Partie en librairie pour choisir un titre de
Giono en vue d'une lecture commune, je suis tombée sur cet ouvrage, mis en évidence sur un étal.
Je vous laisse découvrir, ainsi que je l'ai alors fait, la quatrième de couverture :
"L'ours – On le prend avec du miel. Sur le plus petit grumeau on voit s'agglomérer les ours. Ce n'est pas qu'ils s'en nourrissent comme les mouches par exemple (qui ont en présence du miel une attitude bien plus aristocratique), c'est qu'ils sont attirés comme le fer par l'aimant. le miel les rend encore plus balourds. Ils ne savent plus où ils sont ni ce qu'ils font, ce qui est bien pratique pour celui ou celle qui a besoin d'un ours. Il est carotté en cinq minutes ; on se l'approprie ; on lui passe généralement un anneau dans le nez."
Autant vous dire que l'ouvrage a aussitôt rejoint ma besace !
Ce Bestiaire est la compilation de dix-neuf textes, portraits d'animaux tantôt réels, tantôt issus de l'imaginaire collectif ou de celui de l'auteur que ce dernier, ainsi qu'on nous l'explique dans la préface, a écrit en marge de son travail sur son troisième roman,
le bonheur fou. le but était de se distraire, de s'accorder des répits en cette période de création romanesque.
Il en résulte une succession de descriptions pseudo-scientifiques qui oscillent entre fables et métaphores, dont la dimension loufoque et facétieuse n'empêche pas une certaine ambiguïté quant au propos, souvent satirique. Lorsque
Jean Giono nous parle de la Poufiasse ou du Minus ("qui se nourrit d'hommes qu'il attire dans son HLM") par exemple, on ne peut s'empêcher de se demander à qui il fait précisément allusion…
Même les animaux réels prennent ici de drôles d'allures, se parent de caractéristiques insolites. L'ours -à ne pas confondre avec The Bear, qui aura son propre portrait, dont la caractéristique est de se reproduire par crachotis- devient l'animal domestique "le plus économique de la création", le serpent, lui aussi apprivoisé, se blottit généralement sous un gilet, un corsage ou une blouse d'écolier, et est produit par le corps humain. le tigre quant à lui contient tout un monde : des banques, des corsos carnavalesques, des matchs de football, des chambres syndicales…
Jean Giono crée ainsi une mythologie qui lui est propre, peuplée de créatures mystérieuses et souvent effrayantes, comme cette bestiasse dotée de cent sexes -dont 98 que nous ne pouvons imaginer- dont les proies, bien que dévorées, peuvent poursuivre dans son ventre aux parois quasi inexistantes leurs occupations inhabituelles, comme aller au bureau, faire des enfants, "s'enrouler dans les mensonges de la vie quotidienne", ou encore partir en voyage.
Parmi les bêtes inventées, certaines sont minuscules, tels ce grain de tabac qui vit dans les arbres, dont la puissance dévoratrice est proportionnellement inverse à sa taille microscopique, d'autres extensibles au point de pouvoir engloutir la gare de Lyon.
L'animal n'est parfois qu'un prétexte à digressions. Parti à la recherche de la Bête du Gévaudan, l'auteur se contente de décrire la soirée passée à F., entre autres marquée par le conflit l'opposant au garçon d'un restaurant où on lui a servi du poulet avarié.
Certains textes expriment -et, on peut le soupçonner, déplorent- le remplacement de l'amour du vivant par l'artificialité qu'y impose la main humaine dans son besoin de tout transformer, de tout rendre rentable, exploitable. La rivière qui nous gêne peut être transportée cent kilomètres plus loin, des vallées sont remplies d'eau, engloutissant des arbres dans les troncs desquels les truites remplacent les oiseaux, et il imagine que demain, des îles en métal constelleront les mers, les golfes seront changés en terrains de football ou de cricket, les océans changés de place…
"Eh quoi, nous sommes malgré tout les rois du globe terrestre, demain nous serons les rois de la Galaxie, après-demain les empereurs des univers galactiques ; rien ne résiste aux coups de bélier de notre intelligence, science ou prescience (…)"
L'ensemble est enlevé, porté par un humour cocasse ou ironique, ponctué de descriptions convoquant des images parfois surprenantes mais toujours éloquentes et une outrance volontaire dans certaines évocations violentes ou sanglantes, que compense toutefois leur absurdité.
Entre chaque présentation d'un animal du bestiaire, s'insèrent des chapitres intitulés Marginalia, compilations de citations, d'extraits d'oeuvres diverses (dont la plupart sont inventées de toutes pièces) dont l'absence de lien avec
le bestiaire rend la présence incongrue mais néanmoins plaisante, comme une suite d'aphorismes ou de mots d'esprit.
A picorer sans modération.
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