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La trilogie de Pan (Giono) tome 2 sur 3
EAN : 9782253010845
192 pages
Le Livre de Poche (30/11/-1)
  Existe en édition audio
4.12/5   549 notes
Résumé :
A la « Buvette du Piémont », un vieux journalier est attiré par un grand gars qui parait affreusement triste et provoque ses confidences : Albin venait de la montagne, de Baumugnes. Trois ans auparavant, il était tombé amoureux fou d'une fille qui s'est laissé séduire par le Louis, « un type de Marseille, un jeune tout creux comme un mauvais radis». Le Louis ne lui avait pas caché que son intention était de mettre la fille sur le trottoir.
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Critiques, Analyses et Avis (59) Voir plus Ajouter une critique
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Un de Baumugnes est un roman de Jean Giono tout simplement façonné d'amour et de fraternité.
C'est un récit qui m'a pris au ventre, l'ouvrant et posant mon coeur dedans.
Il s'agit du deuxième volet de la trilogie de Pan, je vous avais chroniqué il y a quelques mois le premier volet, Colline, vous vous en souvenez ?
Un de Baumugnes est avant tout pour moi une histoire d'amour dans le monde rural du début du XXème siècle et c'est touchant, c'est beau à pleurer.
Récit bref en si peu de pages, il est écrit dans le style inimitable, parfois abrupt de Giono, surtout dans la période où il écrit ce récit.
Avec Un de Baumugnes, ici il est question d'hommes et de femmes de la terre, du terroir même, qui vivent dans le respect de la nature. Pas de mise à mort d'animaux ici, pas de meurtres… le seul fusil convoqué ne tirera jamais.
Le début du récit est rude.
Le narrateur est Amédée, ouvrier agricole qui loue ses bras de ferme en ferme. C'est donc par sa voix, son oralité et sa rusticité, que l'histoire nous est contée. Ah ! Comme j'ai adoré ce beau personnage qu'est Amédée...
Alors qu'il boit un verre dans une taverne, Amédée fait la connaissance d'Albin, également ouvrier agricole, qui lui fait part de ses remords : alors qu'il travaillait au champ avec un certain Louis, compagnon aux moeurs douteuses, il a rencontré la plus jolie et la plus séduisante des jeunes femmes, Angèle, dont il est tombé amoureux. Albin était trop timide pour l'aborder, au contraire de Louis qui l'a séduite et a fini par l'emmener à Marseille où il l'a prostituée. Après avoir écouté la confession d'Albin, Amédée décide de l'aider à retrouver la femme qu'il aime, aussi, décident-ils qu'Amédée se fera embaucher à la Douloire, la ferme des parents d'Angèle, pendant qu'Albin l'attendra dans une ferme d'un village voisin.
C'est là que tout démarre et c'est là que tout devient beau...
C'est la quête éperdue de quelque chose qui ressemble au départ du voyage à un impossible amour.
Un de Baumugnes, ce sont les yeux plongés dans les étoiles et les doigts pris dans la terre. Comme à chaque fois, dans les romans que j'ai pu lire de Jean Giono, les personnages font corps avec la nature qui les accueille, les berce, les fait travailler aussi, exister, donner sens à leurs vies. Les relations avec ces personnages sont parfois rudes comme le décor qu'ils habitent et qui les habitent aussi, il y a simplement une harmonie qui se lit dans les mots de Giono.
Vont-ils réussir ? Ne pas réussir ? Qu'importe ! L'essentiel est le chemin que nos deux héros vont entreprendre... Et quel chemin !
Dans les mots de Giono, j'ai senti leur envie, leurs doutes, leurs respirations, leurs gestes parfois gauches, toujours chaleureux.
Un air d'harmonica au milieu de la nuit est sans doute un des plus beaux passages du récit, car les mots de Giono nous permettent vraiment d'entendre cette musique, envoyée davantage comme un message qu'une mélodie...
Toujours chez Giono la nature parle, prends corps, le vent de la montagne devient une voix, le vol des perdrix devient le geste d'un semeur qui se prolonge dans le ciel, le bruit d'un pas sur un chemin n'est-il pas une respiration de plus dans le paysage ?
Ici la nature aide Amédée et Albin dans ce voyage, la nature les aide, seuls d'autres hommes jaloux, méchants, pervers, sont prêts à entraver ce chemin du bonheur. Idyllique cette vision, me direz-vous ?
Peut-être, ou peut-être pas au fond...
Ce roman est simplement magique.
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Quel talent ce Giono ! Quelle authenticité ! Qui n'est pas sans rappeler d'autres auteurs ou artistes célèbres ...

