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Mark Rogin Anspach (Préfacier, etc.)Mark Rogin Anspach (Préfacier, etc.)Mark Rogin Anspach (Préfacier, etc.)
EAN : 9782851979223
220 pages
L'Herne (05/10/2010)
3.58/5   6 notes
Résumé :
Le cheminement du désir n’est point rectiligne. Il
emprunte des tangentes, il esquisse des triangles, il s’en-
fonce dans des cercles vicieux. Dans les essais réunis ici
par Mark Anspach et présentés pour la première fois en
France, René Girard montre que les plus grands écrivains
sont aussi des géomètres du désir.

Chez Chrétien de Troyes, Dante, Racine ou
Marivaux, le jeu de l’amour ne doit rien au hasard mai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Mimétiques du désir

Cinquante ans tout juste après la parution de son premier livre, Mensonge romantique et vérité romanesque, paraît sous la signature de René Girard un recueil de sept textes intitulé Géométries du désir (aux éditions de l'Herne), dont la diffusion initiale s'étale sur tout ce demi-siècle, de 1953 à 2007, et les auteurs traités sur quelque huit cent ans, de Chrétien de Troyes au « nouveau roman » des années 1960. Une sorte de grand écart donc, par lequel le théoricien du désir mimétique applique cette grille de lecture à un corpus qui apparaît comme représentatif de la littérature européenne – puisqu'il inclut Dante et Shakespeare – à l'exception notoire, toutefois, du 19e siècle.

« Chez Chrétien de Troyes, Dante, Racine ou Marivaux, le jeu de l'amour ne doit rien au hasard mais obéit à des lois implacables qui s'éclairent à la lumière de l'hypothèse mimétique. Dans les essais réunis ici pour la première fois en France, René Girard montre que les plus grands écrivains sont des géomètres du désir. L'éternel triangle amoureux n'est d'ailleurs que la figure mimétique la plus évidente. », écrit Mark Anspach dans son introduction. « Plus qu'un simple recueil de textes, il représente une tentative de décrire la même histoire sur une échelle plus vaste, de l'amour courtois du roman médiéval jusqu'à l'érotisme voyeuriste du roman contemporain. »

Une tentative qui peut sembler démesurée, mais il ne s'agit pas d'être exhaustif, simplement d'éclairer par quelques exemples probants la mise en oeuvre de cette théorie globale, selon laquelle les personnages créés par les grands auteurs évoluent dans une mécanique de rapports qui fonctionnent selon des lois universelles : « Seuls les grands écrivains réussissent la peinture de ces mécanismes sans la fausser au bénéfice de leur Moi : on tient là un système de rapports qui, paradoxalement ou plutôt pas paradoxalement du tout, varie d'autant moins que les écrivains sont plus grands ». Les positions (individuelles, historiques, sociales…) et les places occupées par les personnages induisent les types de relations qu'ils pourront avoir entre eux. Pour chacun des auteurs examinés, Girard pointe également le sens que les rapports décrits prennent dans notre univers contemporain.

Ainsi, il voit Chrétien de Troyes comme « un satiriste qui démonte la logique des ambitions dévorantes de l'aristocratie féodale de son temps ». Dans cet univers, le désir des femmes passe par l'admiration vouée au chevalier : « les femmes tombent toujours amoureuses du vainqueur ». Mais ce constat peut être extrapolé : « Dans notre univers culturel comme dans bien d'autres, la compétition est l'âme du sexe, non la libido freudienne ». Considérant, dans la Divine Comédie, l'épisode de Paolo et Francesca, Girard souligne que le succès de cette histoire, au début du 19e siècle, comme triomphe de la passion repose sur une méprise. Dans le poème de Dante, l'enfer est une réalité et l'entreprise amoureuse de Paolo et Francesca un échec. le roman de Lancelot qu'ils lisent, troisième personnage de l'histoire, joue le rôle de l'entremetteur diabolique.

