Le 12 janvier 1957, lors d'une opération de ratissage à l'ouest de Krarba, au nord de Tlemcen, le PC et une partie du 3e escadron sont attaqués par les rebelles. Le commando du sous-lieutenant Ancelin part à l'assaut.
Il croyait livrer bataille à une section (vingt-cinq fellaghas). Il se retrouve en face d'une compagnie (cent fellaghas).
Ancelin raconte ainsi la suite, trente ans plus tard :
"J'étais très mal parti. Quatorze de mes hommes avaient disparu dans la tourmente. Pour faire face au cent fellaghas, on n'était plus que six. Je demande à deux de mes gars d'aller chercher du renfort. Ils reviennent blessés. Impossible de passer. On n'avait plus de munitions. On n'avait plus de contact : mon porteur radio s'était évanoui dans la nature. On était dans la nasse, quoi.
C'est alors que je vis arriver le sous-lieutenant Chirac avec son peloton. Il avait entendu les coups de feu. Il était venu à fond de train pour me porter secours. Il m'avait sauvé la vie, en somme. Avec nos hommes, on s'est replié dans une ferme.
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Après cela on m'a proposé une citation à l'ordre de l'armée, mais dans un premier temps, on a refusé la croix de la valeur militaire à Chirac parce qu'il était venu à ma rescousse sans attendre les ordres."
Chirac est ainsi catalogué, d'entrée de jeu, comme l'homme de Pompidou au sein du gouvernement Couve de Murville: le messager et le porte-parole - l'intermédiaire, en somme. C'est si vrai que pendant le remaniement, le Premier ministre désigné le convoque et le consulte à tout bout de champ, comme s'il était l'un des grands dignitaires du régime. Il cherche un ministre de l’Éducation nationale, par exemple, et il ne le trouve pas.
"Mettez Edgard Faure à l’Éducation, dit Chirac sans hésiter.
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Il vaut mieux l'avoir à l'intérieur du gouvernement. Si vous le laissez à l'extérieur, il va vous empoisonnez la vie. J'ajoute que c'est un ministère qui est fait pour lui. S'il se plante avec ses idées farfelues, on dira que c'est un échec personnel. Si au contraire, il réussit, on dira que c'est le gouvernement qui a redressé la situation."
Le raisonnement ne tien évidemment pas debout. Jacques Chirac en convient aujourd'hui : "C'était bien mal connaître Edgard Faure que, pourtant, je connaissais bien. S'il réussissait, c'était lui tout seul. S'il échouait, c'était à cause du gouvernement."
Et c'est ainsi qu'Edgard Faure est devenu ministre de l’Éducation nationale.
Le lendemain, en effet, le général Koenig ("un militaire ouvert et tutoyeur") reçoit entre deux portes, l'élève dépité de Saumur et lui dit : "J'ai vu ton dossier. Il n'y a rien dedans. Sauf cette histoire d'appel de Stockholm. C'est encore une connerie des RG. J'ai supprimé ta fiche et tu es réintégré à tes rangs, place et fonction."
Major de Saumur, Jacques Chirac se retrouve au 11e régiment de chasseurs d'Afrique, à Lachen en Allemagne fédérale.
Tiendra-t-il la longueur ? S'il perd l'élection présidentielle de 1988, Chirac se remettra à coup sûr en selle pour la suivante, en 1995. Tant il est vrai, qu'il fait partie de la race des Mitterrand, Giscard, Pompidou, Clemenceau ou Poicarré.
Ces gens-là ne meurent jamais.
Alors que le terrorisme proche-oriental met Paris à feu et à sang, le Premier ministre a une obsession : sauvegarder sa politique arabe. Si Mitterrand a une vision, à travers le prisme Est-Ouest, des relations extérieures de la France, Chirac en a, lui, une conception avant tout arabe.
Franz-Olivier Giesbert - Histoire intime de la Ve République. Vol. 3. Tragédie française