Il y a du Brassens dans sa façon de croquer ses personnages, du Brel dans ses envolées tragiques, du Pagnol dans sa Provence, du Fernandel dans son terroir ...

Que dire de plus ?
Que j'aime sa simplicité, son amour de la terre, son honnêteté.
Que j'ai aimé retrouver dans ce récit toute la rusticité qu'on trouvait autrefois dans nos campagnes, toute la rudesse de la vie paysanne sous laquelle se dissimulait bien souvent une tendresse bourrue, une maladresse touchante.

Si le premier volet de la Trilogie de Pan rendait un bel hommage à la nature en la personnifiant, ce deuxième roman, lui, offre une part belle à l'amitié et à l'amour...J'ai hâte de voir ce que me réserve le troisième !
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Lumineux

Le deuxième livre de la trilogie de Pan, est à travers le récit d'Amédée, la bouleversante quête d'un amour impossible. Amédée le vieux journalier, écoute Albin lui raconter sa vie, je suis de Baumugnes, répète t-il, "solide et droit, il n'osait pas bouger, mais vous auriez vu ses yeux !", lâche Amédée
p 124.
Ces mots il les avaient en bouche ce soir là, à Manosque, au bar de la Buvette du Piémont, ce soir là où tout a commencé. Ils étaient deux journaliers à Marigrate. Lui Amédée a trouvé Albin avec "ses mots durs, doux, qui savent où est le cœur", page 15. Albin fracassée par l'amour d'une jeune fille, enlevée devant lui par le Louis un gars de Marseille sans vergogne.

Lui Albin était bloqué à la table de fer, il fallait qu'il redise je suis de Baumugnes, "j'ai en moi Baumugnes tout entier".

"Tu vois, ce que je lui reproche, à mon village qui m'a fait, c'est qu'il ne m'a pas appris à tuer".


Cette voix qui lui parle d'Angèle, d'un amour à peine entrevu et déjà son impossible douleur. Sa voix, Amédée la décrit page 27, "cette voix lente qui partait dans la nuit, droit devant elle comme un trait, et qu'elle dépassait le rond du monde, ça semblait comme le vent, la parole des arbres, des herbes, des montagnes et des ciels. Ça avait la luisance d'une faux.


Le lendemain après cette confession, page 30, "Albin fit comme ça des épaules , à quoi bon ?" "Et ça creva dans moi comme une eau qui pèse une digue de terre puis gagne, renverse et inonde le verger."
Écoute "je vais aller à la Douloire, crois moi! " Amédée a noué sa corde à celle du garçon, sa corde à celle d'un de Baumugnes, la douleur pour seul fardeau pour affronter la Douloire, et bientôt la peur.
La Douloire où vivent les parents d'Angèle.


L'énigme de Baumugnes, est dans la lignée de la trilogie. La transposition du dieu Pan par Jean Giono, est pleine de finesse et confère à ce roman une magie qui rehausse le premier tome.
Baumugnes est le village au delà des villages, trouvant refuge dans la montagne, "une terre qui touche le ciel, p 17", pour échapper à toute incursion des religions ou des croyances étrangères. Là règne la musique, la monica, qui est un mélange de sifflements et d'harmonies, et "ça tirait les larmes au yeux."