Chez Shakespeare, les couples d'amoureux sont l'incarnation de l'amour vrai déjà imprégné d'un individualisme moderne, mais « l'illusion de l'amour vrai recouvre un désir mimétique » : ils s'imitent les uns les autres et imitent les contes qu'ils ont lus. Dans Roméo et Juliette, le climat de la vendetta familiale affecte le langage de la passion, d'où l'usage d'une rhétorique flamboyante et l'abondance des oxymores (Juliette parlant de Roméo comme d'un « démon angélique »…) qui sont « en adéquation à la situation chaotique du personnage qui les formule ». La loi du désir mimétique est celle de la frustration universelle, son intensité inversement proportionnelle à ses perspectives de satisfaction. Il en résulte un ressentiment à l'égard de la personne aimée, et une combinaison passion/ressentiment que l'oxymore exprime à la perfection. L'amour de Juliette n'est pas seulement amplifié mais approfondi par l'adjonction de la haine. La querelle familiale constitue un élément extérieur introduit par Shakespeare pour aménager la place de la violence dans l'amour.

L'article le plus développé (une soixantaine de pages) est celui sur Racine. Girard y fait une étude détaillée des métaphores : « Domination et servitude, profane et sacré : telles sont les deux polarités essentielles de la rhétorique précieuse ». Ces deux domaines métaphoriques fusionnent pour révéler la « gloire » racinienne : elle est « éclat, lumière éblouissante que reflètent les visages tournés vers l'être glorieux ». Dans ce contexte, quelle peut être la place du désir ? « Tout désir est faiblesse ; c'est pourquoi seul le désir qu'on inspire peut racheter la honte de celui qu'on ressent. » D'ailleurs, le monde de Racine – à l'exception de Bérénice – est aussi celui du désir non réciproque, pour des personnages qui trouvent leur unité « dans la folie, le meurtre ou le suicide ». La place de Phèdre dans l'oeuvre de Racine s'avère cruciale, car c'est aussitôt après (1677) que Racine abandonne le théâtre profane et devient historiographe du roi. Il écrira encore deux tragédies bibliques, Esther et Athalie, mais la préface de cette pièce, déjà, « confirme le rôle de Phèdre dans l'évolution spirituelle de son auteur ».

Restant dans le domaine du théâtre, Girard souligne le caractère impitoyable de l'amour-propre chez Marivaux, « l'absence d'authentique tendresse » et l'hypocrisie intervenant pour ses personnages comme « processus de self-deception ou autotromperie » : il s'établit une division du psychisme entre trompeur et trompé. le marivaudage, loin d'un aimable badinage de cour, constitue une « tentative de révéler, au moment même où il se déploie du point de vue de l'intéressé lui-même, le processus à demi conscient par lequel le sujet s'illusionne ». Girard éclaire ce processus par une comparaison avec Sartre (et sa notion de « mauvaise foi ») : « dans les deux cas, on recourt à l'ambiguïté morale afin d'esquiver un choix difficile ».

On enjambe le 19e siècle pour aborder l'érotisme selon Malraux : il apparaît comme associé à la nécessaire idée d'une contrainte, d'une humiliation « en soi ou chez l'autre, et peut-être chez les deux ». Quoi qu'il en soit, l'érotisme n'est pas une solution, la sexualité est dénoncée comme une servitude. « Malraux évoque la mort en des termes érotiques tandis que la sexualité appelle des images funèbres ». Mais une fraternité serait possible dans la découverte partagée de l'absurdité de l'existence… Malraux, rappelle Girard, n'est pas un romancier réaliste, la fiction dans laquelle il plonge devient un « univers transfiguré par la présence de l'absurde ». Et dans ce monde son héros pratique le masochisme comme une ascèse, souhaitant l'échec « pour pouvoir le transformer en triomphe esthétique ».

