Terriblement surannées mais superbement mises en scène les moeurs de cette bonne société anglaise qui reste figée autour de conventions sociales d'un autre âge.
Une petite ville du comté d'Essex au nord-est de Londres. Fin des années 1930.
Deux familles riches, les Wither et les Spring, se partagent la causticité de l'auteure. Les Wither rechignent sur tout le monde et craignent le qu'en-dira-t-on : le père est un affreux grigou, qui ne pense qu'à l'argent et à ce qu'il doit rapporter, la mère respire l'air de son Harpagon de mari car « il y avait tant de choses qu'on ne devait pas dire – presque tout en fait », deux filles oisives, Tina et Madge, aux pensées inutiles, une bru, Viola, jolie mais pas très futée, soudainement veuve, qui vient se réfugier sous leur toit.
Les Spring : une mère corsetée jusqu'au menton qui n'aime rien tant que dépenser son argent dans les boutiques de Londres, organiser des garden-parties somptueuses et déifier son fils, le très beau Victor, homme d'affaire avisé un peu benêt en privé, dont toutes les femmes sont folles, et qui est sur le point de se marier avec une amie d'enfance, Phyllis, la harpie, sans aucune conviction. Une nièce orpheline, Hetty, qui ne vit que par et pour les livres mais qui doit suivre le tempo de la maison.
L'ignorance des filles est soigneusement entretenue, il est mal vu qu'elles s'instruisent. Toutes attendent que quelque chose arrive mais quoi ? Pour Tina, ce sera un mariage d'amour avec le chauffeur. Pour Madge, ce sera un petit chien. Pour Viola, la passion éphémère pour Victor qui la consume. Imaginez la honte absolue du père qui a déjà vu son fils épouser une vendeuse, sa fille son chauffeur, et qui va devoir recevoir la belle-mère, une laveuse braillarde ! Pour Hetty, c'est l'attente de ses vingt-et-un ans et l'espoir d'aller vivre et étudier à Londres, y rencontrer des artistes et des intellectuels.
Quelques bouleversements seront nécessaires pour faire évoluer l'ensemble et c'est ce que réussit pleinement Stella Gibbons en faisant alterner raison et sentiments, dont le meilleur exemple est Tina qui « n'ayant ni religion ni mari ni enfants, devait se raccrocher à quelque chose, et elle essayait de se raccrocher à la psychologie pour lutter contre la rêverie ».
Malgré les apparences, il n'y a aucune mièvrerie dans cette étude de moeurs sucrée et poivrée, l'auteure ayant veillé à reproduire les us et coutumes de son temps de manière aussi réaliste que possible. Stella Gibbons est anglaise, normal que sa plume humoristique suive la même voie. La flagornerie n'est jamais loin ni les commentaires sanglants à propos d'une garden-party ratée ou de la radinerie de M. Wither. le comique de situation tient souvent du vaudeville, vu de nos jours, mais on sent néanmoins la volonté des jeunes femmes de sortir de leur désoeuvrement et du rôle de potiche qui leur est encore dévolu, même si elles ont obtenu le droit de vote en 1928.
En 2013, les Editions Héloïse d'Ormesson ont eu la bonne idée d'exhumer et de traduire cette oeuvre pleine de charme désuet limité à ce petit coin de la campagne anglaise. C'est reposant, frivole et aussi harmonieux que le chant du rossignol.
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Amatrices de Jane Austen , réjouissez-vous, ce roman possède la même atmosphère, le même décor de campagne anglaise, les mêmes riches oisifs qui évoluent de garden-parties, en thés, et autres festivités, les mêmes jeunes filles qui vivent sous la coupe d'un homme en attendant le mariage comme planche de salut . La seule chose de différente , c'est l'époque : nous ne sommes plus sous le règne de la Reine Victoria mais dans les années 1936-37, et donc la société a (un peu !) évolué...
Après un an à peine de mariage , la jeune Viola Wither se retrouve veuve à 21 ans et contrainte financièrement de quitter Londres et de retourner vivre à la campagne chez ses beaux-parents.
Là-bas toute la maison vit au rythme des humeurs de monsieur Wither qui fluctuent en fonction de la bourse . Ce brave homme, oisif, ne pense qu'à l'argent . La mort du fils leur a fait autant de peine qu'un pet de lapin ! Sa femme déploie des trésors de patience et "marche sur des oeufs " , quand à leurs (vieilles ) filles , Madge (40 ans ) et Tina (35ans), , elles vivent au jour le jour en attendant qu'il se passe (enfin ! ) quelque chose ... Rien ne pourrait faire plus plaisir à Madge que d'avoir un chien , et Tina a un gros béguin pour le sublime chauffeur ... Mais une mésalliance est impensable ! le frère avait déjà à moitié déshonoré la famille en épousant Viola, simple vendeuse ... L'arrivée de cette toute jeune fille va légèrement bousculer la torpeur de cette maison ennuyeuse , voisine de celle des Spring , dont la vie n'est qu'un tourbillon de festivités .