Selon Ovide Pan défie Apollon dans un concours musical. L'autre allusion mythologique, indique que Pan confectionna un instrument de musique auquel il donna le nom de flûte de pan instrument de séduction pour rendre toute personne amoureuse.


Dans les souliers d'Amédée il n'y a que la promesse faite au gamin. Il ne sait pas encore que la peur va le gagner, quand Clarius le père d'Angèle se dresse devant lui avec son fusil. Ce fusil qu'il brandit à chaque fois que l'on parle d'Angèle.

Dire pourquoi je suis fan de Giono ? Ce grand roman d'amour puise sa force dans ces terres de Provence, ces chemins de pierres, ces vents à écorner les bœufs, bref dans la nature. Hier dans Colline elle avait endossé sa méchanceté, et sa colère.

Ici c'est la colère des hommes qui s'exprime, et parfois la nature devient magique, avec les mots de Giono, avec les doigts d'Albin, avec sa bouche qui la fait chanter, et bouleverse Amédée, subjugué, lui le vieux compagnon d'infortune.

C'est la magie quand il chuchote p 33, "c'est de finesse qu'il faut travailler, j'aime bien que le vent me flûte autour des oreilles."
C'est la magie de Saturnin, "ce valet à l'ancienne qui avait à la fin trouvé sa place, il était de la famille plus que s'il en avait eu le sang et la chair. p 50."

Amédée regardait aussi la maison, la Douloire, "la maison en pierre, les murs et les tuiles, le bois des volets, tout cela bien joint, bien fermé sur l'air noir du dedans et je ne pouvais pas arriver à comprendre pourquoi c'était si bien fermé pourquoi on avait mis cet air du dedans à l'abri de nos mains et de notre œil.

Et puis un jour une simple tasse est laissée, sur la paillasse par Philomène. La patronne revenant de la cave ne pouvait en justifier l'usage par un familier. Alors Amédée a compris qu'Angèle, "la fille aux gestes justes la meneuse de chevaux, l'amante de la Douloire, cette lampe dans la tête d'Albin était sans doute séquestrée."


La magie de ces textes tient beaucoup à ce tête-à-tête entre Amédée et Clarius. Amédée a besoin de comprendre pourquoi cet homme a verrouillé sa maison, comprendre sa colère, sa violence et sa solitude.

On retrouve aussi ce tête-à-tête dans le roman chien-loup de Serge Joncour inversé. Joséphine part affronter le dompteur, la force est avec lui, la peur qu'il suscite terrorise le village. Mais à l'extrémité de ce tête-à-tête Serge Joncour défie la peur et transforme ce tête-à-tête en un duo d'amour.

La magie de ce texte va connaître son point ultime quand Albin va jouer de la Monica deux soirs de suite, une musique qui se fond dans les arbres une musique pareille au vent. Jean Giono décline alors de très belles images, page 87  ;
"moi j'écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux que je trouvais doux ; c'était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent. Cette feuille-là me disait plus à moi que toutes les autres en train de faire les acrobates autour d'une clarinette."
"Eh bien la musique d'Albin était cette musique de feuilles de platanes et ça vous enlevait le cœur."
Un de Baumugnes, un roman déchirant et magique.