La dernière étude, consacrée à quelques auteurs actifs dans les années 1960, m'a semblé nettement moins convaincante. Girard indique d'abord que du 19e au 20e siècles, le passage de l'amour romantique au triomphe de la sexualité n'a fait que renforcer l'individualisme, érigeant la « supériorité du sujet désirant » par rapport à des partenaires interchangeables. Dans ce monde, Don Juan se trouve déplacé. le Monsieur Jean de Roger Vailland « veut impressionner les belles femmes par sa lubricité ». Différence majeure, « Don Juan cherchait seulement à tromper les autres, Monsieur Jean cherche aussi à se tromper lui-même » (ce qui le rapprocherait des héros de Marivaux). Sa véritable filiation remonterait en fait au dandy du 19e siècle avec son affectation d'indifférence. Mais à mon humble avis, Girard fait fausse route quand il examine La Loi du même Vailland. Si l'exercice de la Loi tel que le décrit Vailland est bien celui de « la dialectique implacable du désir égotiste », je ne crois pas que celui-ci veuille, comme le dit Girard, « nous faire partager son admiration pour le vainqueur ». Vailland analyse un processus et en démonte les racines historiques, sociales, ethnologiques ; et s'il désigne quelqu'un dans ce roman comme admirable, ce serait plutôt le vieux Don Cesare, le désintéressé… L'article s'achève avec quelques lignes sur la Chute de Camus et la Jalousie de Robbe-Grillet (« triangle classique du drame bourgeois ») ; j'avoue que je suis un peu perplexe quand Girard parle de « courant littéraire qui se partage entre séducteurs arrogants et pauvres misérables » : quel courant ? il y a bien peu de choses en commun entre ces livres, à part leur époque de parution. Lorsque le but du héros (en général) est de se soustraire au regard de la femme, de voir sans être vu, il se place en position de voyeur et le lecteur lui-même devient voyeur. Mais « l'érotisme moderne exprime une fascination pour l'identique conçu comme altérité radicale », ce qui ne peut conduire qu'à une impasse.

L'ensemble reste d'un intérêt constant. La théorie de Girard a les défauts de ses qualités : c'est un système, qui permet de donner de nouveaux éclairages à des textes connus. C'est aussi un système, avec tout ce qu'il peut avoir de systématique…







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Girard, Lukacs, Jakobson, Lejeune… sont des noms qu'il est vivement conseillé de connaître lorsque l'on entreprend des études de lettres. Plus de dix ans après mes frasques estudiantines, je me suis demandée dans quelle mesure j'étais toujours capable, moi lectrice lambda, de suivre une pensée esthétique, voire de la mettre en perspective. Dont acte. Géométries du désir reprend les fondamentaux exprimés dans Mensonges romantiques et vérité romanesque (1961), à savoir la théorie du désir mimétique. Pour Girard, le désir ne se comprend et ne se déploie que dans la confrontation avec un modèle, dans un schéma qui n'est pas simplement sujet — objet, mais sujet — modèle — objet. Modèle dont on cherche à s'approprier l'être, plutôt que les simples caractéristiques, ou dans le cadre du roman d'amour par exemple, la bonne fortune. Rien de moins autonome que le désir, en somme. le second pendant de cette idée est que ce désir mimétique, métaphysique est également (avant tout ?) un objet littéraire. Une sorte de générateur d'élan romanesque, en l'occurrence.
Les différents textes compilés ici semblent vouloir – choix éditorial ou volonté d'auteur, je l'ignore – esquisser une histoire de la littérature au travers du développement du désir mimétique. Un auteur par siècle (Chrétien de Troie, Shakespeare, Racine, Marivaux, Malraux, avec un détour par Dante et le roman contemporain), et il me semble que l'exemple de Francesca de Rimini qui tombe dans l'adultère en même temps qu'elle lit avec Paolo les aventures de Lancelot et Guenièvre est le plus parlant. Dans cette perspective, les notions d'héroïsme, de fidélité, de sexualité, voire d'amour au sens le plus pur du terme, sont à réinventer, notamment au travers du prisme de la gloire, fondamentale chez Racine ou dans le roman médiéval. Ainsi le désir que Phèdre éprouve pour Hippolyte s'oppose à sa propre gloire, son devoir. Ainsi l'amour éprouvé par Roméo et Juliette, réputé pur et spontané, ne serait qu'une poursuite de leurs modèles respectifs, modèle éducatifs par exemple, du moins en grande partie. de plus, Girard démontre que le désir mimétique est intrinsèquement lié à sa frustration, dans un mouvement quasi-hégélien de destruction et résurgence permanent, attendu que « les seuls objets qui restent désirables en permanence sont les objets inaccessibles » et que « le mécanisme mimétique génère sa propre némésis en préférant toujours le médiat à l'immédiat, l'inaccessible à l'accessible ».
Certains de ces textes demandent une réelle culture littéraire, ou du moins une empathie certaine avec le théorique. Mais il est une chose évidente, à la lecture de ce recueil : seuls les mystificateurs jargonnent et l'on reconnaît un grand critique à la limpidité de son discours. Il ne faut donc pas craindre d'être abandonné en route par une rhétorique trop ardue.
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Ce livre est un recueil d'essais de René Girard sur le désir dans la littérature et son caractère mimétique. Il contient :

