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EAN : 9782070362035
288 pages
Gallimard (16/11/1972)
4/5   649 notes
Résumé :
"La cachette fut terminée aux premières lueurs de l'aube. C'était une aube mauvaise de septembre, mouillée de pluie ; les pins flottaient dans le brouillard, le regard n'arrivait pas jusqu'au ciel. Depuis un mois, ils travaillaient secrètement la nuit : les Allemands ne s'aventuraient guère hors des routes après le crépuscule, mais, de jour, leurs patrouilles exploraient souvent la forêt, à la recherche des rares partisans que la faim ou le désespoir n'avaient pas ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (64) Voir plus Ajouter une critique
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La vie de Romain Gary fut aussi romanesque que ses écrits et il me fut impossible de terminer un chapitre sans imaginer le contexte particulier de son écriture pendant la seconde guerre mondiale.
Le jour, le pilote de la RAF, matricule 30049, décollait depuis l'Angleterre à bord d'un corbillard ailé, traversait la Manche et larguait des bombes sur les positions nazies.
le soir, de retour de mission, Roman Kacew devenait Romain Gary. Il écrivait peut-être dans une semi-obscurité, entouré parfois par les chants alcoolisés de ses frères d'armes en cas de victoires, plus souvent par un silencieux recueillement quand l'un des leurs manquait à l'appel. J'extrapole.
La nuit, l'histoire du roman prenait corps. Celle du jeune Janek et de ses compagnons dans le maquis polonais. Ils combattent l'envahisseur allemand et tentent de survivre dans le froid, affamés, seulement réchauffés par la fraternité, l'espoir d'une prochaine victoire et le récit de légendes contés par le vieux patriote Dobransky.
Chaque jour, Romain Gary enchaînait donc deux batailles pour la même guerre, l'une réelle, l'autre imaginaire.
Le récit est fragmenté, un peu parce que le texte fut retravaillé une dizaine d'années après sa sortie par l'auteur pour une édition américaine, mais surtout parce qu'il fut écrit en période de guerre, sans garantie de lendemain.
La mort frappe n'importe quand, n'importe qui, n'importe comment et le roman évoque très bien le fatalisme des personnages qui est aussi celui de l'auteur.
Certaines scènes de sacrifices continueront de hanter ma mémoire de lecteur avec l'entêtement d'un fantôme traînant ses chaînes dans un vieux manoir écossais.
Sacrifice d'honneur du père de Janek dès l'ouverture du roman, sacrifice de Zosia, la jeune compagne de Janek qui abandonne son corps aux allemands pour obtenir des renseignements, sacrifice d'un pianiste allemand inoffensif pour ne pas mettre en péril une opération, sacrifice aux horreurs de la guerre, « aux bonnes raisons, bien valables, bien propres, pour tuer un homme qui ne vous a rien fait ».
J'ai trouvé la narration extraordinaire.
Dans la notice passionnante rédigée par Mireille Sacotte pour l'édition récente des oeuvres de Romain Gary dans La Pleiade, j'ai appris que le roman aurait pu s'intituler « Rien d'important ne meurt jamais » et je trouve que ce titre aurait été plus évocateur que « l'Education européenne » pour saluer le don de soi et l'abnégation des personnages.
Les légendes contées par Dobransky et l'évocation de Nadejda, héros mythique de la résistance polonaise, constituent des respirations qui réchauffent le moral des partisans dans le roman et aère l'attention du lecteur par plusieurs effets comiques ( peut-être pour que nos paupières ne gèlent pas dans les pages de l'hiver polonais).
Comment ne pas terminer enfin ce billet par la citation la plus célèbre de ce premier roman de Romain Gary :
« -Le patriotisme, c'est l'amour des siens. le nationalisme, c'est la haine des autres…. »
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Le premier roman de Romain Gary a pour lieu Wilno, en Pologne devenue depuis Lituanie. Son héros, Janek, doit se cacher avec l'aide de son père, dans la forêt, il reste seul, en attente du père qui ne revient pas (comme lui, l'auteur, qui n'a pas connu son père) il a froid, il est seul, il a peur, la guerre gronde, finalement il fait la connaissance des « partisans ».
La guerre, c'est Stalingrad, avec l'affrontement entre les nazis- qui occupent la Pologne -et les Russes.
Si les partisans attendent l'issue de Stalingrad et la fin de Hitler, Janek, un peu perdu, ne peut que se raccrocher à l'idée que son père est ce héros dont on parle tant sans l'avoir jamais vu. Et il découvre la musique, reste des heures à écouter une jeune femme de Wilno jouer Chopin, il en pleure d'émotion, et reviendra souvent voir la pianiste…les partisans aussi écouteront la polonaise de Chopin :
« Pendant plus d'une heure, les partisans, dont certains avaient marché plus de dix kilomètres pour venir, écoutèrent la voix, ce qu'il y a de meilleur dans l'homme, -comme pour se rassurer – pendant plus d'une heure, des hommes fatigués, blessés, affamés, traqués, célébrèrent ainsi leur foi, confiants dans une dignité qu'aucune laideur, aucun crime, ne pouvaient entamer. »
Janek retrouve ensuite la musique, Mozart, jouée par un Allemand, cependant les enjeux sont trop forts pour que la paix intervienne : ni l'un ni l'autre ne cédera de terrain, ils sont ennemis, point.
L'humanité a produit la civilisation, Dobranski son ami l'avait écrit dans son livre : « Éducation européenne », où il doute parfaitement que les idées de liberté, dignité humaine, fraternité, les plus belles idées de notre civilisation, puissent faire oublier « les pelotons d'exécution, l'esclavage, la torture, le viol, la destruction de ce qui rend la vie belle. »
L'heure des ténèbres est arrivée, dit Dobranski, avec l'impossibilité d'imaginer apprendre aux ennemis la bonté, eux qui ne connaissent que la haine. « La haine, comme l'amour, ne se désapprend pas. » C'est que l'on parle d'Éducation européenne au moment des crises, lorsqu'ils fusillent votre père, ou quand tu tues toi aussi, ou quand tu crèves de faim, mais en fait les guerres se font en se basant sur des contes et l'on tue quelqu'un qui ne vous a rien fait.
Et pourtant il y a la musique du petit juif souffre-douleur d'une bande d'abrutis, qui, en jouant sur son violon, fait sortir le monde du chaos, fait oublier « la faim, le mépris et la laideur. » Janek pense alors à la mort, qui pourrait mettre fin- il suffirait d'une balle allemande- à cette joie éperdue d'entrevoir un autre monde, sans l'occulter : les grandes souffrances existent, persistent et continuent avec leurs larmes de sang, la cruauté de la nature et des hommes. Mais la musique, infiniment triste, incite à la révolte et aux rêves inassouvis.
Janek, une fois la guerre terminée, étudiera à Université de musique de Varsovie.