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"Je sentais que ça allait venir.
Après boire, l'homme qui regarde la table et qui soupire, c'est qu'il va parler."
C'est par ces mots, cette langue qui n'appartient qu'à lui que s'ouvre le second volet de - La trilogie de Pan - de Jean Giono, inaugurée avec l'inoubliable - Colline -... confrontation entre l'homme et la terre ou plus génériquement "la nature", et que clôturera - Regain -.
Cette fois, l'auteur nous offre un hymne à l'amour et à la fraternité.
C'est une histoire d'hommes et de femmes certes, mais toujours les pieds inextricablement ancrés dans cette terre, dans cette Gaïa qui les a vus naître, les voit se colleter à ses caprices, à ses colères, supporter ses humeurs, les voit chanter et danser aux joies qu'elle leur offre en récompense du dur labeur qu'ils consentent à lui sacrifier, et les accueille en son sein lorsque leur chemin les ramène aux racines de cette terre où ce chemin prit un jour naissance.
Toujours mêlés de manière indissociable l'un à l'autre, Giono par une intrication lexicale "incestueuse", un panthéisme poétique, quelquefois lyrique, nous conte et nous raconte une histoire qu'a édulcorée Pagnol dans son film intitulé - Angèle -, tiré évidemment de - Un de Baumugnes - de Giono.
Un vieux journalier, Amédée, un homme bon, fait la connaissance d'Albin, un autre ouvrier agricole, grand et beau jeune homme à l'air triste.
Amédée est humainement attiré par ce garçon qui se tient à l'écart.
Un soir de repos, autour d'une bouteille, Albin le taiseux se raconte.
Trois ans plus tôt il est tombé fou amoureux d'Angèle la jeune et belle fille de Clarius et de Philomène, propriétaires de la ferme "la Douloire" .
Timide, il n'ose rien entreprendre.
Son "ami" d'alors, Marcel, un petit marlou marseillais décide de la séduire et de la mettre sur le trottoir.
Chose dite, chose faite.
Trois ans qu'Albin traîne sa peine d'amour de ferme en ferme !
Amédée décide de l'aider en se rendant à la Douloire et en ... enquêtant..
Après quelques "péripéties", Amédée est embauché à la Douloire.
Il en vient très vite à comprendre qu'Angèle est de retour... avec un petit.
Ses parents, pour cacher leur honte, séquestrent la mère et l'enfant.
Amédée et Albin vont passer à l'action...
Dès lors, comme il y a "le feu" dans - Colline -, un feu colère, un feu vengeur et ravageur, il y a dans - Un de Baumugnes - "l'orage", une semonce du ciel à l'homme et à ce qui l'entoure. Une pluie effrayante et salvatrice à la fois.
Cet orage est le début, dans ce roman de Giono, de la plus belle partie de son bouquin.
"L'intrication" que j'ai évoquée précédemment donne à la plume de l'auteur une dimension poético-panthéiste irrésistible d'inspiration, de souffle et de beauté.
Témoin ce passage dans lequel Albin, villageois de Baumugnes, un "pays" perché très haut et très loin dans cette provence qu'affectionne Giono, a pour singularité d'avoir été, il y a longtemps, un lieu refuge pour des pauvres diables chassés de leur terre pour des motifs religieux, des êtres errants auxquels on avait tranché la langue.
Ils s'installèrent très haut et très loin des "autres" et fondèrent Baumugnes.
Pour communiquer entre eux, avec les bêtes et avec la nature, ils prirent l'habitude d'utiliser l'harmonica.
Depuis des générations, les gens de Baumugnes ont ce "pouvoir" de faire dire à la "monica", ce qu'il y a au fond d'eux, mais de transcrire le chant des oiseaux, de faire parler ou chanter les feuilles des arbres, le murmure des ruisseaux... une sorte de "flûte enchantée"...
Écoutez... ou plutôt... lisez :
"D'abord, ce fut comme un grand morceau de pays forestier arraché tout vivant, avec la terre, toute la chevelure des racines de sapins, les mousses, l'odeur des écorces ; une longue source blanche s'en égouttait au passage comme une queue de comète. Ça vient sur moi, ça me couvre de couleur, de fleurance et de bruits et ça fond dans la nuit sur ma droite.