- Amour et haine dans Yvain

- Paolo et Francesca, un désir mimétique

- Passion et violence dans Roméo et Juliette

- Racine, poète de la gloire

- Marivaudage et hypocrisie

- L'érotisme dans les romans de Malraux

- Amour et amour-propre dans le roman contemporain



L'idée majeure que développe René Girard est que le désir fonctionne par mimétisme, c'est-à-dire qu'il y a un troisième terme dans l'équation amoureuse : le modèle que l'amant suit, auquel il tente de se mesurer et qui rend l'objet de son désir désirable.



J'ai trouvé extrêmement intéressant l'article sur Yvain, avec en prime une attaque contre le fait de vouloir voir du refoulement partout. J'ai aimé l'analyse sur le rôle érotique de la réputation dans Yvain, car je n'avais réalisé ce fait tout simple : la femme épouse le gagnant et Yvain est désirable, parce qu'il était plus fort qu'Escalados le roux.

L'analyse de Roméo et Juliette était très pertinente, mettant le doigt sur les difficultés qu'il y a à faire une histoire sur "l'amour vrai". J'ai aussi particulièrement apprécié les commentaires sur Paolo et Francesca.



C'est un livre qui propose une analyse intéressante du désir, sans être pour autant être purement novateur puisque le désir mimétique apparaît déjà dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Mais c'est intéressant de découvrir son approfondissement dans ces diverses études.
Lien : http://happydriedfrogs.over-..
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
« Il faut considérer les grandes œuvres romanesques comme une seule totalité dialectique. »
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Videos de René Girard (8) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de René Girard
Le livre est disponibles sur editions-harmattan.fr : https://www.editions-harmattan.fr/livre-qui_dit_on_que_je_suis_le_mystere_jesus_joel_hillion_stan_rougier-9782336428567-78949.html ___________________________________________________________________________
L'Apocalypse de Jean commence par ces mots : « Révélation de Jésus Christ : Dieu la lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. » Comment Jésus a-t-il « connu » cette révélation ? À partir de quand s'est-il lancé dans sa mission ? À quelle fin ? Pour tenter d'y voir plus clair, Joël Hillion est parti de la théorie mimétique de René Girard. L'hypothèse est simple : le christianisme est le plus grand « déconstructeur » du sacré qu'on ait connu. Qu'est-ce que Jésus apporte qu'aucun autre humain n'avait compris avant lui ? Cette compréhension du message non sacrificiel de Jésus ne va pas de soi. Après 2 000 ans, nous en sommes encore à nous interroger sur ce qu'il signifie. Conscient de l'originalité absolue de sa mission, Jésus répétait souvent : « Qui dit-on que je suis ? » C'est à nous que la question est posée.
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Bonnes lectures !
Crédit : Ariane, la prise de son, d'image et montage vidéo
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