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EAN : 9782070407873
130 pages
Gallimard (12/03/1999)
4.18/5   133 notes
Résumé :
C'est en prison, provoqué par des camarades de cellule qui s'essayaient à imaginer de médiocres pièces sentimentales, que Genet rédigea les strophes du«Condamné à mort»et la dédicace en prose à Maurice Pilorge. En prison aussi qu'il écrivit«Marche funèbre»,«La galère»,«La parade». Autant de poèmes qui sont comme des ex-votos ou comme des bouteilles à la mer.
Que lire après Le Condamné à mort et autres poèmes, suivi de ' Le Funambule'Voir plus
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Difficile de prendre la plume et d'écrire son ressenti après la lecture d'un tel recueil, la poésie de Jean Genet est comme un tison incandescent qu'on ne pourrait s'empêcher de toucher malgré la menace de brûlure qu'il représente, elle a l'attrait du vide, elle opère la même fascination étrange que la lumière chez le papillon de nuit, la conscience du danger mais une irrépressible et fatale attraction.

Il faut laisser passer un peu de temps puis reprendre le recueil, le feuilleter au hasard et se laisser de nouveau happer ça et là par la beauté des phrases, on pourrait même dire se laisser culbuter par les mots, tant cette poésie virile au charme vénéneux peut se révéler troublante, tant elle vous désarçonne et vous terrasse - chevalier de l'apocalypse aspirant au sublime - par la puissance d'un vocabulaire à la fois lyrique et cru, emphatique et osé.

De l'audace, il y en a à foison chez Jean Genet surtout lorsqu'on imagine le contexte dans lequel ces vers ont été écrits et aussi à qui ils ont été adressés, «Maurice Pilorge, assassin de vingt ans »…
C'est en effet incarcéré à Fresnes dans les années 1940, que Jean Genet rédige le plus grand nombre des poèmes composant le recueil, dont le long chant d'amour qui lui donne son titre, datant de 1942, « le condamné à mort ».

Un poème superbe qui chante l'amour homosexuel avec une force incomparable et une liberté dans le ton et le choix des termes employés foncièrement remarquables.
En homme fou, passionné, ardent, épris d'un autre garçon, Jean Genet, brisant les chaînes des préjugés et de la « bien-pensance », laisse éclater son écriture vibratoire avec pour seule contrainte la recherche du Beau dans la fascination du Mal.

Il y a de la bestialité, une animalité sensuelle ; il a des muscles et des marins, du sang et des morsures, de la mort, des barreaux, des voiles au vent, tout un univers d'hommes et de fantasmes masculins, qui vous fauchent, vous bousculent, vous remuent, au gré d'une langue déliée et libérée, à la fois intense et licencieuse, indécente et impudique, mais paradoxalement tout aussi châtiée, maîtrisée et classique.

Ici, l'ange côtoie le démon. de leur accouplement torride et frénétique naît une poésie émancipée et corrosive dépourvue cependant du moindre aspect graveleux.
Rien n'est trivial chez Jean Genet. Si l'ensemble est irrévérencieux, on est bien au-delà de la vulgarité. Car ses mots savent aussi se charger de tendresse, de vénération et de souffrance lorsqu'ils évoquent le beau voyou au corps d'éphèbe et au coeur assassin, lorsqu'ils crient son amour impuissant et brûlant ou lorsqu'ils invoquent, avec tous les accents de la passion et de la séduction, la « Divine canaille » dont la tête va être tranchée.

Rares sont les poètes qui ont su concilier avec une telle force et une telle insoumission, les beautés et les valeurs de la langue française et de la poésie classique avec les aspects les plus crus de la nature humaine. Rares sont ceux qui ont pu faire l'éloge des corps et des attributs masculins avec tant d'aplomb et d'harmonie.
Ange dévoyé, Jean Genet, se confronte à sa part d'ombre et puise dans l'attrait du mal, la révélation d'un esthétisme aussi farouche qu'empli de grâce.

Pour autant, les poèmes, chants poétiques et textes en prose qui composent le recueil (Marche funèbre, La galère, La parade, le funambule) ne sont pas toujours aisément abordables. le sens de certains d'entre eux, citadelle de mots aux abords imprenables, peut se révéler sibyllin voire carrément hermétique parfois à appréhender.
Néanmoins, Jean Genet demeure un poète incontournable du 20ème siècle dont l'oeuvre impertinente mérite que l'on y revienne fréquemment et que l'on s'y attarde encore et encore et encore…
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Recueil de poèmes de Jean Genet.