Y avait de quoi vous couper l'haleine.
Alors, j'entends quelque chose comme vous diriez le vent de la montagne ou, plutôt, la voix de la montagne, le vol des perdrix, l'appel du berger et le ronflement des hautes herbes qui se baissent et se relèvent toutes ensemble, sous le vent.
Après, c'est comme un calme, le bruit d'un pas sur un chemin : et pan, et pan ; un pas long et lent qui monte et chante sur des pierres, et, le long de ce pas, des mouvements de haie et des clochettes comme à sa rencontre.
Ça s'anime, ça se resserre, ça fuse en gerbes d'odeur et de son, et ça s'épanouit : abois de chien, porte qui claque, foule qui court, porc, gros canard qui patouille la boue avec sa main jaune. Tout un village passe dans la nuit. J'ai le temps d'entendre un seau qui tinte sur le parquet, une poulie, un char, une femme qui appelle ; j'ai le temps de voir une petite fille comme une pomme, une femme les mains aux hanches, un homme blond, et ça s'efface.
Tout ça, c'était pur !
Là, il faut que je m'arrête et que je vous dise bien, parce que c'est ça qui faisait la force de toute la musique, combien on avait entassé de choses pures là-dedans.
Ce qui frappait, ce qui ravissait la volonté de bouger bras et jambes, et qui gonflait votre respiration, c'était la pureté.
C'était une eau pure et froide que le gosier ne s'arrêtait pas de vouloir et d'avaler ; on en était tout tremblant ; on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi, comme une abeille saoule qui se roule au fond d'une fleur.
Moi, vous savez, c'est pas pour dire, mais j'ai déjà entendu pas mal de musique et même, une fois, la musique des tramways qui est venue donner un concert à Peyruis pour la fête. J'avais payé ma chaise un sou ; c'est vrai qu'avec ça j'avais droit à un café. Y avait, pas loin de moi, la femme du notaire et la nièce du greffier ; et tout le temps, ç'a été des : « Oh, ça, que c'est beau ! », « Oh, ma chère, cette fantaisie de clarinette ! » Moi, j'écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux et que je trouvais doux : c'était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent.
La grosse caisse en mettait à tour de bras. Alors, je suis parti sans profiter de ma chaise et du café pour mieux entendre ce qu'elle disait, cette feuille.
Ça vient de ce qu'on n'a pas d'instruction ; que voulez-vous qu'on y fasse ? Cette feuille-là, elle me disait plus à moi que tous les autres en train de faire les acrobates autour d'une clarinette.
C'est comme ça.
Et bien, la musique d'Albin, elle était cette musique de feuilles de platane, et ça vous enlevait le coeur."
Sur cette parenthèse, je vous invite à découvrir ou à redécouvrir - Un de Baumugnes - et la magie de la plume de Giono.
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Un des Baumugnes, c'est Albin, venu louer ses bras vigoureux pour la moisson et la foulaison sur les berges de la Durance, bordées de saules, de cyprès, de vignes et de champs de blé. C'est là qu'il fera connaissance de l'Amédée, journalier comme lui bien qu'ayant l'âge d'être son père. le dimanche soir, c'est la tradition d'aller boire le litre. L'alcool aidant, Albin raconte, comme on s'épanche, l'échec qui lui gâche la vie, les regrets qui l'empoisonnent. Il a croisé Angèle, la fille de la ferme « La Douloire », il en est tombé amoureux aussitôt mais c'est Louis, un gars de la Martiale venu se mettre au vert, qui l'a approchée, séduite et entraînée sur les trottoirs de Marseille.
Amédée est touché au coeur par ces confidences, cette tragédie, il sent qu'il peut faire quelque chose pour celui qui est, dorénavant, son ami car « il souffre de la douleur des autres ».
Il décide de chercher ce qu'est devenue Angèle et se présente à La Douloire afin de s'y faire embaucher. Reçu par Clarius, le Patron, brandissant son fusil, il doit sa chance à Maman Philomène, qui accepte de l'engager. Courageux et travailleur il deviendra vite indispensable à la ferme.

