et des pratiques totémistes dans le système religieux chrétien. le péché originel traduirait l'offense envers Dieu le Père, rachetée par le Christ qui mourut sur la Croix. L'Eucharistie découlerait ensuite du processus qui est à la base du repas totémique. Sous quelle forme se manifestera ou se manifeste déjà la résurgence totémique dans le troisième système, celui de la science ?


Cette analyse démontre encore une fois l'ouverture d'esprit de Freud qui a voulu concilier de nombreuses disciplines afin qu'elles s'enrichissent mutuellement. Bien que l'on puisse contester les conclusions de cet ouvrage par désaccord avec ses axiomes, il faut reconnaître que le rapprochement effectué entre le phénomène obsessionnel de la névrose et les phénomènes religieux et social du totémisme est une idée porteuse et riche en implications.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
Commenter  J’apprécie          257



Ont apprécié cette critique (19)voir plus




{* *}