Le condamné à mort est dédié « à Maurice Pilorge, assassin de vingt ans ». C'est un long poème qu'un amant adresse à son aimé, séparé de lui dans une autre cellule. Cette élégie carcérale, ce sont les dernières amours d'un condamné. « Tristesse dans ma bouche ! Amertume gonflant / Gonflant mon pauvre coeur ! Mes amours parfumées / Adieu vont s'en aller ! / Adieu couilles aimées ! / Ô sur ma voix coupée adieu chibre insolent ! » (p. 13) Aucun remords ou aucun repentir : la faute de l'amant condamné n'est rien, elle compte pour rien : seule vaut l'insolente beauté et l'arrogante jeunesse que l'amant poète ne cesse de célébrer, les érigeant en raisons, en excuses, voire en alibis. « Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour. / Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes. / On peut se demander pourquoi les Cours condamnent / Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour. » (p. 18)

Dans ses autres poèmes, s'il fait référence à l'amant coupable, Jean Genet célèbre surtout les amours homosexuelles, entre félicité et douleur, comme le sont toutes les amours. « J'arrive dans l'amour comme on entre dans l'eau, / Les paumes en avant, aveuglé, mes sanglots / Retenus gonflent d'air ta présence en moi-même / Où ta présence est lourde, éternelle. Je t'aime. » (p. 84) le poète peint des tableaux où l'érotisme, voire la pornographie, se font poétiques. Mais le lyrisme reste toujours canaille et gouailleur. Sous des dehors très classiques où l'alexandrin s'installe confortablement dans des quatrains, rien n'est sage. le poète ne maîtrise les règles de l'art que pour mieux s'en jouer. Ainsi, les rimes embrassées font des pieds de nez aux murs qui séparent les amants et les rejets en début de vers sont autant d'éjaculations audacieuses.

Dans le funambule, c'est à Adballah qu'il s'adresse, son jeune amant artiste. « Ce sont de vains, de maladroits conseils que je t'adresse. Personne ne saurait les suivre. Mais je ne voulais pas autre chose : qu'écrire à propos de cet art un poème dont la chaleur montera à tes joues. Il s'agissait de t'enflammer, non de t'enseigner. » (p. 127) Ce poème en prose est un appel à l'humilité du funambule qui ne doit être superbe que sur son fil. Et l'osmose doit être parfaite entre l'homme et l'objet. « Cet amour – mais presque désespéré, mais chargé de tendresse – que tu dois montrer à ton fil, il aura autant de force qu'en montre le fil de fer pour te porter. Je connais les objets, leur malignité, leur cruauté, leur gratitude aussi. le fil était mort – ou si tu veux, muet, aveugle – te voici : il va vivre et parler. » (p. 107)

Ce recueil, je le lis et le relis depuis des années. Je n'avais pas encore osé en parler sur ce blog. Oh, ce n'est pas par pudibonderie devant le sujet. C'était plutôt l'aveu de mon incapacité à parler suffisamment bien de ces textes superbes. Maintenant que ce billet est écrit et publié, j'ai honte de mes mots si plats qui rendent si mal hommage à la sublime prose poétique de Jean Genet. Je lis peu, très peu de poésie, mais celle-ci me berce depuis longtemps.
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Sur ce blog, ces dernières années, il s'est passé un truc étrange : j'ai régulièrement causé de poésie – allons bon. Mais essentiellement de poésie japonaise, certes… Il m'a pour ce faire bien fallu abandonner ma pose de gazier totalement hermétique aux vers, même si chroniquer de la poésie demeure quelque chose de très compliqué pour moi – au point où j'ai parfois déclaré forfait : tout récemment encore, j'ai poursuivi contres vents et marées mes tentatives en matière de haïkus, en lisant le recueil Cent Sept Haiku de Shiki chez Verdier, mais, à l'évidence, je n'y étais pas le moins du monde sensible et n'avais absolument rien à en dire… Aussi n'en ai-je rien dit. Je n'en ai cependant pas fini avec la poésie japonaise, loin de là : j'ai récemment entamé les Cheveux emmêlés de Yosano Akiko, qui me parlent bien davantage ! Et j'ai encore d'autres recueils, de poésie classique notamment, à lire…