Quelle bonne idée de donner la parole à Amédée qui raconte son histoire avec ses mots, son langage simple, familier et fantaisiste qui anime et fleurit le récit. Il décrit les paysages, les lieux, tels des personnages à part entière en leur conférant une humanité poétique : « La Douloire, accroupie dans le pissat de ses fumiers, près de sa maigre terre, terne et croûteuse comme une vieille guenippe ». « Les ruisseaux où coulent à la place de l'eau, le bruit des charrettes, le parfum du thym et le rire des gardeuses de chèvres ».
Nous sommes transportés dans cette belle Provence du début du XXe siècle, nous la traversons aux côtés de ces gens laborieux, qui gagnent leur vie à la sueur de leur front.
Le malheur qui a frappé la Douloire a desséché Maman Philomène et Clarius, les repas sont faits de silences, rythmés par le choc des couverts et ponctués des rires gelés de Saturnin. Et pourtant c'étaient, ce sont, de belles personnes, « Philomène, droite, bonne, simple, noble à tout dire », Clarius connu dans tout le pays comme un remonteur de moral, le coeur sur la main.
On se rend compte comment un petit homme pervers peut causer un mal terrible dans une famille simple en séduisant une fille naïve et ceci est intemporel.

Amédée nous emporte dans sa quête, Albin nous transmet son amour pour Angèle au son de sa « monica » qui vous enlève le coeur et Jean Giono effleure avec beauté sa Provence. Comme il est réconfortant de lire un si bel élan d'amitié, un sentiment né au fond des entrailles, une amitié intergénérationnelle gorgée d'humanité qui redonne vie à la jeunesse.
Et nul mieux qu'Amédée peut avoir le dernier mot « à la fin, c'est le malheur qui reste dans la poussière ».
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Citations et extraits (147) Voir plus Ajouter une citation
…Je regardais cette glacière quand j’ai vu l’Albin venir. Oh ! ça se voyait à peine, mais, vous savez, quand on attend et qu’on est prévenu, la moindre des choses vous guide. Le patron ronflait toujours. Devant la porte du silo, il y avait un figuier au tronc courbé comme un banc.
C’est là qu’il a dû s’asseoir et il se peut que la chose n’ait commencé que longtemps après ; il est peut-être resté quelque temps muet, à regarder cette Douloire en pierre, la robe de sa bonne amie ; la robe et le corsage, et si lourd que la bonne amie étouffait dessous. Et même, à y réfléchir, ça a dû être comme ça ; il a dû arriver là, en face de la ferme et s’asseoir sur le tronc courbé du figuier, et moi je l’avais perdu dans le feuillage de l’arbre et aussi dans le feuillage de la pensée parce que, la nuit, c’est toujours un peu câlin ; et puis, d’un coup, j’ai reçu la chose en travers de la figure.
Ah ! je dis bien : en travers de la figure, parce que ça m’a fait l’effet d’un coup de pierre.
Il appelait ça parler à Angèle !
Certes, d’un côté, ça pouvait s’appeler comme ça, mais, au lieu de mots, c’était les choses elles-mêmes qu’il vous jetait dessus.
D’abord, ce fut comme un grand morceau de pays forestier arraché tout vivant, avec la terre, toute la chevelure des racines de sapins, les mousses, l’odeur des écorces ; une longue source blanche s’en égouttait au passage comme une queue de comète. Ça vient sur moi, ça me couvre de couleur, de fleurance, et de bruit et ça fond dans la nuit sur ma droite.
Y avait de quoi vous couper l’haleine !
Alors, j’entends quelque chose comme vous diriez le vent de la montagne ou, plutôt, la voix de la montagne, le vol des perdrix, l’appel du berger et le ronflement des hautes herbes des pâtures qui se baissent et se relèvent toutes ensemble sous le vent.
Après, c’est comme un calme, le bruit d’un pas sur un chemin : et pan, et pan ; un pas long et lent qui monte et chante sur des pierres, et, le long de ce pas, des mouvements de haie et des clochettes qui viennent comme à sa rencontre.
