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EAN : 9782228882163
208 pages
Payot et Rivages (25/10/1989)
4/5   4 notes
Résumé :
Pour l'homme moderne, la coïncidence va de soi entre souveraineté politique et communauté de culture. Or le nationalisme n'est pas un effet de l'existence des nations, ce sont les nations qui sont le produit du nationalisme. Le principe un État, une culture ne s'explique ni par l'idéologie ni par la psychologie, il ne renvoie pas à quelque archaïsme de l'âme des peuples ou des individus. L'État-nation surgit de conditions particulières : les sociétés modernes ne peu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le nationalisme vise à superposer les frontières d'un système politique et celles d'un groupe social dont les membres partagent la même culture et se reconnaissent mutuellement membre de cette culture, de ce groupe - que l'on appelle nation. Il faut donc un État pour parler de nationalisme - et l'Etat naît des besoins de la société industrielle d'organiser en conséquence du développement de la division du travail la mobilité de ses membres d'une fonction sociale à une autre. de même, il faut une nation - et la nation se forme par la partage des revendications identitaires d'une population d'une même culture, elle-même issue des besoins de communication accrue de la société industrielle de ses membres entre eux qui trouve une réalisation dans la centralisation et de l'universalisation du système éducatif. le nationalisme est donc un produit de la société industrielle.

Tandis que dans les sociétés agraires, pré-étatiques, les groupes humains vivent séparés les uns des autres et s'autoreproduisent sans se mélanger, ignorant l'intérêt d'une promotion de la communication et l'instauration de valeurs communes, au contraire, le nationalisme s'épanouit dans une société industrielle qui a institutionnalisé l'apprentissage généralisé depuis une langue unique dans le but de favoriser la compréhension des membres entre eux afin de répondre à ses besoins de mobilité puisque la raison analytique a divisé les fonctions sociales à l'infini.

L'égalité, favorisant la mobilité qu'entrave l'inégalité, est également une nécessité de la production industrielle. Homogène, organisée et se reconnaissant le savoir d'un même mode de communication, la société entre dans l'ère nationaliste. L'homme industriel est centralisé, ouvert, fusionne en lui des fonctions diverses et, puisqu'il a abandonné l'idée d'orienter sa vie autour de sa reproduction, comme l'homme agraire, en faveur de sa fonction d'agent social, castré.

La langue n'est pas un critère suffisant pour caractériser une culture, condition de reconnaissance d'elle-même de la nation. Des cultures différentes s'organisent au sein d'une même langue (les Ecossais eux aussi parlent anglais) et beaucoup de langues ne mènent pas son groupe à des luttes identitaires, prémisses de la nation : « les membres de certains groupes seulement éprouvent ce besoin ». On parle de « nationalismes potentiels » quand une culture est susceptibles ou a des velléités de produire ces revendications identitaires et de se constituer en Etat. Il est donc faux de ne faire dépendre le nationalisme que de la violence exercée par un Etat sur un groupe de population en vue de l'homogénéiser : quand une culture se centralise, elle organise le travail et la société et attire nécessairement à elle la main d'oeuvre dont elle a besoin et qui pour la satisfaction de ses propres besoins trouvent un intérêt à adopter cette culture, à s'éduquer en son sein, à en revendiquer son appartenance : « il est fréquent de voir des populations errantes, déracinées, éloignées de leur terre hésitant entre différentes options et envenir à marquer une halte provisoires dans un havre culturel temporaire et transitoire ». Pourtant, hormis l'étendue géographique, l'énergie de ses dirigeants et la fluidité de sa communication depuis son centre, il est difficile de déterminer quel critère favorise le succès de la culture comme catalyseur nationaliste - et quelles cultures imposeront leur nationalisme aux autres. Mais il n'est pas à nier que le nationalisme ne s'impose partout dans le monde comme une forme indépassable d'organisation sociale puisque celle-ci comme celui-là est formée par la formation de la société industrielle.

Une histoire contrefactuelle, ou fiction, allégorique, rend plausible l'hypothèse que le nationalisme produit l'Etat protecteur en réponse à la misère sociale provoquée par le passage de la société agraire à la société industrielle et qu'il le fait en valorisant le mode de vie des populations opprimées : le local remonte à la surface et organise désormais dans une langue unique la société sur fond d'une revendication généralisée d'appartenance culturelle. Tout s'inverse : l'éducation ne vise plus à souligner les différences culturelles (de la classe dominante), mais l'égalité des sociétaire à servir l'Etat et l'avantage d'une communication uniformisée et du rejet de la discrimination. Cette extension de la mobilité, de l'éducation et de l'anonymat est l'entropie du nationalisme. Les obstacles à l'entropie sont sources de fractures. le fédéralisme, qui accorde une autonomie à des populations sans Etat revendiquant une identité de type nationaliste, est une solution politique qui admet une place institutionnelle à l'obstacle entropique. Comme l'Eglise assemble les différences culturelles dans la société agraire, l'Etat organise la mobilité dans la société industrielle.

Gellner établit une typologie de 8 situations sociales que « produit et contrecarre le nationalisme » - selon que le groupe dominant ou le groupe dominé a accès à l'éducation et qu'ils sont de la même culture ou non. Et pour l'avenir, il envisage le maintient des différences culturelles et un amoindrissement des tensions internationales : « La société industrielle récente […] peut avoir l'espoir d'être une société dans laquelle le nationalisme persiste mais sous une forme atténuée et moins virulente ».
Sinon, il s'oppose aux associations que Kedourie fait entre Hegel, Kant et le nationalisme.