Mais au-delà du Japon ? Les chroniques sur ce blog se font plus chiches, même si je peux avancer çà et là quelques belles pièces, comme le Fou de Laylâ de « Majnûn », ou, dans un registre diamétralement opposé, mettons Plouk Town de Ian Monk. N'empêche que mes lacunes sont énormes – et tout spécialement en matière de poésie française, en fait, si, ado, je n'étais pas insensible à Rimbaud ou Baudelaire, surtout (forcément : j'étais un ado), éventuellement Victor Hugo aussi (quelle originalité !). Et je me suis dit qu'il était bien temps d'essayer d'y remédier un chouia. En fait, je pense procéder chronologiquement, sur la base d'anthologies le plus souvent, partant mettons de François Villon pour avancer tranquillement jusqu'à nos jours.



Mais les anomalies chronologiques, des fois, c'est bien, et, tombant sur ce recueil de Jean Genet, je me suis dit que je pouvais aussi bien commencer par là. Ceci, même si (ou justement parce que) je ne savais pas grand-chose de Jean Genet, pour ne l'avoir jamais lu. Oh, j'avais quelques très vagues aperçus de sa vie (je savais du moins qu'il était homosexuel et qu'il avait multiplié les séjours en prison, pour des délits de droit commun), quelques titres de ses oeuvres majeures ne m'étaient pas totalement inconnus (Notre-Dame-des-Fleurs en tête, mais aussi le présent le Condamné à mort, si c'est un titre davantage passe-partout), ce genre de choses, mais guère plus. Quelques citations pourtant – car, sans le savoir, ce fameux quatrain du Condamné à mort, je le connaissais bien avant d'entamer la lecture de ce recueil (p. 18) :



Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.

Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.

On peut se demander pourquoi les Cours condamnent

Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.



Ceci dit, l'oeuvre poétique de Genet, qui fut surtout connu pour être un romancier, un dramaturge, et plus tard disons un pamphlétaire, cette oeuvre poétique donc est relativement restreinte : tout tient dans ce petit recueil, et encore, en relevant que « Le Funambule », qui le conclut, est un texte assez inclassable, tandis que l'attribution à Genet des « Poèmes retrouvés » anonymes, si elle est probable, n'est semble-t-il pas totalement assurée. Par ailleurs, il faut relever que l'essentiel de cette production poétique date des années 1940, soit le tout début de la « carrière » de Genet, si c'est bien le mot, car il était alors en prison et les premières « publications » de ces vers étaient « hors commerce » (doux euphémisme ?), avant d'être reprises par les éditions de L'Arbalète – là encore, « Le Funambule » est une exception, un texte bien plus tardif puisque écrit en 1957 et publié l'année suivante.



Mais, en ce qui me concerne, « Le Condamné à mort » et « Le Funambule » sont bien les pièces maîtresses de ce petit recueil.



Et « Le Condamné à mort » est bien le plus célèbre de ces poèmes – au-delà du seul quatrain cité plus haut. À vrai dire, je ne suis pas tout à fait certain de comment il faut l'aborder – notamment au regard de cette anecdote voulant que Genet ait écrit ce poème en réaction au poème d'un autre prisonnier, qu'il trouvait médiocre : quelle est alors la part d'exercice de style ? Notamment au regard de la forme somme toute très classique de ce poème, essentiellement composé de quatrains d'alexandrins à vue de nez (sauf à la toute fin) – tous les autres poèmes de ce recueil tendront à se montrer souvent bien plus libres, et leur propos en même temps que leurs images souvent autrement obscurs, avec quelque chose de surréaliste je suppose, à la limite de l'écriture automatique parfois, là où « Le Condamné à mort » brille entre autres par sa limpidité… et le cas échéant sa crudité.



Car ce « chant d'amour » à un « assassin de vingt ans » du nom de Maurice Pilorge (que Genet avait connu en prison et qui avait été guillotiné en 1939, le poème n'étant rédigé qu'en 1942), ce chant relativement sage dans sa métrique et (certaines de) ses images, combine avec audace l'élégance formelle de la poésie classique et la pornographie homosexuelle la plus explicite. D'un vers à l'autre, le raffinement poétique le plus sensible cède le pas à la bifle agrémentée d'éructations ordurières. En fait, l'entrelacement de ces vers que tout serait supposé opposer produit un effet singulier, chaque rupture renforçant paradoxalement l'unité de l'ensemble : la gorge de l'amant noyée de sperme rend ce qui précède et ce qui suit plus élégant par contraste, tandis que la perfection des alexandrins les plus classieux jouit de s'abandonner à la pornographie la plus crue.