Ça s’anime, ça se resserre, ça fuse en gerbes d’odeur et de son, et ça s’épanouit : abois de chien, porte qui claque, foule qui court, porc, gros canard qui patouille la boue avec sa main jaune. Tout un village passe dans la nuit. J’ai le temps d’entendre un seau qui tinte sur le parquet, une poulie, un char, une femme qui appelle ; j’ai le temps de voir une petite fille comme une pomme, une femme les mains aux hanches, un homme blond, et ça s’efface.
Tout ça, c’était pur !
Là, il faut que je m’arrête et que je vous dise bien, parce que c’est ça qui faisait la force de toute la musique, combien on avait entassé de choses pures là-dedans.
Ce qui frappait, ce qui ravissait la volonté de bouger bras et jambes, et qui gonflait votre respiration, c’était la pureté.
C’était une eau pure et froide et que le gosier ne s’arrêtait pas de vouloir et d’avaler ; on en était tout tremblant ; on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi, comme une abeille saoule qui se roule au fond d’une fleur.
Le plus fort, c’est que c’était dit avec nos mots et de notre manière à nous.
Moi, vous savez, c’est pas pour dire, mais j’ai entendu déjà pas mal de musique et même, une fois, la musique des tramways qui est venue donner un concert à Peyruis pour la fête. J’avais payé une chaise trente sous ; c’est vrai qu’avec ça j’avais droit à un café. Y avait pas loin de moi la femme du notaire et la nièce du greffier ; et tout le temps, ç’a été des : « Oh ! ça, que c’est beau », « Oh ! ma chère, cette fantaisie de clarinette. » Moi, j’écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux, et que je trouvais doux : c’était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent.
La grosse caisse en mettait à tours de bras. Alors, je suis parti sans profiter de ma chaise et de mon café pour mieux entendre ce qu’elle disait, cette feuille.
Ça vient de ce qu’on n’a pas d’instruction ; que voulez-vous qu’on y fasse ? Cette feuille-là, elle me disait plus à moi que tous les autres en train de faire les acrobates autour d’une clarinette.
C’est comme ça.
Eh bien, la musique d’Albin, elle était cette musique de feuilles de platane, et ça vous enlevait le cœur.
Savez-vous ce que je peux vous dire encore pour vous faire comprendre comment du mitan de la nuit étaient nées, vivantes, ces images ? Eh bien, voilà : je ne sais pas si ça vous est jamais arrivé, mais, pour moi, chaque fois, ça me produit le même effet : c’était comme quand on apporte dans une chambre une corbeille de champignons.
Rien que l’odeur, d’un coup, ça renverse les murs et je suis dans la forêt avec la pluie dans les feuilles ; j’entends la pluie, je vois les arbres ; j’étendrais la main, sûr, je toucherais le corps d’un chêne. Eh bien ça c’était pareil.
Il avait trouvé ça, cet homme !
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À Marigrate, le vieux Amédée se loue dans les fermes. Il rencontre Albin à la
Buvette du Piémont dans le faubourg à Manosque. Albin est un jeune, bel
homme qui vient du village Baumugnes.
Trois années auparavant, il était dans le même village avec Louis et il en dit
ceci: „La gerbe tremblait au bout de sa fourche et sa mauvaise odeur
m'engourdissait“ (p. 11)
Un soir, une charrette, conduite par une fille, déboule sur la place. Louis veut la
transformer en une putain à Marseille. Il n’y voit qu’un capital. Mais Albin est
fasciné d’elle et il dit: „Alors, c’est la lune qui lui tape en plein dessus, du pied
au cheuveu, et c’est elle que je vois entière, avec ses jambes et son doux
ventre et ses deux sains pleins que le corsage tenait, et sa belle tête aux
tresses tortillées“. (p. 13)
Albin ne s'en remet pas et il est tombé amoureux d’Angèle. Mais elle est à
Marseille et il, désespéré, erre depuis trois ans de ferme en ferme, et envisage
maintenant de rentrer chez lui à Baumugnes. Amédée espère obtenir des
informations et peut soulager Albin avec des nouvelles d’Angèle. Il lui fixe un
rendez-vous dans trois mois à un endroit donné et Albin accepte sa proposition.
Voilà donc Amédée parts vers la ferme des parents d’Angèle.
Quand il arrive à la Douloire, le mas du parents d’Angèle, il y est reçu par un
homme le fusil à la main et qui le menace de tirer s’il ne part pas de suite.
