« Pensegarde »… petit hameau de la Drôme provençale où s'agrippent cinq maisons de pierres claires appartenant à Lex, l'écrivain le plus exceptionnel, le plus talentueux, le plus génial des romanciers français des quarante dernières années.
C'est dans ce lieu de carte postale aussi idyllique qu'isolé que le Maître s'est retiré, vivant au secret, seul, coupé volontairement du monde et du reste de ses contemporains.
Personne ne sait qui il est réellement et bien des journalistes se sont cassés les dents sur le mystère qui entoure sa vie, à commencer par son identité, consciencieusement camouflée sous son pseudonyme.
Ne comptez par sur lui pour obtenir des confidences, vous ne rencontrerez qu'un « mur de silence ». Lex ne pense, ne veut, ne vit que pour écrire. C'est là sa seule raison d'être.
Mais ce n'est pas pour percer « le grand mystère culturel » qu'incarne Lex que Jérôme Babalnic se présente, par une belle journée ensoleillée, au hameau de Pensegarde.
Car Jérôme Babalnic n'est ni un journaliste, ni un chroniqueur littéraire, ni un admirateur, ni un curieux, ni même un promeneur égaré, non…Jérôme Babalnic est commandant à la SRPJ de Lyon et il est venu à Pensegarde pour résoudre une affaire criminelle qui ressemble fortement à une énigme littéraire. Et pour cela, il a besoin de Lex.
En effet, le grand écrivain semble être le point névralgique d'une série de cinq meurtres inspirés par cinq romans policiers écrits par le passé par un certain Jacob Lieberman, un auteur des plus médiocres que le manque de talent et le temps ont définitivement expédié dans les limbes de l'oubli.
Après maints recoupements, interprétations de textes, calculs, résolutions d'anagrammes et autres combinaisons de lettres qui tous l'ont mené jusqu'à Lex, Jérôme Babalnic s'est décidé à troubler la solitude du grand homme afin que celui-ci l'assiste dans son enquête et empêche qu'un sixième crime ne soit commis.
Pendant quelques jours, dans le cadre enchanteur des collines drômoises, les deux hommes vont confronter leur intelligence, leur perspicacité et la finesse de leurs esprits supérieurs…
Sébastien Fritsch est la preuve vivante que l'on peut encore écrire un bon roman policier sans qu'aucune goutte de sang ne vienne entacher la blancheur de ses pages.
Nul besoin de sortir l'artillerie lourde et des flots d'hémoglobine car seuls comptent ici la déduction, la réflexion, la parole, les échanges et les mots.
C'est la grande force de ce suspense psychologique bâti en un attirant face-à-face entre deux hommes à l'intelligence vive et l'esprit aiguisé. La confrontation de ces deux caractères forts n'ayant que les mots pour s'appréhender l'un l'autre est plus qu'intéressante, d'autant plus qu'elle se déroule dans un cadre ensorcelant mais aussi très isolé, si bien qu'on ne cesse de se demander si ce petit paradis va se transformer en lieu de perdition.
Seuls, deux petits bémols viennent détoner dans l'ensemble de cette partition noire au demeurant jouée très finement par son auteur.
Ainsi : très tôt nous apprenons que le formidable Lex et le pitoyable Jacob Lieberman ne sont qu'une seule et même personne. Soit. On s'en doutait un peu…Néanmoins, passer ainsi du pire au meilleur, de « l'abjecte bouillie » littéraire au plus grand génie des lettres du siècle, ça coince un peu quand même…
Alors effectivement le talent se travaille, Lex a radicalement changé son approche littéraire, l'époque n'était pas prête à recevoir la littérature au goût de mort de Jacob, etc…On a beau dire et faire, malgré toutes les raisons invoquées, il reste difficile de concevoir qu'un auteur aussi grandiose ait pu être cet écrivain d'une médiocrité absolue, cette calamité littéraire telle que proposée par
Sébastien Fritsch.
L'autre petite maladresse est minime, mais peut faire tiquer le lecteur scrupuleux :
Dans le texte, Jérôme Babalnic affirme que sa mère était incapable de jouer trois notes harmonieuses sur un piano…Pourtant, au fil du texte, nous découvrons que celle-ci, en plus d'être musicienne, faisait partie d'un orchestre et enregistrait même en studio ! Eh bien…s'il nous était permis de pouvoir jouer avec le même manque d'harmonie nous en serions certainement fort aise!
Mais ne faisons pas la fine bouche, tout ceci est peccadilles et n'entame guère le plaisir bien réel que nous délivre la lecture de ce suspense psychologique dont le principal sujet reste la littérature et son impact sur les êtres, qu'ils soient auteurs ou lecteurs.
C'est sur ce thème que
Sébastien Fritsch déploie toute sa passion et sa sensibilité en combinant une intrigue (avec jeux de lettres, calculs et anagrammes) ingénieusement retorse, et une réflexion sur le pouvoir de l'écrit, l'acte de création et l'écriture.
Et si un peu de déduction permet de cerner assez rapidement le coupable, l'auteur réussit malgré tout à nous surprendre encore en nous concoctant un final bien pensé et parfaitement adapté à l'ambiance énigmatique de ce huis-clos troublant où tout devient matière à mystification.
Porté par une écriture travaillée, empreinte d'un charme classique et joliment ciselée, ce bref roman policier, à l'inverse de ceux de Jacob Lieberman, contient déjà les germes manifestes d'un bon auteur en devenir.