Je suis en colère contre la bêtise. Surtout celle qui se croit maligne, doublée de bons sentiments anachroniques. Je suis en colère contre Wikipédia, qui déplore que
Gide au retour de son Voyage au Congo n'ait pas remis en cause le principe colonial.
C'est vrai, il aurait pu défiler Boulevard Raspail avec une affiche « A bas le colonialisme », vêtu d'un gilet jaune ou bien faire une grève de la faim jusqu'à ce que cela s'arrête.
Marc Allégret son compagnon aurait fait un film, et l'aurait envoyé aux réseaux sociaux. Ils auraient fait bouger les choses, non ?
Revenons à la réalité de 1926.
Gide est un écrivain, pas journaliste comme
Albert Londres qui donnera son brûlot 2 ans plus tard. Ce n'est pas non plus un homme politique, il n'a aucune raison de s'engager. Il n'est ni anthropologue, ni explorateur, ni ethnologue, et lui même se caractérise comme « touriste ». Depuis quand les touristes ont ils un devoir moral de dénoncer ce qu'ils ont vu ?
Pourtant il dénonce.
Il dénonce ce qu'il voit: le régime des concessions forestières de caoutchouc, assises au Congo avec la complaisance de certains administrateurs.
Comment le fait il ?
Avec ses moyens, allers monotones de villages en villages, essais de comprendre quelque chose dans le fatras entre les traducteurs, les responsables africains véreux, l'appui de certains administrateurs.
C'est quoi le gain pour ceux là? Il s'agit tout simplement de gruger les indigènes, après les avoir recrutés de force, sur les contrats (pourvu qu'ils ne sachent pas lire, et
Gide dit : pourvu qu'ils sachent lire ) et puis de les voler sur le pesage, sur la paye, sur le ravitaillement en manioc, sur les récoltes, que l'administration parfois rend impossible pour des raisons politiques. le recensement datant de quelques années, les « indigènes » doivent en plus payer l'impôt pour leurs morts et leurs exilés.
Exilés, alors que le mot exact serait parqués de force laissant derrière eux leurs plantations et leurs cases. L'administration y a mis feu, c'est plus simple.
Et puis il y a ceux qui « savent » leur conseillant de ne pas payer les porteurs, ils mangeront bien, n'est ce pas, sans parler bien entendu des médicaments et des soins divers minimaux que Marc-le- jeune dispense, jugé un luxe inutile .
Alors
Gide s'insurge, on ne lui fait pas croire qu'un parc d'enfants dénutris …. serait un simple erreur de parcours, d'autant que le traducteur qui aurait pu expliquer le pourquoi de ce camp sauvage… est rapté par des gradés officiels.
Le « Voyage au Congo » n'est pas du tout un livre d'ethnographe, ni même de voyageur comme proclamé sur la 4 · de couverture.
Gide a simplement écrit son journal, où il parle plus de la pluie et du beau temps, des touffes d'arbres, des rivières où il se baigne, des papillons qu'il chasse, des antédiluviens crocodiles, que des danses dont il avoue ne rien comprendre, que des coutumes qu'il ne comprend pas plus. Son parcours d'un an à travers le Congo est bien celui d'un touriste, le récit est monotone, parfois lyrique, parsemé de locutions désuètes ( les trafiqueurs, nous faisons comparoir, il s'est fait poivrer, on se blouse), et dans l'ensemble presque sans intérêt, sauf dans les notes en plus petit caractère :
Gide y dénonce entre autres la construction du chemin de fer Brazzaville-Océan « effroyable consommateur de vies humaines » occasionnant le travail forcé, la dénutrition et les maladies. Il veut rétablir une certaine justice, dans un continent où elle ne règne pas, et s'évertue à essayer de se montrer équitable, il s'enthousiasme parfois, et toujours il rétablit la vérité : non, les noirs ne sont pas fourbes, fainéants, voleurs ou menteurs …..
A son retour, il ne se taira pas et mettra en cause les exploitations forestières, et les administrateurs qui couvrent leurs méfaits. Il enverra son livre à Léon Blum, qui le publiera dans « le populaire ». L'Assemblée nationale française en sera ébranlée.