Heureusement la mère d’ Angèle arrive et Amédée reussis à se faire engager.
Les parents d’elle sont très tristes et l’ambiance est bien plus que sinistre dans
cette maison. De ceci Amédée conclut qu’elle n’est plus rentré.
Entre-temps, Albin l'attend dans une ferme où Amédée a travaillé et où il
couchait avec la fermière.
„Les gens d’ici sont très fins sur l’amour-propre et la réputation. Une fille qui se
dérobe, et encore avec un pignouf de ce genre, ça fait parler, ça fait dresser les
index.“(p. 56) Avec cette phrase il a montré qu'il connaît „La fille du Barbaroux“
et pendant un orage il remarque qu’Angèle est enfermée. Mais le problème est
où elle se trouve. Comme premier il informe Albin sur la situation.
Quand la mère apporte de la nourriture dans l’abri et il voit une tasse fine, qui
n’est pas au père, puisque celui est de nature grossière, Amédée vient
lentement sur la trace que les parents doivent avoir dissimulé Angèle. Albin
découvre par coïncidence la cache, un silo, et Amédée et Albin la délivrent. Puis
Ils s'enfuient et retournent chez les parents d’Angèle de se réconcilier. Après
Albin et Angèle tombent amoureux et ils rentrent heureux à Baumugnes. Et le
vieux Amédée continue à travailler de ferme en ferme.
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Ça c'était une musique de vent, ah, mais une musique toute bien savante dans les plus belles choses de la terre et des arbres.
Ça sentait le champ de maïs ténébreux : de longues tiges et de larges feuilles.
Ça sentait la résine et le champignon et l'odeur de la mousse épaisse.
Ça sentait la pomme qui sèche.
- Ça, fait Clorinde, c'est lui, en bas, qui se désennuie en jouant de sa musique. C'est comme ça tous les jours. C'est rudement beau.
Oui, c'était rudement beau.
Et ça poignait durement dans le milieu du ventre comme quand on vous dit toute l'expression de la vérité bien en face.
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-Qu'est ce que c'est que ça, Clorinde?
Ça, c'était une musique de vent, ah, mais une musique toute bien savante dans les belles choses de la terre et des arbres.
Ça sentait le champ de maïs ténébreux : de longues tiges et de larges feuilles.
Ça sentait la résine et le champignon et l'odeur de la mousse épaisse.
Ça sentait la pomme qui sèche.
-Ça fait Clorinde, c'est lui en bas, qui se désennuie en jouant de la musique. C'est comme ça tous les jours. C'est rudement beau
Oui, c'est rudement beau.
Et ça poignait durement dans le milieu du ventre comme quand on vous dit l'expression de toute la vérité bien en face.
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Nous, on a été, d'abord, dans le temps, de ces gens qui n'ont pas cru à la religion de tous : et, pour ça, à ceux de cette époque qui ont été les grands-pères de nos grands-pères, à ceux là, donc, on leur a coupé le bout de la langue pour qu'ils ne puissent plus chanter cantique. Et après, d'un seul coup de pied de cul, on les a jetés sur les routes, sans maisons, sans rien. Allez-vous-en !
Alors, ils ont monté, comme ça, dans la montagne : les hommes, les femmes, tous ; ils ont monté, et ils ont monté beaucoup plus haut que jamais ceux qui avaient coupé leurs langues auraient cru. Beaucoup plus haut parce qu'ils n'avaient plus d'espoir pour peser sur leurs épaules et ils sont arrivés sur cette petite estrade de roche, au bord des profondeurs bleues, tout contre la joue du ciel, et il y avait là encore un peu de terre à herbe, et ils ont fait Baumugnes.
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Denis Infante a publié son premier roman Rousse publié aux éditions Tristram le 4 janvier 2024. Il raconte l'épopée d'une renarde qui souhaite découvrir le monde. Un ouvrage déroutant par sa singularité. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée et qui ne laissera personne indifférent. L'exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : "Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers."
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