Gary ne peut s'empêcher de railler le pro-nazi qui clame, pour s'infiltrer, que les naïfs bourgeois de Paris croiront qu'il a vraiment fait punir un officier allemand. Qu'il cache de temps en temps un étudiant coupable d'avoir distribué des tracts.
Dans son immeuble, tout le monde craint ce Monsieur Karl, en particulier Monsieur Chevalier, un émule de toujours, à la botte, avec une petite moustache «je vous rappelle quelqu'un ? ».
Ce dernier, avec la complicité de l'immeuble, fait éditer des tracts « Libération ».
Et toc !
Allez, un petit verre de Volga !
Volga pour oublier que Romain Gary a retouché son texte et l'a (je le subodore) truffé de dialogues en polonais, alors que le corps du texte court avec lyrisme, avec poésie musicale et avec questions sur le pourquoi des guerres, sur l'inhumanité côtoyant les grandes idées, sur l'impossibilité parfois de dépasser les étiquettes mises sur les « ennemis », sur la persistance du mal malgré le rêve qu'il soit éduqué, et, enfin sur la certitude : rien d'important ne meurt jamais.







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Aurais-je un problème avec Romain Gary ? Angoissante question... En tous cas, jusqu'aux vingt dernières pages d'Éducation européenne, j'étais décidé à ne rien écrire sur cette lecture, me sentant peu légitime pour dire du mal d'un tel auteur après avoir déjà émis des réserves dans ma note consacrée aux Racines du ciel...
Heureusement, il y a eu les vingt dernières pages.

