Supplément au voyage de Cook

Supplément au voyage de Cook / Jean Giraudoux
« D'un côté donc, l'Ordre incarné par la Royauté et un Etat où le corps est considéré comme instrument de travail et de reproduction de l'espèce, de l'autre une nonchalance délicieuse dans un pays libre où des corps superbes et nus sont à disposition de la jouissance de l'autre… »
Cette phrase de Philippe du Vignal, critique de théâtre , résume bien le thème de cette pièce de théâtre de Jean Giraudoux, créée en 1935 avec Louis Jouvet, qui oppose de façon savoureuse culture et nature. Autres lieux, autres moeurs en quelque sorte.
En fait le capitaine Cook et son second Banks veulent éviter tout débordement de nature sensuelle de l'équipage auprès de la population féminine si accueillante de Tahiti.
Dans un style fluide, fin et spirituel, Giraudoux se livre à fleuret moucheté à une satire de la colonisation et la morale victorienne. Les valeurs de Cook et Banks, travail, propriété, et moralité sont loin des soucis des tahitiens. L'incompréhension est totale et les malentendus et quiproquos se succèdent dans la bonne humeur.
Un bref divertissement de deux heures de lecture bien dans la lignée du théâtre giralducien.

Sitôt arrivé à Tahiti, et avant de débarquer son équipage contraint à l'abstinence depuis deux ans, le capitaine Cook dépêche sur l'île Mr Banks, naturaliste de l'expédition et gardien des bonnes moeurs britanniques, afin de prévenir ses marins "contre l'accueil trop empressé de [leurs] femmes".
Chargé d'apporter aux indigènes la civilisation, qui se résume au triptyque - travail, propriété, moralité -, Mr Banks se heurte à l'incompréhension des insulaires pour lesquels l'oisiveté, le partage et la liberté sexuelle sont la norme.
Dans ce pastiche de la littérature de voyage du 18ème siècle, Giraudoux renverse notre regard : c'est l'indigène qui décrypte avec une fausse naïveté la morale occidentale en nous montrant ce qu'elle peut avoir d'étriqué et de misérable. Ainsi, l'épouse légitime de Banks, aux désirs refoulés par trente ans d'une fidélité conjugale sclérosante, oppose aux ardeurs des insulaires le mince bouclier de sa vertu, préférant toute une vie avec des corps invisibles qu'une seule nuit avec un corps palpable.
L'entreprise de colonisation culturelle est un fiasco, reste le charme d'un dialogue de sourds, aux répliques mordantes et drôles.