Campagne anglaise endormie, position de la femme inféodée à un mari (père ou beau-père), esprit malicieux et taquin , Stella Gibbons marche sur les pas de Jane Austen avec délectation . Dans ce roman sorti en 1938, on sent les frontières entre les différentes classes sociales devenir de plus en plus poreuses , les jeunes filles s'émanciper . Les socialistes pointent le bout de leur nez et la future guerre ne fait qu'un tout petit paragraphe, cette histoire est comme un polaroïd de l'époque... un joli polaroïd !
Mais quelle bonne idée ont eu les éditions Héloïse d'Ormesson de ressortir ce roman délicieux !
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Viola , jeune veuve sans le sou, est contrainte d'habiter avec ses beaux-parents et leurs deux filles célibataires dans leur propriété à la campagne. Très vite, elle se rend compte que la vie ne va pas être toute rose...
Je m'attendais à lire une romance classique dans l'Angleterre de l'entre-deux guerres, mais c'était sans compter le regard sans complaisance de l'auteur vis à vis de ses personnages. Et c'est ce qui m'a plu : Stella Gibbons s'applique à mettre l'accent sur les faiblesses et petits travers de ses héros et héroïnes, parfois jusqu'à la caricature certes, mais c'est plutôt réussi.
L'humour est omni-présent, délicieusement pince-sans-rire, et la "bonne" société de la province anglaise en prend pour son grade : le respect des classes, l'attachement viscéral aux traditions, le conformisme, tout est chamboulé par un souffle de modernisme et de jeunesse qui n'arrive plus à se contenir...
Une très jolie découverte, un très bon moment de lecture.
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Ce n'était pas la faute de sa famille si sa jeunesse avait été gaspillée comme une coupe d'eau renversée dans du sable. Ils avaient fait de leur mieux pour elle. Son père lui avait donné de l'argent pour payer ses années à l'Ecole des beaux-arts et à celle de journalisme, où elle avait espéré trouver un mari. Sa mère lui avait enseigné la douceur, l'ignorance soigneusement entretenue, afin que, si elle devait passer la moitié de sa vie dans la privation, elle ne s'en rende même pas compte.
Pour Madge, l'évolution naturelle de l'amour entre les hommes et les femmes devenait "bestiale" dès que son expression ne se limitait pas à une poignée de main. Bien entendu, il était possible d'avoir un camarade de sexe masculin sans tomber dans la sensiblerie. Dans les instants d'émotion, quand on avait réussi un coup extraordinaire lors d'une partie, on pouvait lui taper dans le dos, et lui pouvait répondre par une bonne bourrade aux épaules. C'était parfait. C'était l'expression amicale et convenable d'une émotion profonde.
Aux Aigles, la famille s'était rassemblée au salon en cette heure morne où le thé est passé depuis longtemps sans que le dîner soit encore en vue. C'était une scène tranquille, qui aurait irrité un communiste. Cinq membres improductifs de la bourgeoisie étaient assis dans une pièce immense, où ils respiraient davantage d'air, se chauffaient à plus de feu et tiraient plus de plaisir et d'agrément des tableaux et des meubles qu'il n'était strictement nécessaire. Au sous-sol, dans la cuisine, trois membres de la classe laborieuse trimaient ignoblement pour leur préparer leur dîner, acheté avec les revenus d'un capital.
En cinquante ans , rien ne semblait avoir changé ou prospéré dans cette demeure. malgré sa haine de la dépense, Mr Wither croyait nécessaire d'acheter le Meilleur quand il dépensait, car le Meilleur se révélait pour finir ce qui revenait le moins cher. Malheureusement, le Meilleur durait si longtemps qu'il ne finissait jamais .
Il n'admirait les femmes que dans la mesure où elles étaient jolies, dociles et bien habillées. Il devait faire semblant d'admirer leurs autres prouesses, car tout le monde le faisait - au moins en paroles -, mais au fond de lui son opinion était simple et grossière : "Tout ça, c'est de la foutaise". Et quand il se trouvait en compagnie d'autres hommes d'accord avec lui, ils souriaient d'un air entendu, se regardaient et marmonnaient : "Tout ça, c'est de la foutaise". Les femmes intelligentes, les femmes sportives, les femmes artistes - de la foutaise.