Ce roman de guerre a pour sujet la survie dramatique des partisans au coeur de la forêt polonaise, au moment où se déroule plus à l'est la bataille de Stalingrad. le récit s'attache à un garçon dont le père a été tué par les Allemands et dont la mère a été jetée dans un bordel de campagne par l'envahisseur. Janek a quatorze ans lorsqu'il arrive chez les partisans, soit l'âge qu'avait Romain Gary lorsqu'il quitta la Pologne pour la France. Contrairement à l'auteur, le personnage n'aura pas la chance de faire des études : son éducation, « l'éducation européenne » du titre, ne sera pas celle des grandes écoles et universités, mais celle de la fraternité d'armes au sein de la forêt, et puis celle du froid, de la famine, et surtout de la mort : la mort de ses proches et la mort que l'on donne, au couteau, au fusil ou à la dynamite. A la fin, Janek est parfaitement éduqué : « tout ce que cette fameuse éducation européenne vous apprend, c'est comment trouver le courage et de bonnes raisons, bien valables, bien propres, pour tuer un homme qui ne vous a rien fait ». Un homme qui porte un autre uniforme et qui ne se définit plus que par la couleur de celui-ci : à la fin, ceux que l'on tue ne sont plus des Allemands, mais simplement des « feldgraus ».
Romain Gary ne s'exonère pas lui-même de cette vérité, et son livre témoigne aussi de ses doutes, lui qui fit la guerre dans des équipages de bombardiers au-dessus de l'Allemagne : l'éducation européenne, dit-il, c'est « lorsque toi-même tu tues quelqu'un au nom de quelque chose d'important, ou lorsque tu crèves de faim, ou lorsque tu rases une ville ». Cette vision saisissante, qui court en filigrane au long du récit et donne tout son sens au dénouement, est ce qui sauve définitivement le livre.

D'autres aspects sont réussis, il faut bien le reconnaître : la vie des partisans au fond de la forêt est bien éloignée des trompettes de la gloire que l'on entend souvent retentir sur de tels sujets. Ce tableau âpre est d'une grande force, quand bien même Gary n'a pas fait cette guerre-là.
Mais si l'on se plonge dans ce roman, il faut être conscient de ses déséquilibres. Certains sont probablement dûs aux circonstances de son écriture, durant la guerre, entre des missions de bombardements dont chacune pouvait être la dernière. D'autres aspects accusent parfois leur âge, en donnant l'impression que le livre a été un peu construit de bric et de broc, avec l'adjonction de ces contes et récits faits par les personnages lors des veillées d'hiver. Censés ouvrir sur d'autres points de vue (et notamment ceux des Allemands), ils m'ont paru artificiels et n'apportent pas grand chose au propos.
A mes yeux, pourtant, la faiblesse principale du livre est postérieure à sa première écriture : il s'agit de l'introduction dans le récit de la figure mythique du Partisan Nadejda, rajoutée par l'auteur lors du remaniement du texte pour l'édition Gallimard de 1956. J'ai appris que ce personnage symbolisant l'esprit de résistance serait un hommage à la figure gaullienne, revisitée ici sous l'angle fantasmagorique de l'âme slave. Pourquoi pas, après tout ? Durant ma lecture, néanmoins, j'ai pensé à chaque fois que l'irruption de Nadejda était complètement factice et qu'elle tirait l'histoire vers les clichés faciles. Par ricochet, surtout, cette croyance que partagent l'ensemble des partisans leur confère une naïveté qui ne cadre guère avec leur tempérament, âme slave ou pas. Cet affleurement du merveilleux dans un récit situé à ses antipodes sent beaucoup trop le procédé, au point que j'ai failli abandonner le livre. Je m'interroge encore sur les raisons qui ont poussé l'auteur à bousculer ainsi son histoire a posteriori afin d'y insérer cet intrus. Comme quoi, ce n'est peut-être pas toujours avec le recul du temps qu'on a la vision la plus pertinente d'un sujet.
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Nous sommes en 1943 en Angleterre. Quand il n'est pas en mission pour les Forces aériennes françaises libres, Romain Gary peine sur son premier roman, « Education européenne », qu'il espère achever avant d'être abattu comme tant de ses camarades pilotes. Nous sommes en 1943 en Pologne. Janek, quinze ans, sort prudemment de la cache souterraine où l'a dissimulé son père et s'aventure de la forêt. Il y rejoint les groupes de patriotes qui s'y calfeutrent depuis l'invasion de la Pologne par les forces allemandes. Janek est jeune, mais il veut se battre et pour cela, il est prêt à sacrifier beaucoup de choses, son innocence, sa candeur et même ses rêves de devenir un jour un grand compositeur reconnu et admiré par tous. Dans les bois polonais, des hommes se cachent, ils patientent l'oreille collée au poste de radio, ils tuent quand ils ont en l'occasion et, entre deux assassinats, deux bombes artisanales, ils rêvent… Ils rêvent du jour où leur pays sera enfin secouru, où les armées alliées s'abattront comme une grande marée sur les troupes allemandes, où ils pourront enfin rentrer chez eux, retrouver leurs femmes et leurs enfants. Ils rêvent qu'ils ne sont pas seuls.

