Je la définissais, dans Nouveau Discours du récit, comme «transgression délibérée du seuil d’enchâssement»; les deux définitions se confondent, puisqu’un récit «enchâssé», ou «second», dans le régime courant (récit du séjour d’Ulysse chez Polyphème, des voyages de Sindbad) résulte d’une représentation narrative assumée par un personnage du récit «enchâssant», ou «premier» (Ulysse chez les Phéaciens, Scheherazade devant le roi Schahriar). Franchir le seuil de cet enchâssement, c’est du même coup franchir le seuil de cette
représentation, comme fait par exemple le Narrateur d’Un amour de Swann en court-circuitant les récits intermédiaires par lesquels il a été informé de cette histoire. C’est ce court-circuit que je qualifiais de «pseudo-diégétique»,ou «métadiégétique réduit», réduction par quoi le narrateur premier, sans autre forme de procès («Ôte-toi de là que je m’y mette», comme il dit en une autre occasion), se substitue à un narrateur second (singulier ou pluriel, et en tout cas anonyme), qu’il évoque de manière évasive et fort embarrassée, une page avant l’ouverture de cet épisode: «[...]ce que j’avais appris, au sujet d’un amour que Swann avait eu avant ma naissance, avec cette précision dans les détails plus facile à obtenir quelquefois pour la vie de personnes mortes il y a des siècles que pour celle de nos meilleurs amis, et qui semble impossible comme semblait impossible de causer d’une ville à une autre tant que l’on ignore le biais par lequel cette impossibilité a été tournée.» Le miraculeux «biais» narratif ici à
l’œuvre est évidemment notre métalepse.
«Ô Ménalque, dit Virgile dans sa IVe églogue,
si nous vous perdions, qui émaillerait la terre de fleurs?
Qui ferait couler les fontaines sous une ombre verdoyante?» – «c’est-à-dire, traduit Dumarsais, qui chanterait la terre émaillée de fleurs? Qui nous en ferait des descriptions aussi vives et aussi riantes que celles que vous en faites? Qui nous peindrait comme vous ces ruisseaux qui coulent sous une ombre verte?».
Je crois raisonnable de réserver désormais le terme de métalepse à une manipulation - au moins figurale, mais parfois fictionnelle [...] - de cette relation causale particulière qui unit, dans un sens ou dans l'autre, l'auteur à son oeuvre, ou plus largement le production d'une représentation à cette représentation elle-même.
Une fiction n’est en somme qu’une figure prise à la lettre et traitée comme un événement effectif.
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Stéphane Hessel et Michel Vinaver
Frédéric Desbordes et Minh Tran Hui et Gérard Genette
Musique : Demi Evans et Cock Robin
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© Des mots de minuit - Juin 2006