Certaines histoires sont tellement connues, ressassées, répétées, ruminées, remâchées, parfois trahies qu'on a l'impression de les connaitre par coeur. On se trompe sur toute la ligne.
Comme tout un chacun, je connais le principe utilisé par Schahrazade (Shéhérazade) : l'invention du roman-feuilleton pour échapper à une mort certaine. Elle entame ainsi une histoire qui doit se poursuivre la nuit suivante et ainsi de suite, telle Pénélope faisant et défaisant sa tapisserie.
Voilà pour le fond.
On a tous entendu parler de Sinbad, d'Ali-Baba, d'Aladin. On pense connaitre leur histoire. C'est compter sans le pillage successif que ces légendes ont dû subir, tout comme les contes de Grimm ou d'Andersen payèrent un lourd tribu à leur épuration par Disney.
Il existe évidemment plusieurs traductions (je préfère utiliser le mot interprétation, comme pour les textes sacrés d'une certaine façon) et j'ai eu le bonheur de tomber sur, sans doute, la plus exubérante, à défaut d'être (soit disant) la plus fidèle. Mardrus est un ami d'
André Gide et, à la fin du XIX° siècle il entend publier en 16 volumes ces contes arabisants. Il en conserve toute la poésie, expurgée de la traduction d'
Antoine Galland qui sert souvent de référence, mais dont on reproche un classicisme quelque peu suranné.
La première impression qui surprend, c'est cette sensualité, un érotisme qui transpire au fil des aventures de personnages enchâssés : Schahrazade raconte le récit d'un vizir qui relate lui-même les aventures d'un chambellan qui tient une anecdote d'un syndic qui se rappelle un fait d'un conté par un riche marchand… Cette mise en abime nous fait parfois perdre pied. On est étourdi. L'exubérance et le faste typiquement oriental ajoute à ce vertige. En parcourant, pardon, en s'immergeant dans cet univers, on a parfois l'impression de se trouver dans une pièce qui étouffe sous une armée de bibelots, aux murs tapissés d'une multitude de tableaux trop riches, aux cadres démesurés et, particulièrement, des bouquets de fleurs aux parfums trop capiteux. On en aurait mal à la tête. Mais surmonté ce passage obligé, l'exotisme prend toute la place. On devient un voyageur, un explorateur mais nullement un touriste.
Outil idéal pour combattre l'insomnie, ces 1001 nuits s'étendent sur plus de 2000 pages dans la collection « Bouquins » dont on connait la densité et l'étroitesse des caractères. Un seul regret pour celles et ceux qui désireraient dévorer ce pavé à la manière d'épisodes (chaque « nuit » équivaut à une lecture de quelques minutes seulement), le découpage est mal agencé, lorsqu'il ne saute pas carrément plusieurs nuits de suite (le traducteur explique que le découpage original n'offrait pas assez de texte pour motiver une nuit entière).