Pour certains, l'Education européenne, ce sont « les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes », la leçon infligée par l'Allemagne nazie au monde entier. Pour d'autres, c'est « une chanson, un poème, un livre », quelque chose qui permette aux hommes de tenir jusqu'à la fin de la guerre, d'apprendre à ne pas désespérer. Sans surprise, Romain Gary se place du côté des rêveurs. Oui, la guerre est épouvantable. Oui, les femmes y sont violées, les hommes fusillés, les enfants abandonnés. Oui, on n'en voit pas la fin et chaque jour est une occasion de plus de sombrer. Pourtant, un jour viendra où la guerre s'arrêtera, un jour « couleur orange » comme le disait Aragon où toutes les plaies seront cicatrisées et où les nations vivront en paix. C'est beau, c'est très beau même, et on n'a beau avoir du mal à y croire, c'est toujours réconfortant de lire un livre si porteur d'espoir. « Education européenne » ce n'est pas un roman sur les patriotes polonais, mais un livre sur tous les résistants contre l'oppression, quels que soient leur pays, leur continent et leurs raisons de combattre. Pas l'oeuvre la plus aboutie de Romain Gary, mais puissante et touchante tout de même.

« Un jour pourtant, un jour viendra couleur orange
Un jour de palme, un jour de feuillage au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche »

(« Un jour, un jour » d'Aragon. Merci Ferrat ! Nan parce qu'allez pas vous imaginer que je connais Aragon par coeur quand même…)
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Lorsque Romain Gary prend la plume pour écrire ce qui deviendra son premier roman édité sous ce nom, il ne connaît pas encore l'issue de cette guerre qui écrase son pays natal sous la botte des feldgrau de l'Allemagne nazie. L'Europe est plongée dans la dévastation. Pourtant, lui n'accable pas l'espèce humaine. Il est convaincu que l'homme, fût-il allemand, n'est pas responsable de son malheur : "Mon Dieu, est-ce vraiment Toi qui tire les ficelles. Comment peux-Tu ? Comment peux-Tu ? "

Au comble de la détresse, Romain Gary condamne la guerre à sa manière. Il ne s'épanche pas sur le sort des victimes. Ne Console ni ne plaint. Il ne vilipende pas non plus les traitres et les bourreaux. Il use du subterfuge de la déraison pour les engloutir dans le grand tourbillon du ridicule. Tel sergent décore de sa croix de fer la neige pour saluer son rôle dans le sort des batailles. Tel général soviétique se fait tirer l'oreille pas son petit caporal de père. Tels soldats allemands chevauchent des troncs d'arbres dans un ballet nautique délirant sur la Volga.

1943 ! L'issue de la guerre n'est pas encore envisagée. Quand sa ville natale est le théâtre des exactions qui banalisent la mort, Il lance ce "cri désespéré qui semble clamer d'avance la certitude de l'échec, la vanité de toute tentative, le deuil fatal de tout espoir humain."

La Bataille de Stalingrad sera peut-être un tournant. C'est la première fois que l'armée allemande est tenue en échec. Janek a alors 15 ans, son père l'a mis à l'abri dans une cache souterraine. Les événements le dépassent, mais les épreuves le rattrapent et lui volent sa jeunesse. Une maturité venue trop vite le jette dans l'action. Il rejoint un groupe de partisans qui se cache au coeur de la forêt.

"Education européenne, pour lui ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes…". C'est cet énorme gâchis que Romain Gary dénonce. Mais il le dit et le répète : "Ce n'est pas la faute des hommes. C'est la faute à Dieu."

1943 ! Il faut se mettre dans la peau de cet homme, auteur au succès encore en devenir, qui a choisi de combattre avec les Forces françaises libres. Alors que le bout du tunnel n'est pas en vue, il prend la plume pour crier l'absurdité de la guerre, tout en rejetant le défaitisme. N'a-t-il pas choisi la lutte, en contradiction avec ses convictions humanistes.

A contre-courant du catastrophisme général, il se force à envisager un sursaut de sagesse. C'est pour cela que Janek rencontre l'amour au coeur de l'hiver et de la misère, au fond de son trou dans la forêt, quand un sac de pommes de terre est une manne tombée du ciel. C'est pour cela qu'il arrache Zosia à son commerce infâme qui lui fait vendre son corps à l'ennemi pour la bonne cause.