Sur ce point, et sur un certain nombre d'autres, « Le Condamné à mort » sinon Genet de manière générale (car je ne peux certes pas me permettre d'en dire quoi que ce soit de « général » après la seule lecture de ce petit recueil), ce long poème aussi beau que sordide, et très contrasté, ne manque pas de m'évoquer le marquis de Sade, ses écrits les plus « ésotériques » au premier chef, encore que la savoureuse hypocrisie des versions les plus « soft » de Justine ait quelque chose à y voir.



Maintenant, la parenté éventuelle entre les deux auteurs, au regard en tout cas du « Condamné à mort », va au-delà, je suppose – et même au-delà de ce seul point commun de l'oeuvre écrite en prison, si ça n'est pas négligeable et a son impact sur ce qui va suivre : c'est qu'il y a ici quelque chose d'une « littérature du mal », ou peut-être du péché, et « qui sent un peu le soufre » (avec beaucoup, beaucoup de guillemets pour toutes ces expressions, d'autant que le propos moral n'est pas absent du poème et semble-t-il d'un certain nombre au moins des écrits ultérieurs de Saint Genet, comédien et martyr, comme l'appelait Sartre), quelque chose en tout cas qui fait bien plus que subvertir les formes littéraires et l'expression poétique de l'amour, du désir et de la jouissance ; on ne saurait en effet mettre de côté le fait que le dédicataire du poème, Maurice Pilorge, s'il était « si beau qu'il en [faisait] pâlir le jour », n'en était pas moins, donc, un assassin. Pas un innocent victime d'une erreur judiciaire – quelqu'un dont le crime était avéré, qui n'avait pas suscité chez le criminel le moindre remords, et qui était rendu plus navrant encore par le fait qu'il avait porté sur un ami/amant, et impliquait une somme d'argent parfaitement dérisoire… Or Genet n'en fait pas mystère – en fait, non seulement il ne nie pas le crime, mais je suppose qu'il y voit quelque chose de nature à embellir encore Pilorge, et c'est là que se situe éventuellement une ambiguïté éthique.



Par ailleurs, ce poème, et d'autres qui suivront, et qui développeront encore cet univers de la prison, du bagne et de la guillotine, ne me paraissent pas forcément constituer des réquisitoires contre la peine de mort ? Notre-Dame-des-Fleurs s'ouvre sur une évocation lapidaire de la dernière exécution publique en France qui a de quoi serrer un peu l'estomac, mais j'ai l'impression que tout cela est plus « factuel » qu'autre chose – et le Genet du « Condamné à mort » n'est pas le Hugo du Dernier Jour d'un condamné (quand bien même il s'engagera radicalement en politique bien plus tard). Peut-être y a-t-il cependant, une dernière fois comme chez Sade, quelque chose qui condamne l'exécution capitale comme un meurtre inacceptable pas tant pour son résultat que pour son caractère froid et dépassionné ? Je n'ose pas m'avancer plus loin sur ce terrain – j'ai probablement écrit beaucoup de bêtises, et surtout n'hésitez pas à éclairer ma lanterne !



Quoi qu'il en soit, « Le Condamné à mort » m'a séduit et même, je crois que le mot n'est pas trop fort, bouleversé. Sa perfection formelle comme son caractère essentiellement subversif m'incitent à y voir une des plus belles oeuvres poétiques que j'ai jamais lu.



