Puisque c'est ainsi. Puisque le temps sépare ceux qui s'aiment et que rien ne dure.
On ne peut pas grandir dans une maison où les gens ne s'aiment plus, si?
Non. On ne peut pas. Pousser peut-être mais pas grandir.
Il y a plein de choses dans notre tête. (...) Il y a de la musique et des écrivains. Des chemins, des mains, des tanières. Des bouts d'étoiles filantes recopiés sur des reçus de carte bleue, des pages arrachées, des souvenirs heureux et des souvenirs affreux. Des chansons, des refrains sur le bout de nos langues. Des messages archivés, des livres massues, des oursons à la guimauve et des disques rayés. Notre enfance, nos solitudes, nos premiers émois et nos projets d'avenir. Toutes ces heures de guet et toutes ces portes tenues. (...) nos fantasmes de provinciaux et nos veilles d'examen. (...) L'odeur de poussière et de pain sec des chevaux, le soir, quand nous descendions du car. Les Lalanne dans leurs ateliers séparés par un jardin. (...) Toutes ces bêtises, tous ces remords, et nos bulles de savon à l'enterrement du parrain de Lola...
Nos amours perdus, nos lettres déchirées et nos amis au téléphone. Ces nuits mémorables, cette manie de toujours tout déménager et celui ou celle que nous bousculerons demain en courant après un autobus qui ne nous aura pas attendus.
Tout ça et plus encore.
Assez pour ne pas s'abîmer l'âme. Assez pour ne pas essayer de discuter avec les abrutis. Qu'ils crèvent. Ils crèveront de toute façon. Ils crèveront pendant que nous serons au cinéma.
Ensuite on s'est raconté des trucs de soeurs. Je passe cette scène-là. Il y a trop de codes, de raccourcis et de hennissements. Et puis sans le son ça ne rend rien.
Les soeurs comprendront.
Mon frère ne s'énerve jamais, ne dit jamais de mal de personne, ne connaît pas la malveillance et ne juge pas son prochain. Mon frère est un mutant.
Ce que nous vivons là, c'était un peu de rab. Un sursis, une parenthèse, un moment de grâce.Quelques heures volées aux autres...Pendant combien de temps aurions-nous l'énergie de nous arracher ainsi du quotidien pour faire le mur? Combien de permissions la vie nous accorderait-elle encore?
Elle avait tout, comme on dit. Comme les imbéciles disent.
- Hé! tu connais celle du mec qu'à cinq bites ?
- Euh ... Non. Je n'ai pas cette chance.
- Donc c'est un mec, il a cinq bites.
Silence.
- Et alors ? je demande.
- Alors son slip lui va comme un gant.
Au secours.
Ma belle-soeur Carine a fait pharmacie mais préfère qu'on dise médecine, donc elle est pharmacienne mais préfère qu'on dise pharmacien, donc elle a une pharmacie mais préfère qu'on dise officine.
Elle aime bien se plaindre de sa comptabilité au moment du dessert et porte une blouse blanche de chirurgien boutonnée jusqu'au menton avec une étiquette thermocollante où son nom est écrit entre deux caducées bleus.
Aujourd'hui, elle vend surtout des crèmes raffermissantes pour les fesses et des gélules au carotène parce que ça rapporte plus, mais préfère dire qu'elle a optimisé son secteur para. p.11
" On ne peut pas grandir dans une maison où les gens ne s'aiment plus, si?
Non. On ne peut pas. Pousser peut-être mais pas grandir. "