Roman noir écrit au plus profond de la guerre, mais roman d'espoir quand même. La raison des hommes triomphera de la déraison dans laquelle les plonge son Créateur. La démence déploie ses ailes dans des chapitres qui tirent en longueur. Mais n'est-ce pas cela cette guerre qui n'en finit pas et qui ne peut être qu'oeuvre de folie. Ne sommes-nous pas 1943 ?
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En effet, dès que les maquisards apprenaient que leurs filles, sœurs, épouses, fiancées avaient été livrées au plaisir des soldats allemands et malgré les efforts désespérés de leurs chefs pour les retenir, ils sortaient de la forêt et se jetaient au secours de leurs femmes ce qui était exactement ce que l'ennemi escomptait. On n'avait qu'à fumer tranquillement une cigarette derrière sa mitrailleuse, en attendant que des hommes rendus à demi fous par le désespoir se ruent à l'assaut, se présentant dans la ligne de mire à l'endroit précis où tout était prêt pour les accueillir. Ce plan avait partout donné de bons résultats mais avec les Polonais qui avaient le sens de l'honneur masculin particulièrement chatouilleux, il était pour ainsi dire infaillible.

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 A quoi sert-il de lutter et de prier, d'espérer et de croire ? Le monde où souffrent et meurent les hommes est le même que celui où souffrent et meurent les fourmis : un monde cruel et incompréhensible, où la seule chose qui compte est de porter toujours plus loin une brindille absurde, un fétu de paille, toujours plus loin, à la sueur de son front et au prix de ses larmes de sang, toujours plus loin ! sans jamais s'arrêter pour souffler ou pour demander pourquoi...  
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La vérité, c'est qu'il y a des moments dans l'histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l'homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d'une cachette, d'un refuge.
Ce refuge, parfois, c'est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre ...
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Il lui arrivait souvent d'appuyer sa main contre l'écorce dure et rassurante d'un arbre et de lever les yeux vers lui avec gratitude, et il s'était même lié d'amitié avec un très vieux chêne, certainement le plus beau, le plus puissant de la forêt, dont les branches s'ouvraient au dessus de Janek comme des ailes protectrices. Le vieux chêne murmurait et grommelait sans cesse et Janek essayait à comprendre ce qu'il cherchait à lui dire; il y avait même des moments de naïveté, dont il avait un peu honte, lorsqu'il attendait que le chêne lui parlât d'une voix humaine. Il savait bien que c'étaient là des enfantillages indignes d'un partisan, mais ne pouvait s'empêcher parfois de se serrer contre le vieil arbre, d'attendre, d'écouter, d'espérer.
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Comment le peuple allemand peut-il accepter cela? Pourquoi ne se révolte t il pas ? Pourquoi se soumet il à ce rôle de bourreau? Sûrement des consciences allemandes, blessés , bafouées, dans ce qu'elles ont de plus élémentairement humains, se rebellent et refusent d'obéir? Et bien là dessus un jeune soldat allemand est venu ici, dans la forêt. Il avait déserté . Il venait se joindre à nous, se mettre de notre côté, sincèrement, courageusement. Il n'y avait aucun doute là-dessus : c'était un pur. Ce n'était pas un membre du Harrenvolk : c'était un homme. Il avait suivi l'appel de ce qu'il y avait de plus simplement humain en lui arrachant son étiquette de soldat allemand. Mais nous n'avions d'yeux que pour ça, pour l'étiquette. Nous savions tous que c'était un pur. On la sent la pureté, lorsqu'on la rencontre. Elle vous crève les yeux, dans toute cette nuit. Ce garçon était un des nôtres, Mais il y avait l'étiquette. Nous l'avons fusillé. Parce qu'il avait cette étiquette sur le dos: Allemand. Parce que nous en avions une autre: Polonais. Et parce que la haine habitait nos coeurs. Quelqu'un lui avait dit en matière d'explication ou d'excuse, je ne sais: "c'est trop tard". Mais il avait tord. Ce n'était pas trop tard. C'était trop tôt.
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"Un monument ! Une biographie indispensable pour (re) découvrir Romain Gary, cet auteur incroyable ! " - Gérard Collard.
Dans le Jongleur, Agata Tuszyska peint un portrait unique de Romain Gary, unique auteur à avoir reçu deux fois le Prix Goncourt (pour Les Racines du Ciel et La Vie devant soi), diplomate, scénariste, pilote de guerre, voyageur; et montre comment son personnage va au-delà des limites de la pirouette artistique et des responsabilités humaines.
À retrouver en librairie et sur lagriffenoire.com https://lagriffenoire.com/le-jongleur.html
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