Les autres « poèmes de prison » qui complètent ce recueil m'ont dans l'ensemble moins parlé – probablement du fait, pour partie du moins, qu'ils adoptent une forme un peu plus libre, plus « moderne » disons, encore que sans excès, mais, surtout, se montrent régulièrement plus hermétiques, notamment du fait de certaines associations d'idées constituant des images évoquant une forme d'écriture automatique – en fait, de plus en plus à mesure que l'on progresse dans le recueil, ai-je l'impression. « Marche funèbre » et « La Galère » m'ont beaucoup plu, qui poursuivent assez clairement sur la lignée du « Condamné à mort », jusque dans la référence affichée à Maurice Pilorge parfois, tout en témoignant d'évolutions marquées ; « La Parade » et « Un chant d'amour » me paraissent encore franchir une étape, et « Le Pêcheur du Suquet » une autre encore, mais, tout en reprenant çà et là quelque chose de la pornographie du « Condamné à mort », en développant peut-être une veine plus singulière, qui annoncerait le cas échéant, avec une dizaine d'années d'avance, « Le Funambule » (sans me convaincre autant que ces deux oeuvres toutefois). Je dois avouer cependant avoir été totalement insensible aux « Poèmes retrouvés », des pièces généralement brèves, et qui jouent éventuellement avec la typographie, sur un mode un peu trop obscur pour vraiment me parler.



Cependant, le recueil se conclut sur une dernière (longue) oeuvre magistrale : « Le Funambule ». On l'a fait figurer dans ce recueil au motif qu'il s'agirait d'un long poème en prose – peut-être est-ce bien le cas, mais ce texte à part est assez rétif à la classification, on pourrait tout aussi bien y voir une sorte d'essai philosophique, ou une brève pièce de théâtre, voire le motif d'une performance artistique, et probablement d'autres choses encore.



Le contexte également distingue cette oeuvre de toutes celles qui précèdent. « Le Funambule » est écrit en 1957 – soit une dizaine d'années après tous les autres poèmes figurant dans ce recueil. À cette époque, non seulement Genet est sorti de prison, mais il a été adoubé par l'intelligentsia parisienne, les Cocteau, les Sartre, qui le célèbrent comme un génie, un des plus grands de son temps ; plusieurs de ses oeuvres majeures ont alors eu droit à une « vraie » publication, incluant le poème le Condamné à mort, le roman Notre-Dame-des-Fleurs, ou encore la pièce de théâtre Les Bonnes, qui a été jouée dans une mise en scène de Louis Jouvet (même si elle a davantage suscité le scandale que convaincu la critique à l'époque). Mais cette célébrité soudaine avait eu son effet pervers : accablé par tous ces éloges, et notamment le Saint Genet de Sartre, Genet n'a rien pu écrire pendant une petite dizaine d'années… En fait, « Le Funambule » est peut-être justement le texte qui l'a ramené à l'écriture, suscitant une deuxième phase de sa carrière littéraire.



Enfin, si « Le Funambule » est un nouveau « chant d'amour », il porte sur un dédicataire bien différent de l'assassin Pilorge, s'il s'agit toujours d'un beau jeune homme : l'amant algérien de Genet, nommé Abdallah Bentaga. le couple a beaucoup voyagé à travers toute l'Europe à l'époque, éventuellement contraint et forcé car Genet avait incité son amant à déserter alors que la conscription devait l'amener à se battre en Afrique du Nord française… Et Genet avait des ambitions pour Abdallah : en faire un immense funambule. Abdallah était semble-t-il déjà un artiste de cirque, mais pas forcément dans cet exercice particulier, et cette ambition était clairement celle de Genet, qui lui payait les meilleurs professeurs et songeait à des spectacles uniques qu'il concevrait de bout en bout. Hélas, cet apprentissage s'est avéré douloureux : Abdallah a été victime d'au moins deux accidents assez graves… Et, à terme, ils ont peut-être joué leur rôle, outre la fin de la liaison entre les deux hommes (en 1962 – même si Genet continuait d'entretenir Abdallah et sa mère), dans le suicide de cet amant idéal en 1964. Ce qui contribue sans doute à rendre la lecture du « Funambule » parfois un peu nauséeuse, éventuellement au point d'une nouvelle ambiguïté éthique, voire à nouveau d'une vague « odeur de soufre »… A posteriori, certes. Mais le tragique événement ne serait semble-t-il pas sans affecter Genet – qui n'écrirait dès lors plus de fictions ou de pièces de théâtre jusqu'à sa mort.



Ceci dit, tout cela n'aura lieu que bien plus tard. Quand Genet écrit « Le Funambule », en 1957, sa liaison avec Abdallah est toute fraîche, entamée seulement l'année précédente, et le couple a encore cinq années de vie commune et de voyages devant lui. le texte de Genet n'en est à vrai dire que plus « programmatique ».