Le texte est très accessible et l'originalité d'un nationalisme comme création culturelle de la société industrielle pour sa propre organisation est suffisante pour en justifier la lecture. Des fictions simplifient le propos sans vraiment l'abêtir et donne du crédit à l'idée d'une « vérité » nationaliste « produite » pour rendre admissible la nouvelle organisation sociale (on parle bien ailleurs de romans nationaux). Les explications de la difficile association entre sociétés musulmanes et nationalisme m'ont en revanche en partie échappé. Les perspectives d'avenir sont à la fois superficielles et sensées puisque l'affaiblissement des conflits engagés au nom du nationalisme ne mènent pas à sa résorption et font penser au thème contemporain du post-nationalisme et du cosmopolitisme. En points négatifs, le propos se répète un peu et l'édition n'est pas exempte de coquilles.
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Cette nouvelle forme de mobilité a pour conséquence immédiate une certaine forme d'égalitarisme. La société moderne n'est pas mobile parce qu'elle est égalitaire; elle est égalitaire parce qu'elle est mobile. De plus, elle doit être mobile, qu'elle le veuille ou non, parce que la satisfaction de ce terrible et insatiable appétit de croissance économique l'exige.

Une société qui est destinée à jouer en permanence au jeu des chaises musicales ne peut pas ériger de fortes barrières de rang, d'ordre ou de caste, entre les diverses séries de chaises qu'elle possède. Cela entraverait la mobilité mais puisque celle-ci existe, conduirait à des tensions insupportables. Il est possible aux hommes de supporter d'effrayantes inégalités si elles sont stables et sont consacrées par la coutume. Mais dans une société terriblement mobile, la coutume n'a pas le temps d'auréoler quoi que ce soit. Pierre qui roule n'amasse pas d'aura, et une population mobile ne permet pas à une aura de se fixer sur sa stratification. La stratification et l'inégalité existent vraiment, et parfois sous leur forme extrême. Néanmoins, elles ont une qualité discrète et voilée, atténuée par une sorte de gradation des distinctions dues à la richesse et à la position, un manque de distance sociale et une convergence des modes de vie [... ]
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C'est le nationalisme qui crée les nations et non pas le contraire. Il faut convenir que le nationalisme utilise la prolifération des cultures et des richesses culturelles préexistantes que l'histoire lui laisse en héritage, même si son utilisation est très sélective et qu'il procède très souvent à leur transformation radicale. Il peut faire revivre des langues mortes, fabriquer des traditions, réhabiliter des objets dont la pureté et la perfection sont tout à fait fictives. L'ardeur nationaliste a, du point de vue culturel, un caractère créatif, imaginatif et très inventif.
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On pourrait procéder à une nouvelle formulation de l’ensemble de notre raisonnement. L’industrialisation engendre une société mobile avec une homogénéité culturelle et qui, par conséquent, nourrit des exigences et des aspirations égalitaristes comme il n’en existait pas, en général, dans les sociétés stables, stratifiées, dogmatiques et absolutistes. Parallèlement, la société industrielle produit, dans les premiers temps, ses propres inégalités très vives et sensibles. Ces inégalités sont terribles à plus d’un titre : elles s’accompagnent de perturbations considérables, et les moins favorisés, au cours de cette période, ont tendance à être d’une pauvreté non seulement relative mais aussi absolue. Dans cette situation où l’on retrouve côte à côte des attentes égalitaires, un monde inégalitaire, la misère mais aussi, déjà, la formulation d’un désir d’homogénéité culturelle, qui n’est pas encore accomplie, les tensions politiques latentes sont aiguës et acquièrent une réalité manifeste si elles peuvent s’appuyer sur des symboles et des signes diacritiques susceptibles de marquer la séparation entre les gouvernants et les gouvernés, les classes favorisées et les classes défavorisées [comme la langue, le racisme, la culture].
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Au vu de la plupart des critères retenus, la société industrielle est probablement la société la plus hautement spécialisée de tous les temps ; et son système éducatif est incontestablement le moins spécialisé, le plus universellement standardisé qui ait jamais existé. La plupart de la totalité des enfants et les adolescents reçoivent la même formation ou la même éducation jusqu’à un âge étonnamment avancé. Les écoles spécialisées ne jouissent d’une bonne réputation que dans la mesure où elles concluent le processus éducatif, à condition qu’elles viennent parachever une longue éducation spécialisée dispensée antérieurement. Ainsi, les écoles spécialisées qui s’adressent à des étudiants plus jeunes et qui prennent place plutôt dans la formation sont entachées d’une mauvaise réputation.
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Grâce à la relative stabilité des sociétés agro-lettrées, des séparations nettes au sein de la population en ordres, castes ou millets, peuvent être constituées et maintenues, sans frictions insupportables. Au contraire, en extériorisant les inégalités, en les rendant absolues et en y souscrivant, elles les consolident et les rendent acceptables en les dotant d'une aura d'inéluctabilité, de permanence et de naturel. Ce qui est inscrit dans la nature des choses et est éternel ne saurait être hostile à la personne ou à l'individu, ni psychiquement intolérable.

En revanche, dans une société qui est structurellement mobile et instable, il est difficile de supporter les barrages sociaux qui séparent les différents niveaux. Ils sont sans cesse sapés par des courants puissants de mobilité. Contrairement à ce que le marxisme a fait croire aux gens, c'est la société préindustrielle qui se voue à la différenciation horizontale au sein des sociétés, alors que la société industrielle renforce les démarcations entre les nations plutôt que celles entre les classes.
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