À vrai dire, on pourrait être tenté d'y voir une sorte de « discours motivationnel », si cette expression ne renvoyait pas illico aux pires abominations que l'on commet sous l'intitulé « développement personnel ». Genet est de toute évidence bien au-dessus de tout cela, fond et forme, au point où ce qualificatif a quelque chose d'insultant, et cependant il y en a bien quelque chose dans « Le Funambule », je crois..



À ceci près que ce long poème en prose, si l'on tient l'envisager de la sorte, procède selon une logique de ruptures qui peut renvoyer au « Condamné à mort » : l'injonction artistique comme éthique, à dimension spectaculaire dans les deux cas, si j'ose dire, est contrebalancée, ou plutôt étrangement complétée, par un discours davantage nihiliste, parfois à la limite du pamphlet ; il apparaît en tout cas clairement que, dans le propos de Genet, l'accident et la mort sont parties intégrantes du spectacle, voire le fondent.



Et, en cela, assez logiquement pour le coup, le discours du « Funambule » dépasse sans doute le seul cas du jeune fildefériste qui, si j'ose dire là encore, le motive. Il en découle en fait un contenu allégorique marqué, qui interroge aussi bien la vie que l'art, à supposer que les deux doivent être distingués, de manière autrement générale.



Et l'ensemble est absolument parfait – l'élégance des tournures, comme la splendide et spectaculaire profondeur et acuité des images, produisent un texte à nouveau bouleversant et d'une intense beauté.



« Le Condamné à mort » et « Le Funambule » sont bien à mes yeux les pièces maîtresses de ce recueil ; à eux seuls, ces deux textes (assez longs, bien plus que tous les autres) suffisent à en justifier la lecture – et le reste vaut le coup d'oeil, avec une réserve toute personnelle pour les « Poèmes retrouvés ». C'est un livre magnifique, et il était bien temps que je le lise… Et il serait sans doute bien temps de lire désormais d'autres écrits de Jean Genet, en commençant probablement par le roman Notre-Dame-des-Fleurs.



Chroniquer de la poésie demeure un exercice particulièrement compliqué pour moi, et j'ai probablement écrit pas mal de bêtises… Surtout, n'hésitez pas à me reprendre quand c'est le cas !



Mais je vais probablement continuer l'expé
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Genet, Jean Genet. Décorateur de l'enfer. amoureux,épineux, sulfureux.
Si vous lisez Genet, je vous en prie poser vos valises. Elles ne vous serviront pas.
Venez sans bagage, ici ses mots suffisent.
Il n'y a sur ces terres aucune frontière, pas de limite.
L'amour tel qu'il le vit dans un monde de "gens foutre" qui décident de condamner à mort un ange de vingt ans.
Un monde "bien pensant", indécent par sa férocité, sa cruauté.
Genet n'est jamais indécent, ni obscène, aucune vulgarité ne viendra vous heurter.
Il réussit ce qui est sans doute le rôle premier de l'art : transformer le plus noir des enfers en un lit de roses pourpres.
Un conseil : écouter l'album ( originellement mis en musique par Hélène Martin en 1964) : le condamné à mort. Etienne DAHO et de Jeanne MOREAU donnent voix aux textes de Genet. Un moment éblouissant.
"il se peut qu'on s'évade en passant par le toit. On dit que la Guyane est une terre chaude."
http://www.france-info.com/chroniques-france-info-culture-2010-11-19-le-condamne-a-mort-par-jeanne-moreau-et-etienne-daho-498176-81-336.html

Astrid SHRIQUI GARAIN
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L'amour est une drogue accoutumante et morbide

Cette collection de poèmes divers, courts ou longs couvrent une période d'environ une grosse quinzaine d'années qui s'étire de façon concentrée de la France occupée à la France sombrant dans la guerre en Algérie et cherchant une issue, peut-être un salut, dans le retour inopiné bien que programmé de De Gaulle. Une période de déchirements et d'impasses sans issues, comme si ces impasses pouvaient avoir des issues, qui restera dans l'histoire comme l'âge de la résistance victorieuse sombrant dans la quatrième république sans la moindre gloire ni les moindres succès. Ce fut le temps des guerres coloniales dès que la guerre contre l'invasion allemande et nazie fut terminée. Jean Genet représente une page essentielle du kaléidoscope de cette république damnée qui du chiffre quatre n'a retenu que la crucifixion.

Mais la poésie de Jean Genet est surprenante d'impérieux tout autant que périlleux existentiel impérialisme mental survivant à presque deux siècles d'illuminations plus que de lumières d'Encyclopédie et de philosophie trahies dans une dérive dialectique antagonistique sans la moindre issue à son tour sinon une lutte à mort entre un ordre dominant et une vague classe dominée, mal définie et vainement appelée classe ouvrière quand ce ne fut pas prolétariat ou même lumpenprolétariat, un prolétariat en gueilles, en costume totalement déguenillés de forçats mythiques autant que romantiquement romancés en une épopée à la Papillon qui s'envole vers un ciel sans nuages, juste avant la tornade et l'ouragan qui vont déchirer, l'une en 14-18 et l'autre en 39-45, la simple raison humaine pour les intérêts contradictoires de ces deux classes antagoniques posées par Marx, ossifiées par Staline et Hitler, et vaguement tancées par Fritz Lang et son « Metropolis ».

Quand on descend au plus profond de cette crise historique de presque deux siècles, il ne reste que la vision apocalyptique de H.G. Wells, stalinien et eugéniste en diable et sa « Time Machine » héritant de la biologie copulant avec le marxisme de Julian Huxley, en rien régénéré par son fils Aldous Huxley et son « Brave New World » conjugué et décliné de Alpha à Epsilon. Et l'alternative à ces apocalypses est une vision totalement euthanasique et suicidaire de George Orwell et sa « Animal Farm » ou son « 1984 » qui ne laisse à l'avenir que la chance de ne pas être. Et Jean Genet vient nous parler d'amour et de funambulisme.

Pour rendre impossible ce discours d'amour, il l'enferme dans un discours homosexuel totalement et absolument soumis, piétiné, égrugé, pulvérisé, émietté, concassé par un amant qui est si beau, si haut, si distant, si lointain, si méprisant, si inattingible, que l'amour n'est alors plus qu'un simulacre de mort, pire encore, un substitut à la mort maintenue durable non en survie mais en agonie inéluctable.

« Ma tête s'enlisait fétide et solitaire / Au fond des mers du lit du songe des odeurs / Jusqu'à je ne sais quelle absurde profondeur. » (page 54) « Dans l'eau de tes étangs de noirs roseaux se traînent / À ton torse à tes bras se noue un écheveau / de ces rumeurs de mort plus fort que les chevaux / Emmêlés l'un dans l'autre aux brancards d'une reine. » (page 55)

Et de dire à son amant, Guy dans cet instant, « Mais pour me parcourir enlève tes souliers. » (page 66) Il se comparera plus loin à une vulgaire pelouse. Fétichisme pédestre, mais pas le pied qu'il prend, plutôt dans les pieds qui marchent, courent, galopent sur tout son corps. L'amour n'est qu'un quarteron de pattes à sabots en forme de pédicules dactyles de pesants mammifères africains ou asiatiques parcourant sans répit la piste libidineuse et lubrique des désirs charnels de cet amant soumis. il est vrai qu'il les prend si jeunes, que c'est, pour eux, comme une initiation pendant une courte période, puis le désir d'aller voler avec leurs pairs plutôt que ce grand-père, mais il y a chez ce poète une telle morbidité narcissique, que l'amour ne peut lui amener que souffrances et tortures. Mais pire encore il n'est attiré que par des condamnés à mort, des gens qui vont finir sur l'échafaud, la tête sous la guillotine, ou crevant de travaux forcés en Guyane, aidés dans leur passage de bagnard par les moustiques qui leur offrent le paludisme libérateur.

« Que d'ombre à tes pieds tes souliers vernis ! / Tes pieds glacés dans mes étangs de larmes / Tes pieds poudrés et déchaussés de Carme / Éclaboussés de ciel tes pieds bénis / Marqueront ce soir mes blanches épaules. » (page 82)

J'ai rarement rencontré un tel narcissisme morbide, mortifère et disons-le carrément mortuaire, et les brancards de la reine dont j'ai parlé sont des brancards de corbillards. Ce n'est pas tant le crime qui est le leur qui l'attire, mais la souffrance qu'il va rencontrer auprès d'eux, car premièrement ils sont hors d'atteinte dans leurs couloirs de la mort ou de la déportation, deuxièmement ils n'en ont rien à cirer de ce petit poète érotiquement excité, et troisièmement de toutes façons ils sont destinés à mourir rapidement dans la souffrance ou sous la lame de Dame Guillotine, apportant ainsi la privation castrante de l'objet de cet amour du poète.

Et le summum de cette morbidité se trouve dans l'amour qu'il développe pour le funambule. Il pose que le héros n'est pas le funambule, mais le fil d'acier qui doit être apprivoisé par la concentration absolue du funambule sur la danse impossible qu'il va exécuter dans des conditions qui ne mènent naturellement qu'à la chute et la mort sans filet. le funambule doit se retirer en lui-même dans la blessure ancienne qu'il a subie qui lui garantit la solitude absolue dont il a besoin pour pouvoir se réfugier dans le « château de l'âme » (page 112) où il reçoit alors du fil d'acier le privilège de ne pas tomber. Onanisme existentiel que Jean Genet translate sans vergogne en onanisme personnel de la vision du funambule en extase charnelle dans son propre imaginaire érotique comme si le funambule n'était qu'un immense nombril, et quand je dis nombril, qu'il paraderait devant le public, avec l'assentiment du fil d'acier pour jouer le rôle d'une drogue accoutumante que ce public développe et expérimente en excitation pathogène et franchement hormonale car il sait que le funambule le méprise, le rejette, n'a aucun atome crochu ou accroche tordue pour ce public ras du sol, si loin, si bas, si petit et méprisable qu'il peut, lui, le funambule, viser Dieu qui le regarde et l'encourage, pendant que lui, le public, ne rêve que d'une chose, qu'il tombe, lui le funambule, et que la frayeur et l'anxiété hormonale qui lui parcouraient l'échine, les reins et le bas-ventre trouve enfin sa satisfaction dans une livre de chair brisée et un litre de sang versé à la sciure de la piste de ce cirque si inhumain d'être au service de tels fantasmes si humains.

C'est cela Jean Genet. Un délire d'impuissance en définitive amoureuse, justement dans son amour de soumission qui ne lui laisse qu'un seul espoir, celui de mourir d'amour quand le funambule mourra de sa chute à la piste sans filet.

Dr Jacques COULARDEAU

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Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde!
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs,descends, marche léger,
Vole dans l'escalier plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.

Ô traverse les murs; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans, couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
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Transparent voyageur des vitres du hallier
Par la route du sang revenu dans ma bouche
Les doigts chargés de lune et le pas éveillé
J'entends battre le soir endormi sur ma couche.

Votre âme est de retour des confins de moi-même
Prisonnière d'un ciel aux paresseux chemins
Où dormait simplement dans le creux d'un poème
Une nuit de voleur sous le ciel de ma main.
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Le vent qui roule un coeur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.

Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un oeil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
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Mais si je ne sais rien de précis sur la Mort
D’avoir tant parlé d’elle et sur le mode grave
Elle doit vivre en moi pour surgir sans effort
Au moindre de mes mots s’écouler de ma bave.

Je ne connais rien d’elle, on dit que sa beauté
Use l’éternité par son pouvoir magique
Mais ce pur mouvement éclate de ratés
Et trahit les secrets d’un désordre tragique.
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Je ne suis plus qu'amour
Toutes mes hanches brûlent
Si j'obscurcis le jour
En moi l'ombre recule.

Il se peut qu'à l'air pur
Mon corps sec tombe en poudre
Posé contre le mur
J'ai l'éclat de la foudre.

Le coeur de mon soleil
Le chant du coq le crève
Mais jamais le sommeil
N'ose y verser ses rêves.

Séchant selon mes voeux
Je fixe le silence
Quand les oiseaux de feu
De mon arbre s'élancent.

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Vidéo de Jean Genet
Jean Genet, l'auteur des "Bonnes", du "Balcon" ou des "Nègres", s'est inspiré de la vie des autres pour écrire sur la vie des minorités et des opprimés et a fait de personnages réels des personnages de ses fictions. Retour sur l'oeuvre de l'écrivain et dramaturge à travers deux romans : "Mourir avant que d'apparaître" de Rémi David, et "Par-delà l'attente" de l'avocate Julia Minkowski.
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